Marianne Séverin:A mon avis, elles seront essentiellement domestiques. Le mécontentement populaire grandissant couplé avec les nombreux scandales de corruption qui ont entaché la premier quinquennat de Jacob Zuma faisaient craindre le pire. Le mandat du président Zuma pour le second quinquenant consiste à mettre en œuvre les engagements inscrits dans le programme du parti. Ces engagements concernent l’éducation, la réforme agraire, la santé et surtout l’emploi. La situation est explosive dans les townships avec 25% de chômage, le double chez les jeunes. Si au cours des trois prochaines années, la situation économique ne s’améliore pas pour les plus pauvres, le parti pourrait demander à Zuma de passer la main à Cyril Ramaphosa, son numéro 2. Les élections internes du parti prévues en 2017 risquent d’être cruciales pour la suite de la carrière du président Zuma.
La presse sud-africaine avait annoncé un décrochage sérieux de la population par rapport à l’ANC. Or l’ANC a été reconduit triomphalement avec 62% des voix. Avez-vous été surprise par ce succès ?
Non, je n’ai pas été surprise. Ceux qui avaient annoncé que l’ANC pouvait se retrouver avec moins de 50% des voix auraient dû garder à l'esprit les trois raisons qui rendaient cette victoire prévisible. Primo, cela fait seulement vingt ans que l’apartheid est terminé. Ce passé est encore trop proche pour que la majorité des électeurs sud-africains noirs l’oublient. Ils n’oublient pas non plus que c’est la lutte menée par l’ANC qui les a libérés de l’oppression et qui leur permet aujourd’hui de s’exprimer dans les urnes. Leur attachement à ce parti centenaire reste entier. La deuxième explication de la victoire découle de la première dans la mesure où les Sud-Africains ne votent pas pour une personne mais pour un parti politique. Ils ont voté pour l’ANC même si beaucoup d’entre eux ont été déçus par Jacob Zuma.
Et la troisième raison ?
Elle est à chercher dans la personnalité de Jacob Zuma lui-même. Il ne faut pas sous-estimer la capacité de séduction de cet homme. C’est un excellent tribun. Son engagement à faire mieux pendant le second mandat a pu convaincre beaucoup d’électeurs. Par ailleurs, quand il proclame à la tribune que le parti a « une belle histoire à raconter », son affirmation n’est pas totalement infondée, vous en conviendrez.
Quelles ont été d’après vous les principales réalisations de l’ANC au cours des années post-apartheid ?
L’avènement d’une classe moyenne noire a été, à mon sens, le phénomène le plus marquant de ces dernières années. Pendant la campagne, Zuma a cité, pour sa part, la construction de trois millions de maisons pour 16 millions de personnes à travers le pays comme une des plus grandes réalisations de la période de l’après apartheid. Ce n’est pas faux. J’y ajouterais la décision des autorités sud-africaines de prendre à bras le corps le problème du sida. Aussi étonnant que cela puisse paraître, c’est l’administration de Jacob Zuma qui a investi le plus d'argent dans ce domaine !
Avec l’avènement du parti contestataire de Julius Malema qui a recueilli plus d’un million de suffrages, force est de constater que l’ANC ne fait plus l’unanimité parmi les électeurs noirs, malgré la conscience que ces derniers peuvent avoir de leur dette morale envers ce parti.
Oui, Malema a créé la surprise. Personne n’attendait qu’il fasse un tel score. Mais il faut mettre les choses dans leur contexte. Il y a une grève dure dans les mines de platine. Il y a eu la répression policière à Marikana en août 2012. Les ouvriers qui sont touchés de près par ces événements se sont laissé séduire par le discours révolutionnaire de Malema qui est, lui aussi, un excellent tribun. Mais obtenir des voix, c’est une chose, exister sur la durée, c’en est une autre. On verra comment son nouveau parti Les Combattants pour la liberté économique va évoluer. Saura-t-il capitaliser sur les erreurs que va forcément commettre le nouveau gouvernement ? Le parti COPE créé en 2009 par des rebelles de l’ANC n’a pas su se maintenir dans la durée. Après ses débuts prometteurs avec 30 sièges sous la dernière législature, ce parti s’en sort cette année avec seulement trois sièges. Une évolution qui devrait faire réfléchir Julius Malema.
A part les ouvriers des mines, qui sont les autres Sud-Africains qui ne votent pas traditionnellement pour l’ANC ?
Ni les blancs ni les métis ne votent pour l'ANC, à l’exception d’une petite minorité. A ceux-là, il faudrait ajouter les Sud-Africains expatriés. D’après les résultats, ceux-ci ont voté à presque 85% pour l’Alliance démocratique de Helen Zille. Vingt ans après la fin de l'apartheid, le vote se fait encore selon la ligne raciale, même si, comme ne l’a pas manqué de rappeler madame Zille, son parti touche de plus en plus les classes moyennes noires.
La contestation de l’hégémonie de l’ANC vient aussi désormais des syndicats qui ont traditionnellement voté pour le parti de Mandela. Croyez-vous que le pays va vers une reconfiguration du paysage politique, malgré la victoire aux élections de l’ANC ?
On parle de cette reconfiguration depuis 2004. L’ANC gouverne à Pretoria en collaboration étroite avec le parti communiste et le Cosatu, la centrale syndicale qui rassemble 1,8 millions de membres. Cette alliance qu’on appelle « l’Alliance tripartite » a été créée dans les années 1990 pour remercier ses différentes entités d’avoir participé à la lutte anti-apartheid et également pour promouvoir une politique économique de gauche. Mais au fur et à mesure que l’ANC s’est déporté vers le centre, le fossé s’est creusé entre le gouvernement et le Cosatu. Le conflit s’est aggravé depuis les événements de Marikana, notamment avec le syndicat des ouvriers des mines, le Numsa qui fait partie du Cosatu. Le Numsa a perdu beaucoup de voix parce que ses adhérents considèrent que leurs chefs qui occupent des positions de responsabilité dans le gouvernement ne défendent pas correctement leurs intérêts. Cette année, le Numsa a demandé pour la première fois à ses adhérents de ne pas voter pour l’ANC. Ce syndicat a pour intention, par ailleurs, de créer son propre parti des ouvriers. On est en plein dans la reconfiguration du champ politique. Difficile de dire si le Cosatu aura le cran ou non de couper les ponts totalement avec le pouvoir.
La transformation de ce parti né de la lutte pour la libération en un parti de gouvernement semble laborieuse. L'ANC pourra-t-il changer sans vendre son âme ?
L’ANC n’a pas d’autres choix que de se transformer. C’est un parti centenaire qui a su se renouveler régulièrement dans le passé. Sa longévité est la preuve de sa grande capacité d’adaptation. Porte-parole pacifique de la communauté noire à l’origine, il a renié sa non-violence initiale pour prôner la lutte armée, avant de rendre finalement les armes et s’asseoir avec ses adversaires d’antan à la table des négociations. Idéologiquement aussi, ce parti a évolué, passant de la gauche radicale au centre de l’échiquier politique. L’ANC n’est pas un parti politique comme les autres, mais il doit maintenant s'adapter au contexte d'une vie politique normalisée où toutes les opinions comptent.
Source : Rfi.fr
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