Après plus de deux heures de conclave, les militaires burkinabè ont fini par accorder leurs violons, ce samedi. A l'unanimité, la haute hiérarchie militaire a retenu un solide gaillard, doté de lunettes sans montures et d'une fine moustache - l'Agence France-Presse le décrit ainsi -, pour conduire le régime de transition après la démission du président Blaise Compaoré la veille.
Son nom : Yacouba Isaac Zida. Marié, père de trois enfants, l'AFP nous informe qu'il s'agit d'un ancien casque bleu en République démocratique du Congo (RDC), par ailleurs officier de liaison dans le cadre de la médiation Compaoré durant la crise ivoirienne (2002-2011). Il est né le 16 novembre 1965 à Yako, dans la province du Passore, dans le nord de la « patrie des hommes intègres ». Il a suivi des études de langue en anglais à l'université de Ouagadougou jusqu'en 1989, avant d'intégrer l'académie militaire de Pô en 1993, explique notre envoyé spécial Frédéric Garat.
Il suit ensuite une formation de militaire qui le conduit à l'étranger, relate notre confrère : Meknès (Maroc), Taiwan, Canada, Yaoundé (Cameroun). Il progresse parallèlement au sein du Régiment de sécurité présidentielle (le RSP, une unité d'élite qui assurait la sécurité du président Compaoré) : commandant de companie, commandant de groupement puis chef de corps adjoint. Il finit donc numéro 2 de ce corps.
Le pays confié à un lieutenant-colonel
Vendredi, le chef d'état-major général du Burkina Faso, le général Traoré, s'était lui-même proclamé chef de l'Etat, après l'annonce de la démission du président Compaoré. Mais ce samedi, après le huis clos des hauts gradés, il a lui-même signé le communiqué adoubant M. Zida. S'il n'a pas pris part au point presse à la sortie, laissant son adjoint en lire le compte-rendu à sa place, il a posé ainsi un point final à la situation de cacophonie qui avait dominé une bonne partie de la journée de vendredi dans les rangs de l'armée.
« Depuis le 30 octobre 2014, le peuple burkinabè vit des moments particulièrement difficiles et historiques, dit le communiqué du chef d'état-major Traoré daté du samedi 1er novembre. En effet, l'accélération des évènements a conduit à ce qui est apparu tantôt comme une confusion, tantôt comme une contradiction au sein des forces armées nationales, source d'inquiétude pour le peuple burkinabè. »
La suite : « Aujourd'hui, 1er novembre 2014, 54e anniversaire des forces armées nationales, la haute hiérarchie militaire, après concertation à l'état-major général des armées, informe l'opinion nationale et internationale que le lieutenant-colonel Zida Isaac a été retenu à l'unanimité pour conduire la période de transition ouverte après le départ du pouvoir du président Blaise Compaoré. »
L'homme du vendredi 31 octobre
La personnalité du lieutenant-colonel Isaac Zida a éclaté au grand jour vendredi. C'est lui qui a d'abord annoncé le ralliement de l'armée à la société civile, peu avant l'annonce de la démission de Blaise Compaoré. Alors que la foule adoubait dès lors un général à la retraite, Kouamé Lougué, pour prendre les rênes du processus de transition, et que le chef d'état-major avait déjà déclaré qu'il assumerait le rôle de chef de l'Etat de manière précipitée, Isaac Zida est sorti de son silence plus tard, aux côtés des représentants du Balai citoyen (membres de la société civile).
Et ce, devant les nombreux manifestants réunis place de la Nation. « Le peuple du Burkina Faso est désormais acteur et témoin de son histoire, leur a-t-il dit. Les décisions ne seront pas prises dans les bureaux pour votre avenir. Vous aurez à chaque fois l'occasion de dire si vous marchez avec nous ou si vous n'êtes pas d'accord. »
La foule a alors acclamé cet homme sorti de nulle part, y compris lorsqu'il annonçait finalement qu'il suspendait la Constitution : « Nous, forces vives de la nation, y compris les forces armées nationales, à la demande du peuple burkinabè, avons décidé ce qui suit : un, la Constitution du 2 juin 1991 est suspendue ; deux, un organe transitoire sera mis en place en accord avec toutes les forces vives de la nation, en vue d'organiser une transition paisible. Cette transition sera encadrée pour un retour à une vie constitutionnelle normale ; trois, la composition de cet organe consensuel de transition, ainsi que sa durée, que nous souhaitons la plus brève possible, seront déterminés par l'organe de transition dans les plus brefs délais. » Et de demander au peuple de « faire confiance » à son groupe d'hommes.
