A défaut d’intervention militaire préconisée par certains quelle alternative pour la résolution de la crise dans le Nord du Mali ?
Général Lamine Cissé : Quelques jours après le putsch, je m’étais exprimé sur la question dans la presse. Je disais que ce coup d’Etat était, depuis une dizaine d’années, le plus dangereux pour l’Afrique et la sous-région. Parce que le coup de force avait eu lieu au moment où une passation de pouvoir (par la voie des urnes, ndlr) se préparait dans les 3 mois à venir. Une élection présidentielle prévue le …. Et à laquelle le sortant, Amadou Toumani Touré n’avait pas l’intention de se présenter.
Je disais également qu’à cette époque-là, le Mouvement national de libération de l’Azawag (Mnla) n’avait occupé que deux villes, juste à l’entrée de la zone revendiquée. J’avais pensé que c’était pour se signaler aux futurs dirigeants, même si leurs revendications dataient d’avant l’indépendance. Bref, c’est un signal fort qu’ils voulaient donner. Mais le coup d’Etat leur a donné l’occasion d’avancer, à la faveur de la perturbation au sein des Forces armées maliennes. Cet avantage leur a permis de gagner du terrain. J’avais dit qu’il y avait un double risque de crise politique durable et de partition du pays, si on n’intervenait pas vite. Aujourd’hui on n’est plus dans la même situation. En disant cela, je pensais qu’il fallait intervenir très vite, occuper certains aéroports avant le Mnla, mais surtout avant les soutiens qu’ils ont eus avec Aqmi et les autres mouvements islamistes comme Ansardine ou Boko Haram. Je pensais que même si le Mali n’est pas une puissance militaire forte pour repousser une agression ou tentative d’agression de cette dimension, l’armée nationale, appuyée en ravitaillement par la Cedeao et des pays occidentaux, pouvait reprendre le dessus sur le terrain. J’avais préconisé d’agir rapidement. J’avais plus tard relancé l’alerte pour dire qu’un retard d’intervention compliquerait la solution militaire, parce qu’il faudrait après chercher beaucoup de renseignements (…) Maintenant il est plus difficile d’agir sur le terrain. Certes c’est toujours possible, mais il faudra une coordination très efficace des services de renseignements de tous ordres.
Justement, sous quelle bannière cette intervention militaire devrait –elle se faire?
La Cedeao est peut-être la structure la plus indiquée pour une telle intervention. Mais il faudra qu’elle soit appuyée logistiquement et surtout par la surveillance aérienne. Nous aurons pour cela, besoin des Occidentaux. Le temps de négociation a duré. Cela a permis aux insurgés de s’incruster, de s’enraciner sur le terrain. Cà rend toujours plus difficile l’intervention militaire. C’est la logique même du terrain. Mais il y a toujours, en matière de conflit et de guerre, négociation et force armée d’intervention. C’est soit l’une, soit l’autre, mais les deux cohabitent. On négocie, on se bat, on négocie encore etc. jusqu’à trouver une solution finale qui ne peut ensuite être que diplomatique et politique.
Avec cette situation que vous décrivez, ne peut-on pas redouter, toutes proportions gardées, une « afghanisation » du Mali ?
Certains y ont pensé. Mais j’avais dit, dès le début de la crise, qu’une attente longue sans intervention permettrait aux islamistes que certains appellent terroristes, de prendre pied dans le Sahel avec des renforts venant de partout, peut-être même d’Afghanistan. Une intervention extérieure au Mali et à l’Afrique peut sembler avoir les mêmes germes, les mêmes ingrédients que l’Afghanistan. Ce n’est pas le même contexte, ni le même environnement mais globalement, ça lui ressemble.
Cette crise malienne peut-elle avoir des répercussions au plan sécuritaire, notamment sur le Sénégal ?
Il y a d’abord le problème des frontières. Rares sont les armées africaines capables d’assurer la sécurité totale de leurs frontières. Il y a ensuite que ceux qui nous menacent ne sont pas des enfants de cœur. Ce sont des islamistes, des intégristes et tout ce qu’on veut, qui se sont battus un peu partout dans ce genre de guerre, en Afghanistan et au Pakistan etc. Donc, les pays frontaliers du Mali, pays de champs ou de première ligne, sont les plus menacés. Menacés dans deux aspects. D’abord, les populations qui fuient les zones de guerre sont obligées de se réfugier dans les Etats riverains. La Guinée et le Niger en ont déjà reçues. Le Sénégal n’est pas exempt de recevoir des exilés maliens. Même si on n’est pas frontalier avec la partie occupée, on ne sait jamais. Et puis, on ne connaît pas exactement l’objectif final de ceux qui ont envahi le nord du Mali. Le but poursuivi au Mali peut tout aussi bien s’appliquer demain au Sénégal, au Burkina Faso, à la Côte d’Ivoire ou ailleurs. Parce que les mêmes maux qui ont conduit à cette occupation du nord du Mali se retrouvent, en gros, un peu partout dans ces pays.
