L’histoire du Sénégal est certes jalonnée, au cours des cinq dernières décennies de graves événements, parfois d’une extrême violence, ayant ébranlé les pouvoirs en place. Ce fut el cas, entre autres en 1963, dans la région de Dakar, quelques mois après le faux coup d’État imputé à Mamadou Dia en décembre 1962, ou encore en 1988, à Thiès, pendant la campagne électorale, ainsi qu’à Dakar, en 1993, lors de la crise qui a suivi la réélection d’ Abdou Diouf. Mais ces violences pré et post électorales qui n’étaient pas sans rappeler les affrontements entre partisans de Léopold Sédar Senghor et de Lamine Guèye lors des scrutins législatifs de 1951 et 1956, sont à relier à l’effervescence politique et sociale qui a toujours entouré les campagnes électorales au Sénégal.
Or les manifestations d’envergure nationale sui se sont produites le jeudi 23 juin 2011, et dont certaines ont pris la forme d’une insurrection populaire contre le pouvoir en place, voire contre le système mis en place à partir de 2000, ont revêtu un caractère inédit. La mobilisation et la détermination de la population, toutes franges sociales confondues, sont apparues sous les traits d’une révolte contre le pouvoir et d’un rejet de la politique menée par le Président Wade. Dans un contexte économique et social très tendu, marqué depuis plusieurs mois, par des manifestations spontanées contre les coupures d’électricité, le passage en force d’’une révision de la Constitution tendant à modifier les règles du jeu électoral, dans le seul but de pérenniser le pouvoir de Wade, père et fils, a servi de catalyseur à une explosion populaire. Si les slogans rassembleurs dans tout le pays ont été placés sous la bannière du rejet du coup d’État constitutionnel et électoral projeté par Abdoulaye Wade, ils traduisaient tous l’exaspération de tout un peuple, face aux pratiques du pouvoir. Celles-ci ont notamment conduit à piétiner les intérêts supérieurs de la Nation, au profit des seuls intérêts d’une minorité agglutinée autour d’un clan familial.
Derrière la condamnation d’une loi scélérate portant la marque, tant sur le forme que sur le fond, d’un pouvoir autiste, la colère populaire visait avant tout, le Président de la République, qui dans l’exercice de ses fonctions n’a souvent obéi qu’à ses humeurs et ses caprices, bafouant s’il en était besoin, la Constitution et les institutions de la République. A ses yeux, l’État de droit n’a de sens que s’il se plie à ses volontés et l’État, en tant que tel, se confond avec sa propre personne ou avec la vision qu’il peut en avoir. C’est d’ailleurs de cette singulière conception des règles de fonctionnement de l’État et de la séparation des pouvoirs que procèdent les nombreuses réformes institutionnelles et constitutionnelles engagées au cours des dix dernières années, ainsi que l’instabilité ministérielle dont la périodicité frise la caricature. C’est à cette même démarche faisant fi des grands principes qui prévalent dans une démocratie représentative que se rattache le projet de loi de révision constitutionnelle qui ne répondait qu’à des convenances personnelles et familiales. Le recul du Président Wade, illustré par le retrait pur et simple du projet de loi, sous la pression populaire, a toutes les allures d’une rupture définitive du contrat entre Abdoulaye Wade et le peuple sénégalais. La journée du 23 juin 2011 signe l’échec d’une ultime tentative du Président de la République de reprendre la main et de lui éviter ainsi les affres d’une élection présidentielle de tous les dangers.
Arrivé au pouvoir, en 2000, dans une ambiance euphorique, le Président Wade est confronté, à huit mois de l’échéance électorale, à une situation politique inextricable que la somme des graves dérives de son exercice du pouvoir a rendu inévitable. Quoiqu’il fasse dans les prochains jours et les prochaines semaines, Abdoulaye Wade sait désormais que son impopularité révélée par les événements du 23 juin 2011 lui barre définitivement la route d’une éventuelle candidature au scrutin de 2012, déjà irrecevable juridiquement, et désormais inacceptable politiquement pour l’écrasante majorité des Sénégalais.
Le Président paie donc aujourd’hui au prix fort les nombreuses fautes qu’il a commises au cours de la dernière décennie. Quatre d’entre elles s’en détachent. La première, c’est d’avoir cru, et ses multiples actes en ont par la suite largement témoigné, que l’alternance de 2000 équivalait à un blanc seing accordé par les Sénégalais, oubliant au passage que les électeurs ont, à cette occasion, davantage exprimé un vote sanction à l’égard du candidat socialiste, qu’ils n’ont émis un vote d’adhésion à la personnalité d’Abdoulaye Wade. C’est ce malentendu originel, aggravé par le caractère narcissique du mode de gouvernement, qui a conduit à un exercice solitaire du pouvoir d’autant que son titulaire est convaincu qu’il a toujours raison contre tous les autres. Les dérives de sa politique, tant interne qu’internationale, ont souvent résulté de sa perception d’une mission quasi divine qui l’autorise à agir, sans tenir compte des avis des autres acteurs politiques, sommés de le suivre.
