Les réactions des Américains à l’annonce d’une normalisation des relations entre les Etats-Unis et Cuba sont partagées. Notre correspondant à Washington, Jean-Louis Pourtetexplique qu'au niveau national, plus de 50 % des Américains sont en faveur de ce rapprochement diplomatique. Ce pourcentage est même supérieur en Floride où il dépasse 60 %.
Il y a toutefois un groupe qui continue de s’opposer fermement à tout rapprochement, c’est celui des exilés arrivés aux Etats-Unis après la prise de pouvoir de Fidel Castro en 1959. Pour eux, Obama les a trahis. En revanche, les plus jeunes générations sont d’accord avec le président. Ils n’ont pas connu le castrisme et sont en faveur d’une amélioration des relations.
Réactions plus mitigées dans les milieux politiques
Du côté des politiques, pour faire simple, on serait tenté de dire que les démocrates sont pour la normalisation et les républicains contre, mais ce serait inexact, car il y a un noyau bipartisan qui est contre. Par exemple, le sénateur républicain Marco Rubio a estimé que la Maison Blanche avait beaucoup donné et peu reçu et a déjà annoncé qu’il fera tout pour s’opposer à des changements. Dans le camp démocrate, le sénateur Robert Menendez, qui comme Rubio est d’origine cubaine, accuse aussi Obama de cautionner une dictature.
Quid de l'embargo ?
Cela n’est pas de très bon augure pour la levée de l’embargo imposée par Kennedy en 1962. Sa levée va être d’autant plus difficile pour Barack Obama qu’à partir du mois prochain, les républicains vont tout contrôler au Congrès.
Pour Janette Habel, politologue, enseignante à l'Institut des hautes études d'Amérique Latine et spécialiste de l'Amérique Latine, en particulier de Cuba, « Barack Obama n’a pas la prérogative. Elle lui a été enlevée par la loi Helms-Burton en 1996. Donc depuis cette loi, il ne peut pas, lui, décider de la levée des sanctions économiques à l’égard de Cuba. Cela va dépendre du vote du Congrès, qui va passer sous majorité républicaine. » Mais ce qu’il peut déjà faire, comme il le fait de plus en plus souvent, à la grande fureur des républicains, c’est agir par décret présidentiel.
Même s’il n’obtient pas la levée de l’embargo, il peut ainsi sérieusement l’assouplir. De plus, il peut compter sur le soutien des milieux industriels, agricoles et financiers qui souhaitent commercer avec Cuba et qui ont dû abandonner le terrain aux Européens et autres investisseurs qui n’appliquent pas de sanctions contre les Cubains.
Des changements immédiats envisageables
Le président américain va donc pouvoir lever un certain nombre de restrictions. Des autorisations de voyage seront plus facilement accordées pour certains groupes comme les journalistes, les scientifiques ou les éducateurs. Les Américains pourront aussi utiliser leurs cartes de crédit à Cuba. Les entreprises de certains secteurs comme le bâtiment ou l’agriculture pourront commercer avec des Cubains. Les banques pourront ouvrir des comptes de correspondant dans des banques cubaines.
En outre, les expatriés pourront envoyer jusqu’à 2000 dollars par trimestre - contre 500 dans le passé - à leurs familles restées à Cuba. Les compagnies de télécommunications pourront fournir des services de téléphonie et d’accès internet à Cuba. L’ouverture d’une ambassade à La Havane devrait aussi contribuer à améliorer le climat, surtout si le département d’Etat retire Cuba de sa liste des pays qui apportent « un soutien au terrorisme ».
Une économie lésée par l'embargo
Ce rapprochement entre les Etats-Unis et Cuba a été possible grâce à la libération de plusieurs prisonniers dans les deux camps et à l'action de médiation du pape François. La Havane a libéré ce mercredi 17 décembre le prisonnier américain Alan Gross, détenu depuis cinq ans. En échange, trois prisonniers cubains détenus par les autorités américaines ont été relâchés. A la Havane, 53 prisonniers politiques ont aussi été libérés.
Ces détenus étaient les derniers obstacles pour l'administration américaine qui empêchaient d'entamer des discussions sur la levée de l'embargo.
D'après Ludovic Subran, chef économiste à Euler Hermes, cet embargo a énormément pénalisé l'économie cubaine. « J’ai eu l’occasion d’aller à Cuba plusieurs fois avec des organismes internationaux, j’ai rencontré des dirigeants cubains qui m’ont parlé à plusieurs reprises de leurs efforts, de leurs envies de faire davantage pour ouvrir l’économie cubaine [...]notamment au niveau du secteur du tourisme qui est aujourd’hui la première source de rentrées de devises. Le problème, c’est que l’embargo a quand même freiné énormément d’importations d’innovations, de biens qui auraient pu par exemple plaire aux touristes. »
L'économiste va plus loin dans son analyse : « Aujourd’hui, l’idée c’est de dire que l’embargo a un peu tué dans l’œuf les efforts qui ont été faits récemment pour ajuster l'économie. Les Cubains avaient malheureusement énormément de problèmes d’offres et notamment d’offres de financements. [...] Il est vrai que cela a non seulement évité une croissance, mais aussi, sur les derniers temps, mis à mal beaucoup d’efforts de politiques publiques. »
Le sommet de l'OEA, un enjeu stratégique
Avec cet historique rapprochement entre les deux pays, il s'agit donc aussi de rétablir des relations au niveau régional, auprès de l'OEA, l'Organisation des Etats américains. Cuba a annoncé il y a quelques jours sa participation au prochain sommet de l'OEA qui se tiendra en avril à Panama, une première depuis vingt ans. Lors de sa conférence de presse ce mercredi, Barack Obama a d'ailleurs déclaré qu'il s'y rendrait en personne.
Pour la politologue, Janette Habel, les nouvelles relations américaino-cubaines ont des visées stratégiques. La participation de Cuba à ce sommet est « très importante parce que les gouvernants latino-américains, conservateurs ou pas, avaient mis en balance leur présence à ce sommet qui réunit les Etats-Unis et toute l’Amérique latine, disant que si Cuba n’y participait pas, ils ne viendraient pas. C’est extrêmement important. Donc ça n’est pas par hasard que tout cela arrive maintenant. »
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