Je ne parle pas de la rébellion des Touaregs qui, eux, cherchent un territoire. C’est une communauté dispersée entre la Libye, le Niger, le Mali et l’Algérie. Ces gens ont des dirigeants. Ce qui leur reste, c’est l’espace pour créer une nation, un pays. Leur agenda est différent de celui des autres (islamistes ndlr) venus les appuyer, avec qui ils se sont querellés et qui les ont neutralisés. Les gens de l’Azawag ont été dominés par les éléments islamistes qui ont un autre agenda plutôt tourné vers une vie sociale qui s’appuie sur un dogme religieux. Pourquoi ont-ils cet objectif de le faire au Mali ? C’est parce qu’il y a des germes dans ce pays qu’ils perçoivent comme n’étant pas en phase avec l’Islam. Ces mêmes germes se trouvent au Sénégal. Pour l’instant, ils circonscrivent leur objectif au Mali, mais s’ils sont satisfaits de leur travail là-bas, s’ils tiennent bien le pays, rien ne permet de dire qu’ils ne vont pas déborder dans d’autres zones. C’est tout à fait naturel pour eux de répandre une idéologie, une manière de vie sociétale conforme à leur vision et qui peut ne pas épouser celle des populations d’un pays donné. Donc, le Sénégal n’est pas à l’abri, non pas d’une occupation mais au moins, d’une contamination du système domino. Ceci est aussi valable pour le Sénégal que pour tous les pays de cette bande soudano-sahélienne qui va des deux Guinée à la Gambie en passant par le Cap-Vert, le Tchad, jusqu’au Darfour. Tous ces pays peuvent être dans le champ de ces islamistes qui ont leur propre agenda.
Autrement dit si le Sénégal doit prendre des précautions particulières, c’est nécessairement en concertation avec ces Etats ?
La stratégie la meilleure et la plus efficace, c’est qu’il y ait des concertations dans ce domaine avec tous ces Etats. Parmi eux, il y a des pays de l’Afrique centrale mais surtout ceux d’Afrique de l’Ouest regroupés au sein de la Cedeao. Une coopération qui doit se faire en matière de défense et de sécurité et qui doit se renforcer et se concrétiser. Le tout combiné doit permettre de prendre des postures défensives efficaces.
Les conflits politiques et armés sont encore nombreux en Afrique. Le temps n’est-il pas venu de mettre en place une force permanente africaine d’intervention au lieu de céder le terrain à Africom avec les Américains ou encore les forces françaises ?
On a pensé à cela au niveau de la Commission Défense de l’Organisation de l’Unité africaine (Oua) bien avant la chute du mur de Berlin.
Quand on allait en réunion à Addis-Abeba, on devait toujours faire avec l’antagonisme entre les blocs occidental et soviétique, l’harmonisation des procédures, du matériel et des grades. On butait toujours sur deux positions différentes. Maintenant, il n’y a plus de Mur de Berlin. L’Afrique a pensé à une force d’attente et c’est le général Sékouba Konaté, ancien président par intérim de la Guinée qui a été désigné pour la formation de cette unité d’attente. Au niveau de la Cedeao, il y a aussi les forces en attente. Au début, c’était l’initiative de Boutros Boutros Ghali de mettre en place des forces d’attente au sein de l’Onu. Des pays n’en ont pas voulu. Mais certains Etats comme ceux de la Cedeao ont adopté cette idée et elle avance très bien. Il y a des structures et les chefs d’Etat-major des Armées de la Cedeao se réunissent très souvent pour cette force en attente. Parce qu’aussi bien au niveau des organisations régionales qu’à l’Union africaine (Ua), la question relative à la force d’attente qui a fait l’objet de beaucoup de réflexions et de réunions, est en voie d’être mise en place. La bonne question qu’il faudrait poser, c’est pourquoi l’embryon de ces forces en attente n’a pu intervenir immédiatement devant une situation donnée. C’est seulement aux Comores qu’on a noté une intervention des forces de l’Ua sur le terrain. Certes, dans les années quatre-vingt, une force d’intervention africaine dans laquelle le Sénégal a participé a été déployée au Tchad. Mais pour les autres cas, il n’y a pas d’actions concertées et surtout immédiates. Or, le rôle d’une force d’attente, c’est d’intervenir dans l’immédiat, en attendant qu’au plan politique, on prenne les décisions adéquates à appliquer relativement à comment la force va se renforcer ou se retirer. Pour le Mali, il n’y a pas eu cette réaction. Déjà, en vertu de l’accord entre le Niger, le Mali et l’Algérie, il devait y avoir une force d’intervention mais on a commencé à aller à la table de négociations avant d’harmoniser. Cette procédure a duré un certain temps, ce qui a permis aux gens qui ont envahi le nord du Mali de s’asseoir sur le terrain.
