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Contribution-Fesman : Senghor et Wade à la confluence de la Négritude



Contribution-Fesman : Senghor et Wade à la confluence de la Négritude
«Etre nous-mêmes, en cultivant nos valeurs propres, telles que nous les avons retrouvées aux sources de l’art nègre : celles-là qui, par-delà l’unité profonde du genre humain, parce que nées de données biologiques, géographiques et historiques, sont la marque de notre originalité dans la pensée, dans le sentiment, dans l’action», a indiqué l’ancien poète-président de la République du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, par ailleurs initiateur du premier Festival mondial des arts nègres tenu à Dakar en avril 1966.

Le Petit Larousse de la langue française définit le mot « renaissance » comme une seconde ou nouvelle naissance, c'est-à-dire l’action de renaître. Le concept «renaissance africaine» renvoie-t-il à l’idée selon laquelle l’Afrique, morte, doit être ressuscitée ? Loin s’en faut ! L’Afrique est le berceau de l’Humanité et, par là, de toutes les civilisations. Le continent noir a connu les grands empires, notamment la constitution de grands espaces comme le Mali ou le Ghana, les méthodes traditionnelles de régulation de la vie politique, économique (à travers le commerce entre communautés africaines et entre communautés d’Afrique et du monde arabe par exemple), l’existence d’un fonds culturel différent de la barbarie…

Malgré cette longue pratique de la politique, du commerce avec les autres peuples, dans l’aspect convivial comme dans celui commercial, l’Afrique a été spoliée, pendant des siècles, à la faveur de pratiques barbares comme l’esclavage et la colonisation. Le mépris culturel est dénoncé par tous les regroupements pour l’affirmation de la personnalité des Noires. L’Occident a construit un argumentaire pour asseoir les fondements idéologiques de la domination : une mission messianique pour civiliser des peuples paresseux, sauvages, peu enclins à la créativité et pas du tout ouverts à la marche de l’horloge émancipatrice du monde. Après le refus de la traite des noirs, de la colonisation et de toutes leurs conséquences sur le statut juridique des Noirs et de la perception de leur place dans la trajectoire des peuples de la terre, il appartient aux Africains et à la Diaspora de lutter pour affirmer leur identité culturelle. Les contextes ont certes changé. La Négritude a entrepris de corriger cette propension à faire table rase des cultures nègres. C’était une réponse au mépris culturel dont l’essence a été portée par des intellectuels, philosophes, historiens, scientifiques et ethnologues dont les travaux ont servi de bréviaire aux explorateurs des terres fermées à la Révolution industrielle et, généralement, au progrès de l’Humanité. Bien sûr, le mot « Négritude » appartient à une autre occurrence. Cependant, dans sa substance, dans sa pertinence historique comme dans sa perspective visionnaire, le discours de Senghor reste plus que jamais actuel. Surtout lorsqu’il invite à « être nous-mêmes », non sans emprunts, mais pas par procuration : «Je dis : par notre effort personnel - collectif en même temps - et pour nous-mêmes. Sans quoi, nous ne serions que de mauvaises copies des autres au Musée vivant, comme l’ont été les Nègres d’Amérique sous l’esclavage, jusqu’à la fin du XIX siècle, comme nous l’avons été, Nègres d’Afrique, sous la colonisation, jusqu’à la veille de la deuxième guerre mondiale».

Les mots de ce contexte s’adaptent merveilleusement à un autre temps, celui de la Renaissance. La mondialisation, dans sa conception, est une sorte d’antidote à la domination idéologique. Dans les faits, elle est une douce réplique de la domination coloniale. L’indépendance politique et économique se dilue dans la dépendance produite par la configuration des forces sur les espaces commercial et diplomatique. Le plus fort n’a plus la chicotte et les chaînes. Il a le sourire condescendant du détenteur du chéquier qui s’applique la bonne vieille règle : « Qui paie commande ».

L’évolution de la Renaissance


Sous ce rapport, il n’existe pas de conflit d’opportunité entre la « Négritude » et la « Renaissance ». La première trouvaille du Monde noir peut même être abordée comme un point dans le processus de formulation et de promotion des idées de la Renaissance africaine. L’histoire de cette Renaissance africaine peut être contée à travers les différentes phases de son évolution dans le temps et dans l’espace. Nous avons l’étape de la «naissance» qui prend ses racines dans la lutte contre l’esclavage. Elle s’est prolongée jusqu’à la veille de la Première guerre mondiale, avec la mort presque simultanée de ses précurseurs dans la diaspora noire. Il s’agit de Henry Sylvester Williams (1869-1911), qui était un avocat et un écrivain britannique et de l’idéologue Edward Wilmot Blyden (1832- 1912). Inscrit au barreau anglais au XIXe siècle, M. Williams fut un actif partisan du mouvement panafricain. Il avait noué des rapports étroits avec les Noirs africains de Grande-Bretagne, et les conseilla juridiquement. En 1900, au moment de l'exposition coloniale, il convoqua une conférence à Londres contre l'accaparement des terres coutumières par les Européens. Selon Du Bois, c'est cette conférence qui mit, pour la première fois, à la mode le mot « panafricanisme».

