« Chaque jour, les casques bleus aident à instaurer la paix et la stabilité dans des sociétés déchirées par la guerre partout dans le monde. » C’est en ces termes que le nouveau secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a rendu hommage aux casques bleus, dans le cadre des célébrations de la Journée du 29-Mai qui leur est consacrée. A New York, les célébrations ont eu lieu cette année jeudi dernier, avec quelques jours d’avance sur la date réelle pour cause de jour férié.
Le 29-Mai commémore le début de la toute première mission de paix de l’ONU en 1948, assurée à l’époque par des soldats qui ne s’appelaient pas encore des casques bleus. L’appellation renvoie au casque de couleur « bleu ONU » dont les militaires œuvrant sous l’égide des Nations unies sont coiffés. Cette Journée sert à rendre hommage aux 124 000 militaires, policiers et civils qui sont déployés dans les 16 opérations de maintien de la paix en cours en ce moment sur quatre continents. Neuf des 16 opérations se déroulent en Afrique.
A l'occasion de la Journée internationale des Casques bleus, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, s'est déclaré déterminer à poursuivre les réformes des opérations de la paix. © REUTERS/Feisal Omar
« La Journée internationale des casques bleus est très importante, explique Jean-Pierre Lacroix, qui dirige le département des opérations de maintien de la paix au siège des Nations unies, à New York, parce que c’est le rendez-vous annuel pour rendre hommage aux soldats de la paix, aux personnels civils des opérations de maintien de la paix et de rendre un hommage tout particulier à ceux qui ont perdu la vie au service de la paix et des Nations unies. Et puis, elle est aussi très importante pour souligner la valeur ajoutée des opérations de maintien de la paix. Tous les jours, des personnes impliquées dans les opérations de maintien de la paix, civils et militaires, sauvent des vies et tous les jours, ils travaillent pour faire avancer le processus politique. »
Crise des opérations de la paix
Le portrait un peu idyllique des casques bleus que brosse Jean-Pierre Lacroix ne peut faire oublier la dégradation de l’image de ces contingents onusiens au cours des dernières décennies. Comment s’explique cette dégradation ? Des analystes parlent même de la « crise » du maintien de la paix aux Nations unies. Les raisons de cette crise seraient plus profondes que les allégations d’inconduite sexuelle portées contre les casques bleus, notamment en Afrique, mais aussi en Haïti ou au Cambodge.
Or, la crise que traverse l’action du maintien de la paix des Nations unies est essentiellement liée au changement profond d’environnement stratégique pendant
Les casques bleu en mission au Soudan du sud. © AFP/Charles Atiki Lomodong
l’après-guerre froide. Le monde s’est fragilisé et les Nations unies sont plus souvent sollicitées pour venir faire le gendarme dans tous les points chauds de la planète où les armées occidentales ne veulent pas s’aventurer. Ainsi, alors qu’entre 1948 et 1988, il n’y a eu que 15 OMP ou opérations de maintien de la paix, l’ONU a dû mettre sur pied 56 missions entre 1988 et 2015. Le nombre des casques bleus a aussi été multiplié par six. Les effectifs déployés dans certaines missions peuvent aller jusqu’à 20 000 membres, notamment à la République démocratique du Congo et au Darfour, où se déroulent respectivement la Mission des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco) et l’opération hybride Union africaine-ONU (Minuad). Ils étaient une centaine autrefois.
Ces missions surdimensionnées s’expliquent par la modification de la nature même des conflits, comme le rappelle Jean-Pierre Lacroix : « Les affrontements internes ont remplacé des guerres traditionnelles entre Etats, avec la montée des groupes armés et des conflits asymétriques liés à l’émergence du terrorisme transfrontalier. » Face à ces nouvelles menaces qu’évoque le patron des casques bleus et dans le contexte des Etats fragilisés, la stratégie du maintien de la paix a dû évoluer. Dès les années 1990, les casques bleus ne sont plus de simples forces d’interposition, vouées à servir de tampons entre des Etats ennemis. C’est tout le paradigme en matière de gestion de conflits qui a dû s’adapter aux nouvelles réalités. L’ONU est passée de simple maintien de la paix à un engagement multidimensionnel pour la construction de la paix consistant à désarmer les combattants et à réconcilier les peuples, mais aussi à reconstruire les institutions, promouvoir des réformes économiques, etc.