Mais puisqu’il faut quand même entamer des négociations, tout est de savoir avec qui il faut le faire. Ce sera soit avec l'ensemble des acteurs, soit avec les plus influents sur le terrain. Mais, il nécessaire d'initier un dialogue, avec ou sans intervention militaire.
Vous avez mené beaucoup de missions pour le compte de l'Onu et de la Cdeao sur les processus démocratiques en Afrique. Avec les coups d'Etat et les crises politiques qui se multiplient encore sur le continent, certains n'hésitent pas à parler de régression démocratique. Quels mécanismes faudrait-il privilégier pour stopper le mal ?
On a l'impression, ça été dit par une certaine presse, qu'il y a un retour en zone, un retour des coups d’Etat militaires. Si l'on tient compte du nombre de putschs intervenus ces dernières années, on peut penser qu'il y a un retour des bottes au plan politique. Mais, je crois que tout tourne autour d'une chose qui est la démocratisation du système de gouvernement, c'est-à-dire la gestion de la cité ainsi que celle des forces de défense et de sécurité ainsi que leur réforme. Ce remodelage est la responsabilité des gouvernements. Cette reformulation nécessite que les forces de défense et de sécurité soient démocratiquement gérées. Il faut un contrôle démocratique de l'exécutif et du législatif sur elles. Il faut aussi que les dirigeants politiques donnent aux forces de défense et de sécurité, tout ce dont elles ont besoin pour accomplir leurs devoirs. Il faut bien les former au plan professionnel, au plan de l'instruction, de la connaissance des valeurs humaines, des principes des droits de l'homme et de démocratie etc.
N’est-ce pas aussi le rôle des organisations internationales d'assister les Etats dans cette mission.
Oui, maintenant beaucoup de pays, pris individuellement, enseignent à leurs forces ces notions de droits humains. Les organisations régionales et sous-régionales mettent aussi l'accent sur cela. Dans toutes les manœuvres qui sont faites, il y a cet aspect de développement et d'armée-nation. Mais, il faut y aller plus fréquemment, et plus vite, pour que cela puisse avoir un aspect positif. Une fois ces réformes effectives, on peut avoir des armées républicaines, c'est-à-dire, des armées qui ne cherchent plus à pousser un régime, démocratiquement élu, de la scène politique. Ce n'est pas le rôle des militaires. Quand il y a un putsch quelque part, c'est qu'il y a toujours une régression dans le système de gestion du pays. Un coup d'Etat est toujours une régression, un pas en arrière. Certains peuvent dire qu'il y a des coups d'Etat tolérables, mais il n'a jamais de bon coup d'Etat. Par principe, il faut les condamner.
Les questions relatives à la réforme de l'Onu et l'attribution à l'Afrique d'un siège de membre permanent au Conseil de sécurité font débat. Qu’en pensez vous ?
Je pense que l'Afrique, comme les autres continents, cherchent une modification du Conseil de sécurité de l'Onu. Le contexte de 1947 n’a pas valeur aujourd’hui. Les hommes politiques qui nous dirigent ont leur vision et leurs raisons aussi. Tout Africain souhaite cela mais ce n'est pas encore arrivé. Il faut beaucoup d'efforts et aussi de la cohésion. Tous les pays africains ne peuvent pas être membres permanents. Il faudra faire un choix primaire au niveau des Africains pour pouvoir atteindre cet objectif. Tant qu'on est divisé, on ne pourra pas à ce changement-là. Mais c'est une chose qui est très importante.
