Le 30 juillet, aux alentours de 14h, un véhicule de police se gare devant le cercle municipal de Maroua. Comme d'autres journalistes, Ahmed Abba, 38 ans, vient d'assister à une réunion sur la sécurité organisée par le gouverneur de la région, 8 jours après un double-attentat qui a endeuillé la ville.
Les policiers demandent au correspondant de RFI en langue haoussa à Maroua de les suivre. Son arrestation se déroule « sans brutalité », précise un témoin de la scène. Ahmed Abba est gardé à vue pendant 15 jours, puis transféré dans les locaux des services de renseignements de Yaoundé où il est détenu au secret. Personne ne peut le voir, ni sa famille, ni son avocat, ni même un médecin, alors même qu'au cours de sa détention, il est passé à tabac. Il faut attendre 3 mois pour avoir de ses nouvelles. « Ahmed Abba est en bonne santé », assure le ministre de la Communication, Issa Bakary Tchiroma, sur RFI, le 30 octobre.
Graves entraves
Le 13 novembre 2015, il est interrogé par les enquêteurs de la gendarmerie nationale. Il apprend qu'il est poursuivi pour « complicité d'acte de terrorisme » et « non-dénonciation ». Il se voit reprocher d'avoir été en contact avec des membres du groupe islamiste Boko Haram et de ne pas avoir partagé avec les autorités des informations qu’il aurait pu recueillir. Il est transféré à la prison de Yaoundé où il est enchaîné pendant un mois. Sans qu'aucune instruction ne soit menée, le parquet le renvoie devant un tribunal militaire.
Son procès commence le 29 février 2016. À la barre, son avocat, Me Charles Tchoungang, met en avant les graves entraves à la procédure constatée pendant les sept premiers mois d'emprisonnement (tortures physiques, détention au secret, non-respect de la présomption d'innocence, etc.). Des considérations « impertinentes » pour le président du tribunal. Les demandes de libération sous surveillance et d'abandon des charges présentées par son avocat sont rejetées.
Pas de preuves, pas de témoins
Jusqu'à présent, Ahmed Abba a comparu à 4 reprises. Aucune audience n'a abordé le fond du dossier. Le tribunal n'a pas exposé d'éléments de preuves ni fourni la liste des témoins qu'il souhaite entendre. Le rapport d'enquête préliminaire de la gendarmerie ne contient aucun élément indiquant une quelconque sympathie et encore moins une quelconque collusion d'Ahmed Abba avec Boko Haram. RFI a réécouté les interventions à l'antenne d'Ahmed Abba : nous pouvons attester de la totale impartialité de son travail journaliste. « Le dossier est vide », abonde Me Charles Tchoungang. La prochaine audience est fixée au mercredi 3 août 2016.
Reporter Sans Frontières (RSF) dénonce une « incarcération arbitraire et abusive » basée sur des « accusations fallacieuses ». Poursuivre notre correspondant pour « non-dénonciation » est, pour RSF, une « atteinte au principe du respect de la protection des sources ». « C'est un principe inaliénable du journalisme, renchérit Denis Nkebo, le président du syndicat national des journalistes du Cameroun. Nous avons l'impression que les autorités confondent le rôle du journaliste avec celui d'agent du renseignement ».
Demande de libération
France Médias Monde, qui regroupe RFI, France 24 et MCD, demande aux autorités camerounaises de libérer Ahmed Abba. « Pour être implacable dans la lutte contre le terrorisme, il faut être juste, déclare Marie-Christine Saragosse, présidente directrice générale de FMM,invitée Afrique de RFI ce samedi 30 juillet. Commettre une erreur judiciaire, c'est s'affaiblir face aux terroristes. Il faut mettre un terme au calvaire de notre correspondant ».
Le cas d’Ahmed Abba n’est pas isolé. Trois autres journalistes camerounais sont poursuivis devant le tribunal militaire pour « non-dénonciation ». Baba Wamé, Rodrigue Tongué et Félix Ebolé Bola ont été inculpés en octobre 2014, mais comparaissent libres. Eux aussi sont accusés de ne pas avoir « partagé » des informations sensibles.
Source: Rfi.fr
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