C’est ce qu’explique Sandra Szurek, professeur émérite spécialiste du droit international et auteur d’un article sur les réformes du dispositif des casques bleus paru en janvier dernier dans Le Monde diplomatique : « Initialement chargées de la seule surveillance du cessez-le-feu entre deux Etats, les Nations unies se sont lancées ces dernières années dans des opérations qui mobilisent à la fois un nombre important de militaires et des personnels civils dans le cadre d’un engagement multidimensionnel. L’objectif n’est plus de maintenir la paix dans un Etat, mais de le reconstruire, de restaurer l’autorité de l’Etat, de protéger des civils, d’appuyer la tenue d’élections libres et régulières, et bien d’autres missions encore. »
Ces mandats étendus dont parle la spécialiste sont souvent contestés sur le terrain, d’autant que les soldats de l’ONU qui proviennent pour l’essentiel des pays pauvres souvent sous-équipés et surtout mal formés pour faire face aux nouveaux défis. D’où l’inefficacité de certaines missions qui est pointée du doigt par l’administration Trump déterminée à effectuer des coupes sombres dans le budget du DOMP, le département chargé des opérations de maintien de la paix.
Réformes
Le nouveau secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres, lui, semble déterminé à réformer les opérations de paix de l'ONU pour les rendre plus efficaces en les adaptant aux défis du monde actuel. C’est ce qu’il a répété aux cérémonies - pré-programmées cette année - du 29-Mai en rappelant notamment que la réussite de chaque mission dépend du processus politique impliquant toutes les parties prenantes, les belligérants tout comme le gouvernement. « Le maintien de la paix ne peut être efficace, rappelle Sandra Szurek, surtout dans des situations de guerre civile où de différentes factions se font face, sans qu’il y ait une action politique permanente pour tenter de ramener les uns et les autres à des compromis. »
Dans son article dans Le Monde diplomatique, la spécialiste rappelle que les réformes ont d’ailleurs commencé dès 2000 avec le rapport Brahimi qui appelait le Conseil de sécurité, qui seul peut autoriser le déploiement des forces des Nations unies, à donner aux casques bleus des mandats clairs, établissant des priorités entre les objectifs. L'homme est aussi à l'origine de l’idée d’une force de dissuasion pour empêcher des massacres ou pour se protéger. Les attaques dont les membres des forces du maintien de la paix de l’ONU sont souvent victimes, avec 3500 soldats de la paix qui ont perdu la vie en mission depuis le début et le pic de 117 soldats tués atteint en 2016, ont relancé l’idée de la force de dissuasion.
D’autres nouveautés telles que le recours systématique aux technologies modernes ainsi que la présence des femmes en plus grand nombre dans les contingents, sont aussi sur la table. Antonio Guterres attend de recevoir en juin les recommandations de l'équipe de haut niveau qu'il a formée, avant de trancher sur le choix des réformes prioritaires.
L’enjeu de ces réformes est double : rétablir les honneurs perdus des casques bleus et persuader les Américains de continuer à soutenir les OMP en réduisant drastiquement leurs coûts. Le secrétaire général qui a annoncé la fin prochaine de plusieurs missions déployées de longue date telles que celles en Côte d’Ivoire et au Liberia. Il a en même temps mis les point sur les « i » en rappelant que le budget du maintien de la paix qui est cette année de l’ordre de 8 milliards de dollars. Il « représente moins de 0,5 % des dépenses militaires mondiales ».