Cela nous ramène à la question malienne où les acteurs n’ont pas le même agenda. Le Mnla et Ansar Dine ou encore Boko Haram, ne poursuivent pas les mêmes objectifs. En outre, regardez ce qu’il en est des attitudes des pays de la Sous-région qui doivent intervenir directement sur le terrain et par les négociations, et des pays occidentaux qui nous aident. Nous avons le même objectif peut-être, mais nous n'avons pas non plus le même agenda. L'objectif commun c'est de libérer le Mali, qu'il soit un pays indivisible et pas à balkaniser comme au début de l'indépendance. Mais l'objectif de la plupart des pays qui nous aident, c’est la lutte contre le terrorisme. C'est aussi notre préoccupation parce que le terrorisme a changé la manière de vie des citoyens. Aujourd'hui, personne ne peut traverser la bande sahélo-saharienne de l'atlantique jusqu'au Darfour, sans craindre d’être kidnappé. De même, personne ne peut prendre un avion, sans craindre un détournement ou un attentat. Qu’on le veuille ou pas, le terrorisme a changé nos méthodes de vie. Donc il interpelle tout le monde et chacun doit le combattre, quelle que soit sa forme ou son origine. Il est vrai que tout le monde n’a pas la même acception de qui est terroriste, qui ne l'est pas. Il y a des gens pour qui l'idée majeure c'est de lutter contre ces factions, sans distinction. Pour d’autres, il lutter ne va pas sans la nécessité de tenir compte des priorités économiques notamment. pour éviter que le terrorisme s'installe, sous la forme qu'on lui connaît au Mali, il faut qu'économiquement, le droit à la nourriture des populations soit assuré par l'Etat. Si ces besoins primaires ne sont pas satisfaits, d'autres viennent occuper auprès des populations, ce que les pouvoirs publics ont laissé vide. Et comme ils (les groupes islamistes ndlr) propagent une certaine religion et trouvent sur place des coreligionnaires, ces derniers voient en eux des frères et des sauveurs qui les aident à ne de mourir de faim.
On vous a aussi connu en tant que ministre de l’Intérieur ayant organisé les élections de 1997 à 2000. Vous avez été un homme-clé dans l’avènement de la première alternance démocratique. La politique ne vous manque-t-elle pas, si on considère votre vécu et la cohabitation avec les acteurs politiques ?
J’ai été, je dirai, jeté dans la politique. Vous savez quand on accède à un certain niveau de hiérarchie dans l’Armée en atteignant le grade de général pour ensuite atteindre la plus haute fonction qu’un militaire peut obtenir dans son pays, c’est-à-dire chef d’Etat major général des Armées, il y a une question de confiance. Elle est très importante pour la personne - ici, le président de la République, chef suprême des Armées - qui vous nomme à ce poste. Il y a la compétence bien sûr. A partir de ce moment, qu’on le veuille ou pas, on est un peu politique. Le ministre de l’Intérieur a des périodes d’élections. Il y a eu les législatives de 1998, puis les Sénatoriales de janvier 1999. Pour la première fois, on se retrouvait avec une chambre haute, alors que le code électoral ne prévoyait pas, de manière ample, le mode d’élection des sénateurs. Il a fallu faire quelque chose qui fût en accord avec les grands fondements du code. Mais ce sont les grands électeurs à l’époque qui avaient élu les sénateurs aux trois quart. Il n’y avait qu’une dizaine de membres nommés par le président de la République. C’était des élections. Après, il y a eu la présidentielle de 2000. Tout cela m’a permis de vivre et de travailler avec les hommes politiques. Je les ai trouvé extrêmement intelligents. Ils peuvent se sortir de toutes les situations et peuvent vous convaincre sur plusieurs points. Je les admire, même si ce n’est pas toujours aisé de travailler avec eux. J’ai beaucoup appris avec les politiciens. Mais cela ne suffit pas à me transmettre le virus de la politique. Je n’en ai jamais fait, je ne compte pas en faire.
On parle d’un rôle important que vous auriez joué le soir du 19 mars 2000, notamment auprès du président Abdou Diouf, candidat sortant. Qu’en est-il ?
Les gens racontent beaucoup de choses à propos de cela. Le président de la République est à la fois un homme d’Etat et un homme politique qui avait derrière lui un parti. Il est allé à l’élection. C’était pour la gagner, ce qui ne veut pas dire volonté de s’accrocher au pouvoir. Les gens utilisent parfois des termes qui ne cadrent pas avec l’attitude de la personne. On ne va pas se battre pour dire que l’on va perdre la bataille. Ce n’est pas possible ! Ce n’est même pas humain.
