Le fait est suffisamment rare pour être souligné : là où intervient habituellement le « porte-parole du gouvernement », c’est un communiqué du ministre d’État, secrétaire général de la présidence de la République, publié le 2 février 2023, qui a livré les premiers éléments officiels du « dossier », pour lequel le président Paul Biya avait prescrit la mise en place d’une « commission d’enquête mixte gendarmerie-police afin de faire la lumière sur l’assassinat du journaliste ».
Selon Ferdinand Ngoh Ngoh, « les investigations menées dans ce cadre ont permis l’arrestation de plusieurs personnes dont l’implication dans ce crime odieux est fortement suspectée. D’autres restent recherchées. » Et d’ajouter : « Les auditions en cours et les procédures judiciaires qui s'ensuivront permettront de circonscrire le degré d’implication des uns et des autres et d’établir l’identité de toutes les personnes mêlées à un titre ou à un autre à l’assassinat de Martinez Zogo. »
Les autorités sous pression
Le moins que l’on puisse dire, c’est que les autorités sont sous pression. Elles sont interpelées de toutes parts pour faire la lumière sur l’enlèvement, puis l’assassinat de Martinez Zogo, et d’appliquer les dispositions conséquentes de la loi. Conscient du climat de tension qui prévaut dans le pays, le gouvernement, qui a déjà lui-même condamné ce crime, multiplie des gestes dans la recherche de l’apaisement, et tente de rassurer l’opinion sur sa détermination à répondre aux attentes exprimées par des associations de journalistes, des hommes politiques et des leaders d’opinion.
De fait, au milieu de l’impressionnante vague d’indignation qui parcourt le pays, et le flot de condamnations de l’assassinat de l’animateur connu pour ses révélations de détournements de fonds publics mises sur le compte de certaines personnalités, émergent de vives critiques du régime en place. L’une des premières à être entendue est venue, comme naturellement, de la corporation de journalistes. La Fédération des éditeurs de presse (Fedipresse), l’un des principaux regroupements, n’y est pas allée par quatre chemins en affirmant qu’elle « tient le gouvernement camerounais, sa justice et son Parlement pour responsables de cette atmosphère de "Far West" qui ne laisse désormais plus de place ni au respect de la loi, ni à la protection des droits basiques de la personne humaine, ni à l’exercice de la liberté la plus élémentaire, celle de s’informer et de savoir ».
Les leaders politiques parmi les plus en vue ne ratent pas l’occasion d’interpeler le pouvoir. « La disparition de Martinez Zogo dans les conditions bestiales imposées par ses bourreaux est un signe très inquiétant pour nos institutions en état de balbutiement. Le Cameroun est devenu l’Italie des années 1980 à 1990 où la Cosa Nostra [nom d’une des branches de la mafia italienne, NDLR] imposait tout sur son passage », s’insurge Jean Michel Nintcheu, député du Social Democratic Front (SDF), parti d’opposition à l’Assemblée nationale.
« Vive consternation »
Les milieux d’affaires ne sont pas en reste. En faisant part de sa « vive consternation » face à « la nouvelle du décès de Monsieur Martinez Zogo, survenu dans des circonstances pour le moins troubles », le Groupement inter-patronal du Cameroun (Gicam), par la voix de son président, Célestin Wamba, « saisit l’occasion de cette monstrueuse tragédie » « pour rappeler que dans tous les pays, le premier moteur de l’investissement est la confiance qu’induit une sécurité minimale assurée aux personnes et à leurs biens par les pouvoirs publics ». Et cela, non sans « souligner que la peur que génèrent les insécurités de toutes natures est un frein à l’investissement aussi bien endogène qu’étranger ».
Dans la foulée, les voix d’une vingtaine de personnalités camerounaises, dont un certain nombre d’universitaires à la notoriété établie, tels Ambroise Kom, Achille Mbembe ou Alexie Theuyap, se font entendre. Dans une tribune rendue publique le 1er février, les auteurs dressent une liste de « dizaines d’assassinats non élucidés à nos jours », et font remarquer que « les forces obscures qui sont les instigatrices de ces crimes perpétuent une longue tradition de banalisation de l’impunité et d’acceptation de l’atrocité visant à faire peur et détourner les citoyens de leur devoir de veille sur la qualité de la gestion des affaires publiques ». Ils ajoutent : « L’ "addiction" à la violence contre les corps intermédiaires, à l’instar notamment de la presse, des syndicats, du clergé, et des associations, a également pour effet de susciter le dégoût ou l’indifférence du peuple vis-à-vis de la politique. La puissance des images de corps profanés et l’impuissance de la justice forment un cocktail de psychotropes anesthésiants ».