Il n’est toutefois pas du tout certain que la représentante permanente américaine auprès des Nations unies, Niki Haley, qui a fait vœu de réformer les Nations unies en « faisant disparaître » toutes ses activités « obsolètes », se laisse convaincre facilement. Les Américains auraient, si l’on en croit les diplomates français basés à New York, mis en place un audit des 16 opérations de maintien de la paix onusiennes en cours.
Le 29-Mai commémore le début de la toute première mission de paix de l’ONU en 1948, assurée à l’époque par des soldats qui ne s’appelaient pas encore des casques bleus. L’appellation renvoie au casque de couleur « bleu ONU » dont les militaires œuvrant sous l’égide des Nations unies sont coiffés. Cette Journée sert à rendre hommage aux 124 000 militaires, policiers et civils qui sont déployés dans les 16 opérations de maintien de la paix en cours en ce moment sur quatre continents. Neuf des 16 opérations se déroulent en Afrique.
A l'occasion de la Journée internationale des Casques bleus, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, s'est déclaré déterminer à poursuivre les réformes des opérations de la paix. © REUTERS/Feisal Omar
« La Journée internationale des casques bleus est très importante, explique Jean-Pierre Lacroix, qui dirige le département des opérations de maintien de la paix au siège des Nations unies, à New York, parce que c’est le rendez-vous annuel pour rendre hommage aux soldats de la paix, aux personnels civils des opérations de maintien de la paix et de rendre un hommage tout particulier à ceux qui ont perdu la vie au service de la paix et des Nations unies. Et puis, elle est aussi très importante pour souligner la valeur ajoutée des opérations de maintien de la paix. Tous les jours, des personnes impliquées dans les opérations de maintien de la paix, civils et militaires, sauvent des vies et tous les jours, ils travaillent pour faire avancer le processus politique. »
Crise des opérations de la paix
Le portrait un peu idyllique des casques bleus que brosse Jean-Pierre Lacroix ne peut faire oublier la dégradation de l’image de ces contingents onusiens au cours des dernières décennies. Comment s’explique cette dégradation ? Des analystes parlent même de la « crise » du maintien de la paix aux Nations unies. Les raisons de cette crise seraient plus profondes que les allégations d’inconduite sexuelle portées contre les casques bleus, notamment en Afrique, mais aussi en Haïti ou au Cambodge.
Or, la crise que traverse l’action du maintien de la paix des Nations unies est essentiellement liée au changement profond d’environnement stratégique pendant
Les casques bleu en mission au Soudan du sud. © AFP/Charles Atiki Lomodong
l’après-guerre froide. Le monde s’est fragilisé et les Nations unies sont plus souvent sollicitées pour venir faire le gendarme dans tous les points chauds de la planète où les armées occidentales ne veulent pas s’aventurer. Ainsi, alors qu’entre 1948 et 1988, il n’y a eu que 15 OMP ou opérations de maintien de la paix, l’ONU a dû mettre sur pied 56 missions entre 1988 et 2015. Le nombre des casques bleus a aussi été multiplié par six. Les effectifs déployés dans certaines missions peuvent aller jusqu’à 20 000 membres, notamment à la République démocratique du Congo et au Darfour, où se déroulent respectivement la Mission des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco) et l’opération hybride Union africaine-ONU (Minuad). Ils étaient une centaine autrefois.
Ces missions surdimensionnées s’expliquent par la modification de la nature même des conflits, comme le rappelle Jean-Pierre Lacroix : « Les affrontements internes ont remplacé des guerres traditionnelles entre Etats, avec la montée des groupes armés et des conflits asymétriques liés à l’émergence du terrorisme transfrontalier. » Face à ces nouvelles menaces qu’évoque le patron des casques bleus et dans le contexte des Etats fragilisés, la stratégie du maintien de la paix a dû évoluer. Dès les années 1990, les casques bleus ne sont plus de simples forces d’interposition, vouées à servir de tampons entre des Etats ennemis. C’est tout le paradigme en matière de gestion de conflits qui a dû s’adapter aux nouvelles réalités. L’ONU est passée de simple maintien de la paix à un engagement multidimensionnel pour la construction de la paix consistant à désarmer les combattants et à réconcilier les peuples, mais aussi à reconstruire les institutions, promouvoir des réformes économiques, etc.