La deuxième série de fautes, qui est indissociable de la première, se rapporte à l’attitude de mépris que le Président sénégalais a toujours affichée publiquement à l’égard de son opposition, et de la classe politique en général, y compris pour son propre parti. Qui n’a en mémoire la terrible phrase qu’il a prononcée en 2004 : « j’ai beau cherché dans le camp de l’opposition, comme dans mon propre camp, je ne trouve personne qui soit susceptible de me succéder ». Se jouant des mots, de manière parfois blessante, il n’a eu de cesse de pourfendre l’incapacité des dirigeants de l’opposition ainsi que des principales figures de la société civile, d’offrir la moindre alternative politique.
Une troisième série de fautes qui a nourri l’exaspération populaire est à rechercher dans le fait que le Président, ayant souvent privilégié le lien direct avec le peuple, considéré comme une sorte de démocratie directe relayée par les seuls réseaux clientélistes, était exposé directement en cas de tempête politique. C’est bel et bien ce qui s’est passé le 23 juin où les manifestants s’en sont nommément pris à Abdoulaye Wade. Ne disposant d’aucun « fusible », la sortie de crise ne saurait se limiter au limogeage du Premier ministre, ou de quelque ministre que ce soit, voire à un changement de tête à l’Assemblée Nationale ou au Sénat.
La quatrième et dernière série de fautes renvoie à la dérive familiale du pouvoir. La mise en avant sur la scène politique de la fille et du fils, à l’occasion de grands événements, le FESMANN ou l’ANOCI, et les importantes responsabilités qui leur ont été confiées, ont largement contribué à asseoir le socle de l’impopularité d’Abdoulaye Wade. Les récentes images sur la poignée de main furtive de Karim Wade à Barack Obama et le voyage à « Canossa » qu’a été le séjour de quelques heures à Benghazi, n’ont fait qu’ajouter à la défiance des Sénégalais à l’égard d’une association aussi étroite de la famille à la conduite des affaires du pays.
Désormais, et quels que soient les scénarios imaginés pour se remettre en selle, le Président Wade doit admettre que le Sénégal est entré de fait dans une période de transition qui ne dit pas son nom, et qui va jusqu’à l’élection présidentielle de 2012. Le compte a rebours est donc enclenché et le Président gagnerait politiquement à fixer au gouvernement chargé de la conduire une seule et unique mission : tenir un scrutin libre et transparent d’où émergerait, par la voie du suffrage universel, la légitimité du nouveau Président élu.
Albert Bourgi guest éditorial à Sud quotidien
Or les manifestations d’envergure nationale sui se sont produites le jeudi 23 juin 2011, et dont certaines ont pris la forme d’une insurrection populaire contre le pouvoir en place, voire contre le système mis en place à partir de 2000, ont revêtu un caractère inédit. La mobilisation et la détermination de la population, toutes franges sociales confondues, sont apparues sous les traits d’une révolte contre le pouvoir et d’un rejet de la politique menée par le Président Wade. Dans un contexte économique et social très tendu, marqué depuis plusieurs mois, par des manifestations spontanées contre les coupures d’électricité, le passage en force d’’une révision de la Constitution tendant à modifier les règles du jeu électoral, dans le seul but de pérenniser le pouvoir de Wade, père et fils, a servi de catalyseur à une explosion populaire. Si les slogans rassembleurs dans tout le pays ont été placés sous la bannière du rejet du coup d’État constitutionnel et électoral projeté par Abdoulaye Wade, ils traduisaient tous l’exaspération de tout un peuple, face aux pratiques du pouvoir. Celles-ci ont notamment conduit à piétiner les intérêts supérieurs de la Nation, au profit des seuls intérêts d’une minorité agglutinée autour d’un clan familial.
Derrière la condamnation d’une loi scélérate portant la marque, tant sur le forme que sur le fond, d’un pouvoir autiste, la colère populaire visait avant tout, le Président de la République, qui dans l’exercice de ses fonctions n’a souvent obéi qu’à ses humeurs et ses caprices, bafouant s’il en était besoin, la Constitution et les institutions de la République. A ses yeux, l’État de droit n’a de sens que s’il se plie à ses volontés et l’État, en tant que tel, se confond avec sa propre personne ou avec la vision qu’il peut en avoir. C’est d’ailleurs de cette singulière conception des règles de fonctionnement de l’État et de la séparation des pouvoirs que procèdent les nombreuses réformes institutionnelles et constitutionnelles engagées au cours des dix dernières années, ainsi que l’instabilité ministérielle dont la périodicité frise la caricature. C’est à cette même démarche faisant fi des grands principes qui prévalent dans une démocratie représentative que se rattache le projet de loi de révision constitutionnelle qui ne répondait qu’à des convenances personnelles et familiales. Le recul du Président Wade, illustré par le retrait pur et simple du projet de loi, sous la pression populaire, a toutes les allures d’une rupture définitive du contrat entre Abdoulaye Wade et le peuple sénégalais. La journée du 23 juin 2011 signe l’échec d’une ultime tentative du Président de la République de reprendre la main et de lui éviter ainsi les affres d’une élection présidentielle de tous les dangers.