Traoré marque le pas devant Zida
Dès lors, le chef d'état-major des armées auto-proclamé chef de l'Etat du Faso ne s'exprimera plus publiquement, en ce jour historique où Blaise Compaoré est tombé. C'est à nouveau Isaac Zida qui annoncera, tard dans la soirée sur une chaîne de télévision, que Blaise Compaoré est en bonne santé « dans un lieu sûr ». C'est aussi lui qui dira assumer « les responsabilités de chef de la transition et de chef de l'Etat », entendant définir « de manière consensuelle (...) et avec l'ensemble des partis politiques et des organisations de la société civile, les contours et contenus d'une transition démocratique apaisée ».
C'est enfin lui qui appellera la communauté internationale, notamment l'Union africaine et la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao), « à soutenir » le peuple burkinabè « dans ces dures épreuves ». Et c'est donc lui qui prendra de nouvelles résolutions effectives concernant les frontières du Faso et le couvre-feu.
Le nouvel « homme fort » prend aussi, le soir même de ce vendredi historique, le temps d'expliquer la situation au micro de RFI, à Ouagadougou, tançant au passage son concurrent. « Si vous avez compris, il ne s'agit pas d'un coup d'Etat, assure-t-il. Il s'agit d'une insurrection populaire. Et le peuple qui s'est soulevé a des aspirations - il a des attentes - que nous pensons avoir bien comprises. Il ne s'agit pas de rejoindre le peuple pour continuer avec lui les habitudes que nous avons, à un moment donné, condamnées. C'est vrai que le chef d'état-major est la personne qui incarne toute l'armée. Mais nous, nous estimons que nous avons véritablement compris ce que la population attend de nous. Et je pense qu'il n'y a pas de problème, parce que le chef d'état-major, nous-mêmes, nous sommes partie prenante de ce peuple. Aucun militaire ne va poser un acte allant dans le sens de compromettre durablement la paix. »
Zida adoubé, mais Zida contesté
Visiblement, après sa désignation par ses pairs militaires, le message d'Isaac Zida ne passe pas si bien que cela au sein de la classe politique et dans la population. Il faut dire qu'interrogé par RFI vendredi soir, un leader de la société civile, qui le soutenait alors, n'avait pas su conter le moindre fait d'armes au sujet de ce soldat, qu'il présentait pourtant comme l'homme de la situation. Selon l'Agence France-Presse, le lieutenant-colonel est par ailleurs un proche du général Gilbert Diendéré, chef d'état-major particulier de M. Compaoré.
Ce samedi, après sa nomination, les leaders de l'opposition et des organisations de la société civile sont sorties de leur réserve, appelant la population à descendre dans la rue, dimanche 2 novembre, pour maintenir la pression populaire et empêcher toute « confiscation » du pouvoir par l'armée. Avec un soutien explicite de taille : la présidence de la Commission de l'Union africaine. « Une transition civile et consensuelle répondrait non seulement aux aspirations légitimes du peuple du Burkina Faso au changement, mais faciliterait également la mobilisation de l'appui international nécessaire pour permettre une sortie de crise réussie », menace en filigrane la présidente Nkosazana Dlamini-Zuma qui demande aux forces armées burkinabè « de se mettre à la disposition des autorités civiles ».
Il serait apprécié de ses hommes
En attendant d'entrevoir quels seront les contours de l'équipe bientôt chargée de la transition, le lieutenant-colonel Zida a déjà pris deux décisions en tant que chef de la transition désigné par l'armée : la réouverture des frontières aériennes, et le maintien d'un couvre-feu assoupli de 22h heure locale à 6h du matin.
On dit, du côté de l'Agence France-Presse, que le nouvel « homme fort de l'armée » burkinabè est apprécié de ses hommes. « Quand a éclaté en 2011 une mutinerie qui faillit emporter le régime de Compaoré, il fut l'un des rares au sein de la garde présidentielle à être épargné par les mutins, quand les autres gradés subissaient la furie des soldats, ont assuré un militant des droits de l'homme et une source militaire à l'AFP. »
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