C’est ce qu’explique Sandra Szurek, professeur émérite spécialiste du droit international et auteur d’un article sur les réformes du dispositif des casques bleus paru en janvier dernier dans Le Monde diplomatique : « Initialement chargées de la seule surveillance du cessez-le-feu entre deux Etats, les Nations unies se sont lancées ces dernières années dans des opérations qui mobilisent à la fois un nombre important de militaires et des personnels civils dans le cadre d’un engagement multidimensionnel. L’objectif n’est plus de maintenir la paix dans un Etat, mais de le reconstruire, de restaurer l’autorité de l’Etat, de protéger des civils, d’appuyer la tenue d’élections libres et régulières, et bien d’autres missions encore. »
Ces mandats étendus dont parle la spécialiste sont souvent contestés sur le terrain, d’autant que les soldats de l’ONU qui proviennent pour l’essentiel des pays pauvres souvent sous-équipés et surtout mal formés pour faire face aux nouveaux défis. D’où l’inefficacité de certaines missions qui est pointée du doigt par l’administration Trump déterminée à effectuer des coupes sombres dans le budget du DOMP, le département chargé des opérations de maintien de la paix.
Réformes
Le nouveau secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres, lui, semble déterminé à réformer les opérations de paix de l'ONU pour les rendre plus efficaces en les adaptant aux défis du monde actuel. C’est ce qu’il a répété aux cérémonies - pré-programmées cette année - du 29-Mai en rappelant notamment que la réussite de chaque mission dépend du processus politique impliquant toutes les parties prenantes, les belligérants tout comme le gouvernement. « Le maintien de la paix ne peut être efficace, rappelle Sandra Szurek, surtout dans des situations de guerre civile où de différentes factions se font face, sans qu’il y ait une action politique permanente pour tenter de ramener les uns et les autres à des compromis. »
Dans son article dans Le Monde diplomatique, la spécialiste rappelle que les réformes ont d’ailleurs commencé dès 2000 avec le rapport Brahimi qui appelait le Conseil de sécurité, qui seul peut autoriser le déploiement des forces des Nations unies, à donner aux casques bleus des mandats clairs, établissant des priorités entre les objectifs. L'homme est aussi à l'origine de l’idée d’une force de dissuasion pour empêcher des massacres ou pour se protéger. Les attaques dont les membres des forces du maintien de la paix de l’ONU sont souvent victimes, avec 3500 soldats de la paix qui ont perdu la vie en mission depuis le début et le pic de 117 soldats tués atteint en 2016, ont relancé l’idée de la force de dissuasion.
D’autres nouveautés telles que le recours systématique aux technologies modernes ainsi que la présence des femmes en plus grand nombre dans les contingents, sont aussi sur la table. Antonio Guterres attend de recevoir en juin les recommandations de l'équipe de haut niveau qu'il a formée, avant de trancher sur le choix des réformes prioritaires.
L’enjeu de ces réformes est double : rétablir les honneurs perdus des casques bleus et persuader les Américains de continuer à soutenir les OMP en réduisant drastiquement leurs coûts. Le secrétaire général qui a annoncé la fin prochaine de plusieurs missions déployées de longue date telles que celles en Côte d’Ivoire et au Liberia. Il a en même temps mis les point sur les « i » en rappelant que le budget du maintien de la paix qui est cette année de l’ordre de 8 milliards de dollars. Il « représente moins de 0,5 % des dépenses militaires mondiales ».
Il n’est toutefois pas du tout certain que la représentante permanente américaine auprès des Nations unies, Niki Haley, qui a fait vœu de réformer les Nations unies en « faisant disparaître » toutes ses activités « obsolètes », se laisse convaincre facilement. Les Américains auraient, si l’on en croit les diplomates français basés à New York, mis en place un audit des 16 opérations de maintien de la paix onusiennes en cours.
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