Connectez-vous S'inscrire
PRESSAFRIK.COM , L'info dans toute sa diversité (Liberté - Professionnalisme - Crédibilité)

AN1-BDF: cicatrice du passé, espoirs piétinés et avenir incertain rythment la vie à la Cité Keur Gorgui

Le 24 mars 2024, une vague d'espoir et de liesse populaire déferlait sur la Cité Keur Gorgui. Les résultats provisoires de l'élection présidentielle, favorables à Bassirou Diomaye Faye, étaient perçus comme l'aube d'une nouvelle ère pour le Sénégal. Un an plus tard, l'ambiance n'est plus à la célébration dans ce quartier de la commune d'arrondissement Mermoz Sacré-Cœur (Dakar) où résidait l'actuel Premier ministre, Ousmane Sonko. Les stigmates du passé récent, marqué par la répression et l'omniprésente des forces de l'ordre, sont encore bien visibles. Reportage!



Retour sur les lieux. La Cité Keur Gorgui, autrefois un symbole de résistance et de soutien à Ousmane Sonko, l'opposant farouche de Macky Sall, semble paradoxalement figée dans le temps. Les barricades ont disparu, les pick-ups de la police ne sillonnent plus les rues, mais les souvenirs de cette période trouble restent gravés dans la mémoire des habitants. Pendant des mois, le quartier a vécu sous une véritable occupation policière. La maison de Sonko était assiégée jour et nuit. Il était quasiment impossible d'y accéder, même pour les résidents. Les forces de l'ordre, équipées de boucliers, de barrières et d'armes de service, contrôlaient chaque allée, chaque rue. La tension était palpable, et la peur, omniprésente.

Ce sentiment d'oppression est encore vivace chez Ngagne Demba Sarr, rencontré ce dimanche matin baigné de soleil. Vêtu d'un élégant ensemble caftan bleu, un sac bandoulière marron en cuir souple croisé sur sa poitrine, et des lunettes de soleil noires dissimulant son regard derrière des verres noirs fumés, il se souvient, le visage assombri. "Le mois de mars 2024, c'est comme hier. Alors, ce que nous retenons, c'est qu'il n'y avait pas de possibilité d'accéder à nos lieux de travail parce qu'il y avait l'agent de la police qui nous empêchait d'y accéder parce que tout simplement, il y avait un leader, l'opposition, le chef de l'opposition, je peux le nommer ainsi, qui habite la cité", se rappelle t-il. 

Il poursuit, la voix empreinte d'une profonde amertume : "C'était difficile. À chaque fois qu'on passait, ils croyaient que nous étions des manifestants alors que nous allions  faire correctement notre travail. Tu vois, en service, il y avait beaucoup d'absence dans nos bureaux à l'époque parce que tout simplement, on craignait d'être atteint par la balle ou par les gaz lacrymogènes."

M. Sarr insiste sur les conséquences sanitaires de cette situation : "C'était vraiment infernal. Surtout pour les malades. Pendant ce moment, ceux qui souffrent de l'asthme avaient des problèmes. Même ceux qui n'étaient pas malades aussi. Ce n'était pas évident. Leur santé était menacée. J'avais peur. Ce n'était pas évident. Le souvenir est là. On ne l'a pas encore oublié. On avait vécu des moments très difficiles". 

Pour lui, les séquelles de cette période sont encore bien présentes, notamment pour les personnes les plus vulnérables : "Les séquelles sont toujours là chez certaines personnes malades. Les gaz lacrymogènes peuvent être toxiques. Il y avait des personnes vulnérables qui ont vues leurs maladies s’aggraver".

L'euphorie post-électorale s'estompe

L'élection de Bassirou Diomaye Faye, rendue possible par l'inéligibilité d'Ousmane Sonko, avait suscité un immense espoir, en particulier chez les jeunes. La promesse d'une rupture avec le passé, d'une gouvernance plus juste et plus transparente, avait galvanisé les foules. Mais un an après, la réalité semble bien différente des rêves de mars 2024.

Momar Ba, un jeune patriote, croisé non loin de la résidence de l'actuel Premier ministre, affiche pourtant une certaine satisfaction. Casquette sur la tête, un t-shirt orange vif porté sur un jean bleu délavé, il se montre enthousiaste. "On a récupéré beaucoup de milliards, le bilan est positif. Pastef est entrain de redresser le Sénégal. Beaucoup de personnes recevaient des salaires sans se rendre dans leurs lieux de travail. Le gouvernement sortant a laissé le Sénégal dans le chao ", témoigne le jeune homme. 

Ce dernier semble convaincu que le nouveau régime "est sur la bonne voie pour assainir les finances publiques et redresser le pays. "

Aïda Sy, une étudiante en licence dans une université de la place, rencontrée dans les rue de la cité partage cet optimisme. Elle souligne qu'il est encore trop tôt pour juger le bilan. "Celui qui a gouverné le pays 12 ans n’a pas pu assurer l’emploi des jeunes, je ne vois pas la pertinence de remettre en question la gouvernance de celui qui n’a fait que 1 an au pouvoir". Pour elle, il est nécessaire de laisser du temps à l'équipe Diomaye-Sonko pour mettre en œuvre les réformes promises et reconstruire le pays.