« Garantir et protéger la liberté d’expression »
Pour leur part, déjà préoccupés par de nombreux assassinats des membres du clergé, demeurés énigmatiques, les évêques du Cameroun, regroupés au sein de la Conférence épiscopale nationale du Cameroun, tout en faisant part de leur « tristesse et de [leur] consternation » à la suite de « la mort tragique » de Martinez Zogo, observent que « ce triste événement vient marquer un tournant regrettable dans l’histoire de notre pays qui malheureusement baigne sous l’emprise de la violence depuis quelque temps, et ce, malgré le désir ardent des populations à vivre dans la paix et l’unité ». Par la même occasion, les prélats interpellent « l’État [qui] doit garantir et protéger la liberté d’expression, davantage dans un contexte où la situation politico-socio-économique ne permet pas le plein épanouissement de tous. »
Au-delà de ces prises de position, des actions en vue d’une mobilisation spectaculaire et populaire ont été envisagées, avant d’être contrariées par l’administration. Illustration : le député Cabral Libii, du Parti camerounais pour la réconciliation nationale (PCRN) projetait d’organiser, le 12 février prochain à Yaoundé, une « réunion publique ». Tirant prétexte de « l’assassinat odieux de l’homme des médias Martinez Zogo », il s’agissait, selon l’élu à l’Assemblée nationale, d’un « rassemblement en un lieu unique de leaders politiques et associatifs, entourés de leurs militants et sympathisants, des adhérents et citoyens volontaires, pour exprimer l’appel à la sécurité et à la justice dans notre pays ». Cette initiative qui, selon la loi, devrait faire l’objet d’une déclaration auprès de l’autorité administrative, n’a pas reçu l'aval du sous-préfet local, qui estime ne pouvoir « prendre le risque de laisser se dérouler un tel rassemblement fortement susceptible de dégénérer ».
À l’évidence, l’affaire Martinez Zogo est un sujet particulièrement sensible dans un pays où la chronique des dossiers non élucidés, malgré la création des commissions d’enquête, est riche d’illustrations. Et dans les esprits, le dossier est perçu comme un révélateur supplémentaire de la guerre des clans qui bat son plein au sein du régime, en vue de la succession du président Biya, qui fêtera ses 90 ans le 13 février prochain. De quoi alimenter un certain scepticisme quant à la capacité des autorités à tenir les engagements proclamés au sujet de cette « affaire », jusqu’au bout ?
Selon Ferdinand Ngoh Ngoh, « les investigations menées dans ce cadre ont permis l’arrestation de plusieurs personnes dont l’implication dans ce crime odieux est fortement suspectée. D’autres restent recherchées. » Et d’ajouter : « Les auditions en cours et les procédures judiciaires qui s'ensuivront permettront de circonscrire le degré d’implication des uns et des autres et d’établir l’identité de toutes les personnes mêlées à un titre ou à un autre à l’assassinat de Martinez Zogo. »
Les autorités sous pression
Le moins que l’on puisse dire, c’est que les autorités sont sous pression. Elles sont interpelées de toutes parts pour faire la lumière sur l’enlèvement, puis l’assassinat de Martinez Zogo, et d’appliquer les dispositions conséquentes de la loi. Conscient du climat de tension qui prévaut dans le pays, le gouvernement, qui a déjà lui-même condamné ce crime, multiplie des gestes dans la recherche de l’apaisement, et tente de rassurer l’opinion sur sa détermination à répondre aux attentes exprimées par des associations de journalistes, des hommes politiques et des leaders d’opinion.
De fait, au milieu de l’impressionnante vague d’indignation qui parcourt le pays, et le flot de condamnations de l’assassinat de l’animateur connu pour ses révélations de détournements de fonds publics mises sur le compte de certaines personnalités, émergent de vives critiques du régime en place. L’une des premières à être entendue est venue, comme naturellement, de la corporation de journalistes. La Fédération des éditeurs de presse (Fedipresse), l’un des principaux regroupements, n’y est pas allée par quatre chemins en affirmant qu’elle « tient le gouvernement camerounais, sa justice et son Parlement pour responsables de cette atmosphère de "Far West" qui ne laisse désormais plus de place ni au respect de la loi, ni à la protection des droits basiques de la personne humaine, ni à l’exercice de la liberté la plus élémentaire, celle de s’informer et de savoir ».
