Etudier l'ONU, n'est-ce pas au fond écrire l'histoire d'une illusion ? Ou d'un mythe ? Il faut rappeler qu'il y a 70 ans, la Charte s'est fixée des buts d'une noblesse surhumaine : « Maintenir la paix et la sécurité internationales, développer entre les nations des relations amicales, réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d'ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire » Des objectifs idéalistes qui n'ont évidemment pas pesé lourds face à la guerre froide, à « l'équilibre de la terreur », peu de temps après la signature du texte en Californie.
A peine née, l'ONU est en effet entrée dans une période de glaciation. Le symbole de ce gel est l'utilisation du droit de veto par Moscou et Washington qui, des décennies durant, a entravé toute décision du Conseil de sécurité. Bloquée dans sa mission de gardienne de la paix, l'ONU est quand même devenue, après la décolonisation, une tribune pour les nouveaux pays africains et une voix pour les pays que l'on disait du tiers-monde. A l'époque, l'ONU a même proposé la création d'un nouvel ordre économique international.
Les limites de l’organisation
La chute du Mur de Berlin, l'agonie puis la fin de l'URSS, la fin du monde bipolaire, ont au contraire réveillé l'ONU puisque le Conseil de sécurité n'était plus bloqué par le veto des deux « surpergrands ». Ainsi, les Etats de la planète ont-ils redécouvert qu'ils formaient aussi des nations unies. Ce fut un réveil brutal et un malentendu puisqu'en 1990, George Bush père avait surtout besoin de l'organisation pour bâtir une coalition contre Saddam Hussein. Il y est parvenu contrairement à George Bush fils qui, lui, n'a pu l'entraîner dans sa guerre en Irak en 2003.
Puis il y a eu les conflits en Somalie, en Bosnie, le génocide au Rwanda, la lutte contre le terrorisme depuis 2001, le Darfour, le jihadisme, la Syrie, l’Ukraine... De nombreuses crises ont montré les limites de l'organisation, notamment sur le plan politique (même si certains de ses secrétaires généraux comme Boutros Boutros-Ghali ou Kofi Annan ont essayé de la faire exister sur la scène mondiale), ainsi que son incapacité à maintenir la paix. A fortiori de l'imposer.
Et pourtant. Même si nous sommes loin des vœux de la Charte, force est de constater qu'en 70 ans d'existence, l'ONU s'est néanmoins immiscée dans les interstices laissés par la diplomatie de ses Etats membres. Elle a voté (via l'Assemblée générale) des textes peu appréciés par bon nombre d’entre eux, en alertant le monde sur la pauvreté ou les menaces pour l'environnement, en développant la justice internationale ou, plus récemment, en mettant en avant « la responsabilité de protéger » les populations. Et bien sûr en déployant les casques bleus pour le meilleur (interposition) et pour le pire (inaction face à des massacres). Cette présence des « soldats de la paix » n'est pas une absolue garantie pour les victimes de conflits, mais elle est réelle. Sans oublier la défense, vaille que vaille, des droits de l'homme et de la culture, avec par exemple le développement de la notion de patrimoine mondial.
Une réforme nécessaire
Finalement, si l'ONU donne l'impression d'être une chimère diplomatique et une piètre combattante de la paix, c’est parce que ses Etats membres (193 aujourd'hui) n'ont jamais voulu respecter sa Charte. Certains d'entre eux ont voulu la confisquer à leur profit comme le craignait Truman, ce 26 juin 1945, qui remarquait que « si nous cherchons à nous en servir égoïstement, dans l'intérêt d'un pays quelconque ou d'un petit groupe de pays, nous serons coupables de trahison ».
En réalité, l'ONU existera vraiment le jour ou les Etats respecteront la lettre et l'esprit de la Charte, joueront vraiment la carte du « multilatéralisme » et accepteront de la réformer, lui donnant un poids politique plus grand avec, notamment, l'élargissement du Conseil de sécurité qui, dans sa composition, reflète le monde de 1945, pas celui de 2015, même si sa pratique a beaucoup évolué. Les diplomates ont dû reconnaître que la menace pour la paix et la sécurité du monde ne venait plus seulement d'un Etat, mais aussi de trafiquants d'armes ou d'une épidémie, comme celle du virus Ebola. A ces conditions, elle sera alors beaucoup plus que l'expression de la (bonne) conscience du monde.
Henry Kissinger le rappelle dans son livre Diplomatie : il existe toujours un « conflit entre les concepts définis par Richelieu et les idées de Wilson, entre la politique étrangère considérée comme la mise en équilibre des intérêts et la diplomatie vue comme une affirmation de l'harmonie naturelle. » Hobbes et son Leviathan ou Kant et Vers la paix perpétuelle. Les Etats finiront-ils par surmonter cet antagonisme ? L'avenir de l'ONU est à ce prix. Faute de quoi, comme le pensait Romain Gary qui connaissait bien l'organisation pour y avoir travaillé, nous continuerons à assister à « l'inexorable pourrissement d'un grand rêve humain ».
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