Arrivé au pouvoir, en 2000, dans une ambiance euphorique, le Président Wade est confronté, à huit mois de l’échéance électorale, à une situation politique inextricable que la somme des graves dérives de son exercice du pouvoir a rendu inévitable. Quoiqu’il fasse dans les prochains jours et les prochaines semaines, Abdoulaye Wade sait désormais que son impopularité révélée par les événements du 23 juin 2011 lui barre définitivement la route d’une éventuelle candidature au scrutin de 2012, déjà irrecevable juridiquement, et désormais inacceptable politiquement pour l’écrasante majorité des Sénégalais.
Le Président paie donc aujourd’hui au prix fort les nombreuses fautes qu’il a commises au cours de la dernière décennie. Quatre d’entre elles s’en détachent. La première, c’est d’avoir cru, et ses multiples actes en ont par la suite largement témoigné, que l’alternance de 2000 équivalait à un blanc seing accordé par les Sénégalais, oubliant au passage que les électeurs ont, à cette occasion, davantage exprimé un vote sanction à l’égard du candidat socialiste, qu’ils n’ont émis un vote d’adhésion à la personnalité d’Abdoulaye Wade. C’est ce malentendu originel, aggravé par le caractère narcissique du mode de gouvernement, qui a conduit à un exercice solitaire du pouvoir d’autant que son titulaire est convaincu qu’il a toujours raison contre tous les autres. Les dérives de sa politique, tant interne qu’internationale, ont souvent résulté de sa perception d’une mission quasi divine qui l’autorise à agir, sans tenir compte des avis des autres acteurs politiques, sommés de le suivre.
La deuxième série de fautes, qui est indissociable de la première, se rapporte à l’attitude de mépris que le Président sénégalais a toujours affichée publiquement à l’égard de son opposition, et de la classe politique en général, y compris pour son propre parti. Qui n’a en mémoire la terrible phrase qu’il a prononcée en 2004 : « j’ai beau cherché dans le camp de l’opposition, comme dans mon propre camp, je ne trouve personne qui soit susceptible de me succéder ». Se jouant des mots, de manière parfois blessante, il n’a eu de cesse de pourfendre l’incapacité des dirigeants de l’opposition ainsi que des principales figures de la société civile, d’offrir la moindre alternative politique.
Une troisième série de fautes qui a nourri l’exaspération populaire est à rechercher dans le fait que le Président, ayant souvent privilégié le lien direct avec le peuple, considéré comme une sorte de démocratie directe relayée par les seuls réseaux clientélistes, était exposé directement en cas de tempête politique. C’est bel et bien ce qui s’est passé le 23 juin où les manifestants s’en sont nommément pris à Abdoulaye Wade. Ne disposant d’aucun « fusible », la sortie de crise ne saurait se limiter au limogeage du Premier ministre, ou de quelque ministre que ce soit, voire à un changement de tête à l’Assemblée Nationale ou au Sénat.
La quatrième et dernière série de fautes renvoie à la dérive familiale du pouvoir. La mise en avant sur la scène politique de la fille et du fils, à l’occasion de grands événements, le FESMANN ou l’ANOCI, et les importantes responsabilités qui leur ont été confiées, ont largement contribué à asseoir le socle de l’impopularité d’Abdoulaye Wade. Les récentes images sur la poignée de main furtive de Karim Wade à Barack Obama et le voyage à « Canossa » qu’a été le séjour de quelques heures à Benghazi, n’ont fait qu’ajouter à la défiance des Sénégalais à l’égard d’une association aussi étroite de la famille à la conduite des affaires du pays.
Désormais, et quels que soient les scénarios imaginés pour se remettre en selle, le Président Wade doit admettre que le Sénégal est entré de fait dans une période de transition qui ne dit pas son nom, et qui va jusqu’à l’élection présidentielle de 2012. Le compte a rebours est donc enclenché et le Président gagnerait politiquement à fixer au gouvernement chargé de la conduire une seule et unique mission : tenir un scrutin libre et transparent d’où émergerait, par la voie du suffrage universel, la légitimité du nouveau Président élu.
Albert Bourgi guest éditorial à Sud quotidien
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