Les leaders politiques parmi les plus en vue ne ratent pas l’occasion d’interpeler le pouvoir. « La disparition de Martinez Zogo dans les conditions bestiales imposées par ses bourreaux est un signe très inquiétant pour nos institutions en état de balbutiement. Le Cameroun est devenu l’Italie des années 1980 à 1990 où la Cosa Nostra [nom d’une des branches de la mafia italienne, NDLR] imposait tout sur son passage », s’insurge Jean Michel Nintcheu, député du Social Democratic Front (SDF), parti d’opposition à l’Assemblée nationale.
« Vive consternation »
Les milieux d’affaires ne sont pas en reste. En faisant part de sa « vive consternation » face à « la nouvelle du décès de Monsieur Martinez Zogo, survenu dans des circonstances pour le moins troubles », le Groupement inter-patronal du Cameroun (Gicam), par la voix de son président, Célestin Wamba, « saisit l’occasion de cette monstrueuse tragédie » « pour rappeler que dans tous les pays, le premier moteur de l’investissement est la confiance qu’induit une sécurité minimale assurée aux personnes et à leurs biens par les pouvoirs publics ». Et cela, non sans « souligner que la peur que génèrent les insécurités de toutes natures est un frein à l’investissement aussi bien endogène qu’étranger ».
Dans la foulée, les voix d’une vingtaine de personnalités camerounaises, dont un certain nombre d’universitaires à la notoriété établie, tels Ambroise Kom, Achille Mbembe ou Alexie Theuyap, se font entendre. Dans une tribune rendue publique le 1er février, les auteurs dressent une liste de « dizaines d’assassinats non élucidés à nos jours », et font remarquer que « les forces obscures qui sont les instigatrices de ces crimes perpétuent une longue tradition de banalisation de l’impunité et d’acceptation de l’atrocité visant à faire peur et détourner les citoyens de leur devoir de veille sur la qualité de la gestion des affaires publiques ». Ils ajoutent : « L’ "addiction" à la violence contre les corps intermédiaires, à l’instar notamment de la presse, des syndicats, du clergé, et des associations, a également pour effet de susciter le dégoût ou l’indifférence du peuple vis-à-vis de la politique. La puissance des images de corps profanés et l’impuissance de la justice forment un cocktail de psychotropes anesthésiants ».
« Garantir et protéger la liberté d’expression »
Pour leur part, déjà préoccupés par de nombreux assassinats des membres du clergé, demeurés énigmatiques, les évêques du Cameroun, regroupés au sein de la Conférence épiscopale nationale du Cameroun, tout en faisant part de leur « tristesse et de [leur] consternation » à la suite de « la mort tragique » de Martinez Zogo, observent que « ce triste événement vient marquer un tournant regrettable dans l’histoire de notre pays qui malheureusement baigne sous l’emprise de la violence depuis quelque temps, et ce, malgré le désir ardent des populations à vivre dans la paix et l’unité ». Par la même occasion, les prélats interpellent « l’État [qui] doit garantir et protéger la liberté d’expression, davantage dans un contexte où la situation politico-socio-économique ne permet pas le plein épanouissement de tous. »
Au-delà de ces prises de position, des actions en vue d’une mobilisation spectaculaire et populaire ont été envisagées, avant d’être contrariées par l’administration. Illustration : le député Cabral Libii, du Parti camerounais pour la réconciliation nationale (PCRN) projetait d’organiser, le 12 février prochain à Yaoundé, une « réunion publique ». Tirant prétexte de « l’assassinat odieux de l’homme des médias Martinez Zogo », il s’agissait, selon l’élu à l’Assemblée nationale, d’un « rassemblement en un lieu unique de leaders politiques et associatifs, entourés de leurs militants et sympathisants, des adhérents et citoyens volontaires, pour exprimer l’appel à la sécurité et à la justice dans notre pays ». Cette initiative qui, selon la loi, devrait faire l’objet d’une déclaration auprès de l’autorité administrative, n’a pas reçu l'aval du sous-préfet local, qui estime ne pouvoir « prendre le risque de laisser se dérouler un tel rassemblement fortement susceptible de dégénérer ».
À l’évidence, l’affaire Martinez Zogo est un sujet particulièrement sensible dans un pays où la chronique des dossiers non élucidés, malgré la création des commissions d’enquête, est riche d’illustrations. Et dans les esprits, le dossier est perçu comme un révélateur supplémentaire de la guerre des clans qui bat son plein au sein du régime, en vue de la succession du président Biya, qui fêtera ses 90 ans le 13 février prochain. De quoi alimenter un certain scepticisme quant à la capacité des autorités à tenir les engagements proclamés au sujet de cette « affaire », jusqu’au bout ?
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