Alors que son aîné américain, M. Blyden, a porté le combat de l’affirmation de l’identité noire à cause du racisme dont il a été victime étant adolescent. Faut-il préciser qu’en 1850, à l’âge de 18 ans, il a posé sa candidature au «Rutgers Theological College», mais à cause de sa couleur, sa candidature est rejetée. Il postulera également à un emploi dans deux autres établissements universitaires américains, sans succès. Ces expériences du racisme et le constat que l’esclavage avait un immense impact sur les Etats-Unis le conduisent à se rapprocher des idées de «l’American Colonization Society», une organisation qui promouvait l’idée que les afro-américains devaient effectuer un retour en Afrique, précisément au Libéria. M. Blyden pensait que la colonisation du Libéria par des Noirs, afro-américains, était la «seule façon de libérer l’homme Noir de l’oppression et de l’amener à la respectabilité». Par ailleurs, l’intelligentsia haïtienne, incarnée par l’homme d’Etat, patriote et adversaire résolu des visées expansionnistes des Etats-Unis d’Amérique sur la première république noire, Anténor Firmin (1850-1911), s’est illustré dans une lutte contre « les détracteurs de la race noire ». Marcus Garvey (1885-1940), le pasteur Alexander Grummell (1819-1898), Du Bois (1869-1963), Martin Robison Delany (1812-1885) et tant d’autres Noirs de la Diaspora ont mené le combat de la Renaissance africaine avant de passer le témoin aux premiers intellectuels africains.

L’Afrique et ses panafricanistes

L’histoire retient, sans équivoque, que ce sont les Noirs de la Diaspora, fils d’esclaves, qui ont balisé le chemin menant à la Renaissance africaine. Après la Première guerre mondiale, le flambeau a été repris, vers 1920, par d’autres figures emblématiques telles que Louis Hunkarin, Lamine Senghor, Samuel Stéfany, Max Bloncourt, Joseph Gothon-Lunion, Tiémoko Garankouyé. Mais, c’est à partir du congrès de Manchester que le panafricanisme militant sera incarné par le premier président de la République du Ghana, en l’occurrence Kwamé NKrumah. Sur le plan littéraire, il y a l’apport spécifique des poètes de la Négritude : Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, Léon Gontran Damas, Birago Diop, David Diop… «En parlant de Négritude, je parle d’une civilisation où l’art est à la fois technique et vision, artisanat et prophétie, où l’art exprime, comme l’affirmait Ogotemméti, ‘’l’identité des gestes matériels et des forces spirituelles’’», a renseigné Senghor. Puis le chantre de la Négritude de préciser que la Culture est la condition première et le but ultime de tout développement. Elle apporte des valeurs nouvelles à la symbiose des valeurs complémentaires par quoi se définit la Civilisation de l’Universel. Car, il nous faut, nous Nègres, être, afin, nous-mêmes dans notre dignité : notre identité recouvrée.

A côté de ce vaste mouvement de la Négritude, il y a les arguments scientifiques du savant sénégalais, le professeur Cheikh Anta Diop qui a rétabli une vérité historique : l’Afrique est le berceau de l’Humanité. Le panafricanisme est né dans le même contexte historique que d’autres grands mouvements de rassemblement de peuples, comme le panaméricanisme, le panarabisme, le pangermanisme, le panslavisme ou le pantouranisme. Expression de la solidarité entre les peuples africains et d’origine africaine, c'est-à-dire la Diaspora, le panafricanisme vise à assurer la liberté et le développement de l’Afrique à l’égard des autres parties du monde. Il fallait que des voix s’élevassent en Afrique et dans sa Diaspora pour mettre en lumière et revaloriser la part du continent noir dans le passé de l’Humanité et, sur la base de cette histoire rectifiée, s’engager à proclamer l’opposition des Africains à toute politique, à toutes pratiques tendant à les reléguer à la périphérie de l’histoire et de la marche du monde.

Malgré l’accession des pays africains à la souveraineté internationale, aujourd’hui, des intellectuels africains comme Nelson Mandela, Olusegun Obasanjo, Tabo MBéki et surtout l’avocat Me Abdoulaye Wade ont continué le combat de l’affirmation culturelle dans le nouveau contexte de la néo-colonisation. Cette option n’est pas un repli sur soi. Il est ouverture, tout en restant debout au cœur de ses propres richesses, qu’elles soient culturelles ou économiques. C’est le socle du nouvel apport du monde noir au reste du monde.

Au-delà du livre : «Un destin pour l’Afrique», la Renaissance d’Abdoulaye Wade se résume aux fondamentaux de sa vision politique et économique. Selon lui, la Renaissance Africaine consiste à participer à la création de richesses pour s’affranchir du diktat de l’étranger ; tenir compte de la dimension sociale et infrastructurelle du développement ; la maîtrise des outils de la modernité comme les tics (fracture numérique) ; le développement de l’agriculture pour la souveraineté alimentaire ; une diplomatie sans complexe, la promotion de l’éducation et de la santé comme facteurs de développement humain… Une vision juste. «On ne peut pas bien dormir sur la natte des autres. L’Afrique doit être avant d’avoir », a confessé l’historien Joseph Kizerbo. Le Président Abdoulaye Wade a compris les enjeux. A suivre… !


Maké DANGNOKHO Journaliste

Dimanche 9 Janvier 2011 - 09:45


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