Saint louis. L’une des citadelles imprenables des pêcheurs. Cette vieille capitale du Sénégal porte les stigmates du phénomène de l’émigration irrégulière. Ces dernières années notamment, elle vit, jusque dans ses entrailles, de manière implacable les contrecoups de ce phénomène. Rien que de 2020 vers la fin 2021, des centaines de disparus sont comptabilisés par les organisations internationales qui s’occupent de cette question, dont l'OIM. En octobre 2020 précisément, au moins 140 personnes ont perdu la vie dans un naufrage d'un navire transportant environ 200 migrants au large des côtes sénégalaises. Il est classé, dans le domaine de l’émigration, l’un des naufrages les plus meurtriers enregistré aux larges de nos côtes.
Malgré le travail d’arrache-pied de l’Organisation Internationale de la Migration (OIM) avec l’appui des communautés, les candidats à l’émigration irrégulière ne déchantent pas. Les statistiques montrent qu’en septembre 2020, 14 bateaux transportant 663 migrants ont quitté le Sénégal pour les îles Canaries. Parmi ces départs, 26 % auraient été victimes d'incident ou de naufrage.
Des drames qui ont endeuillé plusieurs dizaines de familles. Bon nombre de foyers à Saint louis comptent des orphelins et des veuves. Les parents s’accrochent à la foi pour éviter de craquer et d'éclater en sanglots. Toutefois, la douleur reste perceptible sur les visages ridés assombris par des yeux larmoyants de certains parents que nous avons rencontrés. D’une voix tremblotante, un vieux décrie les affres de ce phénomène. «De la volonté de tekki (réussir), nos enfants nous plongent dans le désarroi, la terreur et la misère parce que ce sont des forces de travail, des jeunes à la fleur de l'âge, soutien de famille qui partent et qui sont dévorés par l’océan ».
Des pêcheurs et candidats au voyage listent les causes, les chiffres de l’ANSD qui confirment
Cette débandade des jeunes est loin d’être fortuite. Elle a une cause. Et elle est à lier à la raréfaction des ressources halieutiques et des problèmes de licence de pêche. Où du moins c’est ce qui ressort de plusieurs témoignages. «Nous ne connaissons que la mer. Si nos eaux n’ont plus de poisson et l’Etat n’arrive plus à nous trouver des licences de pêche à travers les accords avec la Mauritanie ou la Guinée Bissau, sans oublier le problème de la brèche, on ne peut rester là et regarder nos familles mourir de famine et de pauvreté. L’unique solution qui nous reste, c’est d’aller explorer des pistes en Europe», a confessé un jeune la trentaine bien sonnée, en train de s’affairer, de préparer ses filets.
En effet, les derniers chiffres de l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD) relèvent une nette avancée du taux de chômage. Il est estimé à 24,5% au quatrième trimestre de l’année 2021, soit une hausse de 7,8 points de pourcentage par rapport au trimestre de l’année 2020.
A côté de ces deux causes, les habitants de Nguet-Ndar et environs pointent du doigt les Licences de pêche octroyées aux navires industriels européens et chinois. Tous les acteurs de la pêche interrogés par PressAfrik lors d’un reportage sur la question de l'émigration irrégulière ont évoqué ces problèmes comme étant les causes de la ruée des jeunes vers l’Espagne pour retrouver de meilleures conditions de vie.
Au milieu, Mamadou Fall, président de l'association des émigrés retournés d'Espagne
D’anciens migrants lancent une campagne contre l’émigration irrégulièreL’Europe est considérée comme l’eldorado pour les candidats à l’émigration. Cependant, beaucoup qui ont tenté l’aventure et qui sont de retour au bercail ne le voient plus de cet œil. Ils se sont organisés, tentent de prendre leur destin en main, mais aussi de prêcher la bonne parole afin d’éviter leurs frères et sœurs les affres et cauchemars de ce voyage en mer.
L’Association des migrants de retour d’Espagne, créée en 2014, a décidé de prendre à bras le corps la lutte à travers des journées de sensibilisation prévues du 20 au 25 mai 2022. Selon son président Mamadou Fall, ils sont au nombre de 400 personnes à avoir risqué leur vie à travers les pirogues pour aller en Espagne. « Par la grâce de Dieu, nous avons pu rallier l’Europe. Mais nous n’étions pas au bout de nos peines, car nous avons pris la voie illégale, nous n’avions ni document, ni rien sur nous. Ce qui fait que certains ont été emprisonnés et ont purgé une peine de prison ferme. C’est mon cas. J'ai fait 4 ans de prison (de 2006 à 2010 à Tenerife avant de retourner au pays. La principale accusation qui pesait sur moi était que j’étais le capitaine de la pirogue qui avait convoyé les migrants ».
En retour au Sénégal, Mamadou Fall et sa bande ont ainsi décidé de créer une association qui a pour principal but la lutte contre l’émigration irrégulière et trouver des initiatives pour une réinsertion. «Nous l'avons vécue et nous sommes conscients des risques et des dangers. C’est fort de cette expérience que nous nous investissons. Nous cherchons également à lutter contre la pauvreté, car c'est la cause de notre voyage de manière irrégulière, et promouvoir le développement économique et la santé des populations», a souligné M. Fall.
Mamadou Fall de rassurer « tout a été bien organisé pour mener à bien cette activité afin d’obtenir des résultats escomptés. Nous avons ainsi identifié les zones de départ, les personnes qui partent, les passeurs et les familles des candidats pour les sensibiliser tous sur les dangers. À Saint-Louis, a-t-il confié, « c'est surtout la Langue de Barbarie, Ngokhou Bath, Santiaba, Hydrobase, Pikine qui sont les principaux points de départ. Aujourd'hui, il faut le dire, une large majorité des jeunes pêcheurs, quasiment 90%, ne pensent qu’à aller en Espagne par la mer avec leurs pirogues ».
L’appel d’une femme ancienne migrante à ses sœursContrairement à ce que la grande masse pense, le phénomène de l’émigration irrégulière s’est beaucoup féminisé. Au début du fléau, en 2006, on notait très peu de femmes dans les contingents des candidats au voyage «Barça ou Barsakh», toutefois, maintenant, elles sont bien présentes dans les pirogues et bravent la furie des vagues au même titre que les hommes.
Maïmouna Diagne est l’une d’elle. Elle est aussi membre de l’Association dirigée par Mamadou Fall. C’est une militante de la cause qui tente de persuader ses sœurs habitées par cette envie de prendre les pirogues. "Je cherche à éviter à mes concitoyennes et concitoyens ce voyage périlleux vers l’Europe. Dans cette campagne contre l’émigration irrégulière, je m’intéresse à la gent féminine. Effectivement, il y en a qui laisse leurs familles, leurs enfants et un foyer derrière pour tenter l’aventure. Moi je leur demande de ne pas risquer leur vie en prenant la pirogue. Il est bien possible de réussir au Sénégal. Au cas contraire, il est préférable de chercher à partir par la voie normale".
voix femme 2.mp3 (1.33 Mo)
Des pêcheurs disent non à l’émigration irrégulière
Si le rêve d’un eldorado en Europe caresse l’esprit d’une bonne frange des pêcheurs jusqu’à présent comme l’a dit Mamadou Fall, il y a quand même une exception à la règle. En effet, au cours de notre reportage à Saint-Louis (Guet Ndar), nous avons pu rencontrer des pêcheurs pour qui même avec tout l’or du monde, ne sont pas prêts à tenter de rallier l’Espagne par une pirogue. Ils se disent conscients des dangers et préfèrent se battre dans leur terroir pour s’en sortir.
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