Amandine Gnanguenon : Le groupe Boko Haram a acquis une visibilité au niveau international. La réaction a été unanime. Maintenant l’objectif, c’est de négocier à sa manière. Il a vu qu’il avait attiré l’attention, maintenant il fait jouer une monnaie d’échange pour obtenir la libération de certains membres de son groupe.
Est-ce que c’est aussi une conséquence de la mobilisation internationale qui s’est mise en marche ?
Oui, maintenant l’attention est là et il y a un rapport de force que Boko Haram considère en sa faveur et qu’il va vouloir utiliser maintenant pour essayer de négocier et d’obtenir des solutions.
Depuis leur enlèvement il y a un mois, les familles des lycéennes sont très actives, très mobilisées. Elles manifestent quasi chaque jour pour réclamer une véritable action des autorités nigérianes. Finalement leur sort n’a ému que tardivement cette communauté internationale. Pourquoi un tel retard ?
La position du Nigeria y est pour beaucoup. Dans l’histoire de la position du pays, la demande d’une action de la communauté internationale est elle-même venue tardivement étant donné que le Nigeria ne voulait pas que des pays étrangers extérieurs, notamment occidentaux, s’immiscent dans cette affaire, considérée comme étant une question interne. Finalement, cette demande du Nigeria a ouvert la possibilité à la communauté internationale d’intervenir. Puis il y a aussi tout l’effet médiatique, un électrochoc, avec l’enlèvement de ces jeunes filles, et surtout l’annonce qui avait été faite d’en faire des esclaves et de les marier de force.
Ces enlèvements de jeunes filles, est-ce un tournant dans les actions du groupe?
Ce qui est sûr, c’est qu’on voit une montée en puissance depuis maintenant 2009 de la secte Boko Haram. Les actions se font de plus en plus maintenant contre des jeunes, contre des filles, contre les populations nigérianes plus spécifiquement, alors qu’on a eu aussi des enlèvements au niveau des Occidentaux, notamment au niveau de la frontière camerounaise. Ce qui est sûr, c’est qu' il y a une nouvelle stratégie de la part de la secte qui est maintenant d’acquérir une certaine visibilité et d’avoir des actions chocs qui sortent de sa sphère habituelle traditionnelle d’intervention, à savoir le Nord. On l’a vu notamment avec les attaques à Abuja.
Boko Haram se fait le relais des réseaux de proxénétisme aussi en Afrique. Ça aussi c’est également nouveau ?
Oui, on assiste à une tendance qui ressort, mais qui n’est pas nouvelle. C’est finalement le lien qui existe aujourd’hui avec des groupes qu’on peut qualifier de radicaux, de narco-jihadistes, en tout cas qui jouent sur une idéologie religieuse forte, et en même temps qui s’insèrent, qui entrent en interactions avec les réseaux de trafiquants, de criminalité. On a vu ça déjà au niveau du nord du Mali. Donc ce n’est pas du tout un phénomène nouveau, mais ce qui est sûr c’est que de plus en plus, il y a une articulation forte entre les réseaux de criminalité et des groupes politisés idéologiquement, qui essaient aussi de se faire de plus en plus visible au niveau national, puis surtout au niveau régional.
François Hollande a proposé la tenue d’un sommet africain sur la sécurité samedi à Paris. Cette proposition marque-t-elle une nouvelle étape dans l’investissement de Paris dans cette crise ? Que doit-on en attendre ?
Ça s’inscrit dans la continuité déjà du sommet de l'Elysée auquel les chefs d’Etat avaient assisté en décembre dernier. La position avait été prise par la France dans ce cadre-là d’organiser un mini-sommet sur la Centrafrique. Aujourd’hui, Jean-Yves Le Drian mène une tournée en Afrique de l’Ouest pour essayer de voir comment va s’articuler la régionalisation du dispositif militaire avec des pays comme la Mauritanie, le Sénégal et autres. C'est une logique de continuité dans les différentes actions qui ont été entreprises jusqu’à présent avec finalement, la volonté d’identifier clairement quels sont les moyens dont a besoin le Nigeria. Car personne n’a intérêt à avoir un pays comme le Nigeria s’effondrer. Le Mali est maintenant stabilisé, en tout cas au niveau politique, mais la Centrafrique est une grande interrogation. La révision du dispositif français montre bien qu’il y a encore des enjeux régionaux. Boko Haram s’inscrit aussi dans cette logique-là. On l’a vu avec les récents affrontements qui ont eu lieu au Niger.
Ça veut dire qu’au-delà de l’enlèvement de ces lycéennes, c’est la bataille contre le terrorisme en Afrique qui est réellement engagée ?
C’est clairement la posture de la plupart des pays qui se sont engagés à apporter un soutien au niveau du président Goodluck Jonathan. C’est finalement cette idée qu’il est nécessaire de prendre en compte la dimension régionale des conflits. Et le fait aussi que la coopération transfrontalière est essentielle. Il y a des besoins, il y a des frontières qui sont poreuses. Tout ceci pose plus largement la question des moyens dont ont besoin les armées africaines pour lutter contre ce type de menaces. Est-ce que déjà ils ont les moyens nécessaires ? Surtout, est-ce que les armées africaines, qui ont été formées par la plupart de ces pays - la France, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne -, ont aujourd’hui les capacités nécessaires pour répondre à des menaces qui ne sont clairement pas des menaces de petites guerres interétatiques, mais des menaces insurrectionnelles ?
Source : Rfi.fr
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