« Et dire que quand il a pris le pouvoir, on a tous applaudi… » Cette phrase est celle d’un journaliste sénégalais qui se souvient du vent d’espoir qui souffle sur la Gambie quand, le 22 juillet 1994, le lieutenant Yahya Jammeh renverse Dawda Jawara, qui dirigeait le pays depuis l’indépendance. Yahya Jammeh n’a que 29 ans. Il promet la fin de la corruption, du népotisme, de la pauvreté.
Vingt ans plus tard, le bilan est pourtant bien sombre : traqués par les services secrets, opposants et journalistes disparaissent, croupissent dans les geôles de la sinistre prison de Miles 2, ou sont contraints à l’exil. Malgré les protestations des organisations internationales de défense des droits de l’homme, Yahya Jammeh poursuit son chemin, boubou blanc, chapelet et sceptre à la main. « Le fou de Kanilaï », comme on le surnomme en Gambie, prétend pouvoir guérir le sida, la stérilité ou l’épilepsie à l’aide de plantes traditionnelles et d’incantations mystiques. Il promet la mort aux homosexuels.
« Yahya Jammeh est délirant, imprévisible et brutal », explique un ancien ministre contraint à l’exil. « Chaque année qui passe, la liste des victimes s’allonge », regrette François Patuel, de l’ONG Amnesty International, qui demande à la communauté internationale de ne plus détourner les yeux.
Torture dans les prisons de Banjul
Amadou Scattred Janneh est l’une de ces victimes. L’homme fut « quinze mois ministre de la Communication [de 2004 à 2005], puis quinze mois prisonnier politique », avant d’être expulsé aux Etats-Unis, où il vit toujours. Il se souvient de son passage en prison. « C’était au temps des printemps arabes. Nous aussi, en Gambie, nous voulions faire quelque chose. Avec mon mouvement, la Coalition pour le changement en Gambie, on a imprimé des t-shirts : devant,"Fin de la dictature en Gambie", et dans le dos : "Liberté". On a été arrêtés et jetés en prison. »
La prison, où il a été épargné, au contraire de ses co-détenus : « Si j’ai subi des mauvais traitements ? Moi, j’ai la chance d’être moitié Gambien, moitié Américain, donc je n’ai jamais été torturé. Mais j’ai vu beaucoup de prisonniers qui ont été torturés : des ongles de pieds arrachés, des chocs électriques, des gens battus. »
Trop pauvre pour intéresser les grandes puissances ?
Comment un tel régime a-t-il pu se maintenir depuis vingt ans ? Baba Leigh est imam et défenseur des droits de l'homme. Enlevé et torturé par les forces de sécurité gambiennes, lui aussi vit désormais en exil aux Etats-Unis. Pour lui, cette longévité s’explique par l’absence d’intérêt de la communauté internationale pour un petit pays sans ressources naturelles : « Yahya Jammeh enlève, viole, tue et massacre son peuple. Mais il réussit à se maintenir parce que la Gambie est une nation très pauvre. La communauté internationale reste silencieuse, tout simplement parce qu'elle n'a aucun intérêt en Gambie : le pays n'a pas de pétrole, pas d'or, pas de café, donc ce qui s’y passe ne l'intéresse pas. »
Trop pauvre pour intéresser : l’analyse est partagée par Amadou Scattred Janneh. « C’est vrai que la Gambie est un petit pays, n’a pas de ressources naturelles, note l’ancien ministre.Mais il faut que la communauté internationale se tourne vers nous et se mobilise pour nous aider. Nous lui demandons de prendre des sanctions ciblées : geler les avoirs des dignitaires, les empêcher de voyager. C’est une question de devoir moral pour l’Occident de mettre fin à cette répression. »
Autre raison du maintien au pouvoir du chef de l’Etat gambien : sa capacité à diviser. « Il dirige en divisant les gens, analyse Baba Leigh. Il utilise l'ethnie pour pratiquer la ségrégation. » Le chef de l’Etat a, en particulier, réussi à empêcher les acteurs non gouvernementaux de s’organiser et de voir leur message relayé : « Beaucoup d’actions ont été menées, mais il n’y a pas de résultats, car la société civile n’est pas organisée. Il faudrait une société civile forte, appuyée par les médias, détaille Madoune Seck, chargé de programme dans une organisation gambienne de défense des droits de l'homme. Or Jammeh a bien compris cela, et il a cassé les médias : aujourd’hui, il n’y a pas de médias privés en Gambie. »
« Si la peur disparaît, les choses vont changer »
Dans ces conditions, quel avenir pour les Gambiens ? Si l’imam est plutôt pessimiste sur l’hypothèse d’un changement dans le pays, l’ancien ministre de la communication exilé aux Etats-Unis, lui, veut y croire : « Nous ne sommes pas désespérés : après tout, pour Kadhafi, ça a bien mis vingt ans. Un jour, les choses vont changer en Gambie. Les Gambiens n’en peuvent plus. Les gens ont de moins en moins peur ; or, c’est la peur qui est le fondement du système. Si la peur disparaît, le régime disparaîtra. »
Source : Rfi.fr
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