Cependant, cette patience n'est pas partagée par tous. Athoumane Dieye, un camarade d'Aïda Sy, est beaucoup plus critique. "Ils ont promis de rendre la vie moins chère mais aujourd'hui rien, pire les loyers augmentent… L’économie du pays est actuellement trop paralysée et les gens sont fatigués et trop inquiets", lâche-t-il, visiblement désabusé.

Il poursuit en dénonçant le manque d'actions concrètes et le sentiment que les promesses électorales n'étaient que des mirages. "Ils doivent poser plus d’actes, on a voté pour eux parce qu’ils nous ont vendu un rêve mais on se rend compte que c’était juste un rêve, que des paroles…"

Les promesses non tenues

L'une des principales critiques adressées au régime Diomaye-Sonko est le non-respect des engagements pris lors des campagnes électorales. Ousmane Sonko avait promis aux jeunes de rester au pays, assurant qu'ensemble, ils construiront un Sénégal prospère où chacun aura un emploi et où la vie sera moins chère. Ces promesses, qui avaient suscité un immense espoir, ne se sont pas encore concrétisées. Au contraire, de nombreux jeunes se sentent floués, abandonnés à leur sort.

Plusieurs vagues de licenciements dans certaines administrations publiques ont exacerbé le sentiment de frustration. Ces mesures, présentées comme des réajustements nécessaires pour assainir les effectifs, sont perçues par beaucoup comme "une trahison."

Assis devant un immeuble, en train de nettoyer ses chaussures, Élimane Sarr, un vigile du quartier de Ousmane Sonko, exprime son désarroi.  "Ce que je retiens, c'est qu' ils sont entrain d'enlever plusieurs soutiens de famille, le taux d'inflation augmente, ça va de mal en pire tout les jours", regrette-t-il. Pour lui, la situation économique ne fait que se dégrader, et le nouveau régime ne semble pas capable d'inverser la tendance.

Son collègue, présent à ses côtés, est encore plus virulent : "Cela nous apprendra à réfléchir à deux fois avant de mettre notre bulletin dans l'urne. chaque peuple mérite ses dirigeants. la malédiction ne fait que commencer, dommage pour la jeunesse inconsciente… Sonko peine a sauver son pays. Il n’ont pas de bilan tout ce qu’ils ont inauguré a été réalisé par le régime de Macky Sal. Ils n’ont pas eu l’honnêteté de le dire alors que quand ils étaient dans l’opposition, ils ont fustigé ces projets." Il accuse le nouveau gouvernement de n'avoir rien accompli de concret, et de se contenter de reprendre les projets lancés par l'ancien régime, sans même le reconnaître.

La flamme de l'espoir vacille

Malgré le désenchantement ambiant, certains habitants de la Cité Keur Gorgui restent fidèles à Ousmane Sonko et à son projet politique. Amdy, un jeune patriote rencontré dans une ruelle animée, tente de justifier les licenciements récents : "les recrutements abusifs de Macky pendant ses derniers mois de règne sont effacés raison pour laquelle il y’a ces vagues de licenciements. Nous serons toujours derrière le Pastef, et nous sommes fiers. Sonko a sauvé le Sénégal. Personne ne peut écrire l’histoire du Sénégal sans mentionner le nom de Sonko". Il réaffirme sa confiance au nouveau régime, assurant qu'il est capable de stabiliser le pays une fois que tous les problèmes seront réglés.

Youssouf Coly, un habitant de la cité, tresse également les lauriers de l’actuel régime. Vêtu de son uniforme de travail, il affirme avec fierté que « le Sénégal n’a jamais été aussi prospère que sous le régime d’Ousmane Sonko. » Il se souvient avec nostalgie des événements de mars, lorsqu'il « abandonnait son poste de travail pour aller manifester. Je crois en Sonko et au projet je me suis longuement battu pour eux et je ne le regrette pas. Aujourd’hui, on a eu gain de cause et tout ce pourquoi nous nous sommes battus s’est réalisé. Le Sénégal se porte bien et en un an, le nouveau régime a fait ce qu’aucun n’autre régime n’a jamais fait. » (Vidéo)


 

Entre désillusion et résilience

Un an après l'accession au pouvoir de Bassirou Diomaye Faye, la Cité Keur Gorgui est à la croisée des chemins. Les cicatrices du passé sont encore visibles, les espoirs de nombreux habitants ont été piétinés, et l'avenir s'annonce incertain.  Douze mois après son entrée en fonction le 2 avril 2024, le cinquième président sénégalais est à l'oeuvre, toutefois, les attentes sont énormes et les promesses nombreuses. Porté par un « état de grâce » et une légitimité politique et populaire, Bassirou Diomaye Faye a promis une gouvernance de rupture et de justice sociale dans le "jub, jubbal, jubbanti" qui peut se traduire par droiture, transparence et exemplarité.

Le président Bassirou Diomaye Faye qui a bénéficié de l’inéligibilité de son leader, Ousmane Sonko, partage l'exercice du pouvoir avec ce dernier tout en imposant son style et sa méthode de gouvernance. Le bilan est contrasté. Dans les rues de la cité, les avis divergent. Certains restent fidèles à leurs convictions, persuadés que le nouveau régime finira par tenir ses promesses. D'autres, désabusés, regrettent leur vote et craignent le pire pour l'avenir du pays.

https://youtu.be/3N4dL8OEE10?si=djJ0UziGx4sXvFqX

Ndèye Fatou Touré

Lundi 24 Mars 2025 - 09:06


div id="taboola-below-article-thumbnails">

Nouveau commentaire :
Facebook Twitter