Quand il n'élabore pas une stratégie pour prendre les champs de pétrole du Soudan du Sud, l'ancien vice-président Riek Machar, redevenu chef de guerre rebelle, aime lire un livre au titre évocateur: "Pourquoi les nations échouent".
Les cyniques pourraient lui dire qu'il n'a qu'à regarder les ruines de son pays, dévasté par plus de quatre mois de guerre civile entre ses hommes - un mélange de soldats déserteurs, de miliciens et d'enfants-soldats - et les forces restées fidèles à son rival, le président Salva Kiir.
"Je ne souhaitais plus mener une nouvelle guerre", déclarait-il récemment à l'AFP, jugeant que les Sud-Soudanais avaient connu assez de combats lors de la longue guerre d'indépendance (1983-2005) contre le Soudan voisin.
C'est ce conflit, durant lequel il dirigeait déjà une rébellion, qui a débouché sur l'indépendance du Soudan du Sud en 2011.
Mais aujourd'hui, la plus jeune nation du monde a replongé dans la violence et est au bord de l'effondrement. Avec un cessez-le-feu en miettes et une intensification des combats qui ont fait des milliers de morts et près d'un million de déplacés, un million de personnes sont menacées de famine, prévient l'ONU, tandis que les experts craignent une régionalisation du conflit.
Des négociations ont bien été engagées en Ethiopie mais elles sont dans l'impasse.
Et "soutenir le gouvernement de Juba et redorer sa légitimité avec une dose de dialogue politique et une once de partage du pouvoir ne mettra pas fin au conflit", estimait récemment le centre de réflexion International Crisis Group (ICG).
"Des forces de maintien de la paix largement dépassées en puissance de feu ne font pas le poids face à des milliers de soldats et miliciens lourdement armés", ajoutait l'ICG.
Comme pour lui donner raison, jeudi, plusieurs centaines de jeunes gens armés ont attaqué une base de l'ONU abritant 5.000 réfugiés dans la ville de Bor (est), faisant au moins 48 morts parmi les civils - des hommes, femmes et enfants appartenant à une autre ethnie.
Lorsque le conflit avait éclaté le 15 décembre à Juba, il s'agissait d'un différend politique entre MM. Machar et Kiir, selon l'ICG.
Mais il a pris un tour ethnique et s'est étendu dans tout ce pays très pauvre, dont l'une des rares richesses est le pétrole. Une escalade qui s'est traduite par "des niveaux consternants de cruauté contre les civils", souligne l'ICG.
L'origine des violences remonte à des rivalités personnelles entre ex-rebelles parvenus au pouvoir et des conflits non résolus remontant à la guerre d'indépendance, auxquels est venue s'ajouter une opposition entre ethnies dinka du président Kiir et nuer de l'ancien vice-président Machar.
- "Le pire reste à venir" -
"La guerre risque de déchirer un peu plus le pays et attire des Etats de la région", ajoute l'ICG, en référence au projet de pays voisins d'envoyer des soldats, en plus des Casques bleus déjà présents.
L'Ouganda voisin a déployé des troupes pour soutenir le gouvernement, et le ministre sud-soudanais de l'Information Michael Makuei a accusé "des forces venues du Soudan" d'appuyer la rébellion.
Il n'est pas allé jusqu'à accuser Khartoum d'ingérence mais des groupes armés du Darfour, une province en guerre de l'ouest du Soudan, combattraient dans les deux camps au Soudan du Sud.
Riek Machar lui-même prédit sombrement que "cela va devenir un conflit régional".
D'autres prédisent une catastrophe humanitaire.
"Le pire est encore à venir", avertissait la semaine dernière Jonathan Veitch, responsable du Fonds des Nations unies pour l'enfance (Unicef) au Soudan du Sud, prédisant "une malnutrition infantile d'une ampleur que nous n'avons encore jamais vue ici".
Quant à la communauté internationale, elle semble impuissante.
Les Etats-Unis, acteur clé du processus d'indépendance du Soudan du Sud, ont brandi la menace de sanctions.
"Beaucoup de gens semblent penser qu'il est temps que les grandes puissances s'expriment contre l'absurdité de cette guerre", dit Jok Madut Jok, ancien responsable gouvernemental aujourd'hui à la tête de Sudd Institute, un institut de recherche de Juba.
Mais il craint que des sanctions n'aient aucun effet sur des rebelles campant dans la brousse et qu'elles conduisent le gouvernement à "un comportement encore plus erratique, car il n'aurait plus rien à perdre".
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