Sur ce point précis de l’alternance, je crois avoir joué ma partition à un moment critique et ce, à beaucoup de niveaux ; d’autres ont également joué la leur et c’est l’ensemble de ces actions qui ont conduit à une alternance pacifique, c’est-à-dire une victoire de la démocratie sénégalaise. Il est heureux de constater que 12 ans après, grâce à l’action de tous les acteurs politiques de tous bords, la démocratie a triomphé au Sénégal. Je suis sûr que l’alternance politique ne sera plus considérée comme une exception, mais plutôt une phase politique normale dans la vie de la nation sénégalaise.
Source : Sud quotidien
Général Lamine Cissé : Quelques jours après le putsch, je m’étais exprimé sur la question dans la presse. Je disais que ce coup d’Etat était, depuis une dizaine d’années, le plus dangereux pour l’Afrique et la sous-région. Parce que le coup de force avait eu lieu au moment où une passation de pouvoir (par la voie des urnes, ndlr) se préparait dans les 3 mois à venir. Une élection présidentielle prévue le …. Et à laquelle le sortant, Amadou Toumani Touré n’avait pas l’intention de se présenter.
Je disais également qu’à cette époque-là, le Mouvement national de libération de l’Azawag (Mnla) n’avait occupé que deux villes, juste à l’entrée de la zone revendiquée. J’avais pensé que c’était pour se signaler aux futurs dirigeants, même si leurs revendications dataient d’avant l’indépendance. Bref, c’est un signal fort qu’ils voulaient donner. Mais le coup d’Etat leur a donné l’occasion d’avancer, à la faveur de la perturbation au sein des Forces armées maliennes. Cet avantage leur a permis de gagner du terrain. J’avais dit qu’il y avait un double risque de crise politique durable et de partition du pays, si on n’intervenait pas vite. Aujourd’hui on n’est plus dans la même situation. En disant cela, je pensais qu’il fallait intervenir très vite, occuper certains aéroports avant le Mnla, mais surtout avant les soutiens qu’ils ont eus avec Aqmi et les autres mouvements islamistes comme Ansardine ou Boko Haram. Je pensais que même si le Mali n’est pas une puissance militaire forte pour repousser une agression ou tentative d’agression de cette dimension, l’armée nationale, appuyée en ravitaillement par la Cedeao et des pays occidentaux, pouvait reprendre le dessus sur le terrain. J’avais préconisé d’agir rapidement. J’avais plus tard relancé l’alerte pour dire qu’un retard d’intervention compliquerait la solution militaire, parce qu’il faudrait après chercher beaucoup de renseignements (…) Maintenant il est plus difficile d’agir sur le terrain. Certes c’est toujours possible, mais il faudra une coordination très efficace des services de renseignements de tous ordres.
Justement, sous quelle bannière cette intervention militaire devrait –elle se faire?
La Cedeao est peut-être la structure la plus indiquée pour une telle intervention. Mais il faudra qu’elle soit appuyée logistiquement et surtout par la surveillance aérienne. Nous aurons pour cela, besoin des Occidentaux. Le temps de négociation a duré. Cela a permis aux insurgés de s’incruster, de s’enraciner sur le terrain. Cà rend toujours plus difficile l’intervention militaire. C’est la logique même du terrain. Mais il y a toujours, en matière de conflit et de guerre, négociation et force armée d’intervention. C’est soit l’une, soit l’autre, mais les deux cohabitent. On négocie, on se bat, on négocie encore etc. jusqu’à trouver une solution finale qui ne peut ensuite être que diplomatique et politique.
Avec cette situation que vous décrivez, ne peut-on pas redouter, toutes proportions gardées, une « afghanisation » du Mali ?
Certains y ont pensé. Mais j’avais dit, dès le début de la crise, qu’une attente longue sans intervention permettrait aux islamistes que certains appellent terroristes, de prendre pied dans le Sahel avec des renforts venant de partout, peut-être même d’Afghanistan. Une intervention extérieure au Mali et à l’Afrique peut sembler avoir les mêmes germes, les mêmes ingrédients que l’Afghanistan. Ce n’est pas le même contexte, ni le même environnement mais globalement, ça lui ressemble.
Cette crise malienne peut-elle avoir des répercussions au plan sécuritaire, notamment sur le Sénégal ?
Il y a d’abord le problème des frontières. Rares sont les armées africaines capables d’assurer la sécurité totale de leurs frontières. Il y a ensuite que ceux qui nous menacent ne sont pas des enfants de cœur. Ce sont des islamistes, des intégristes et tout ce qu’on veut, qui se sont battus un peu partout dans ce genre de guerre, en Afghanistan et au Pakistan etc. Donc, les pays frontaliers du Mali, pays de champs ou de première ligne, sont les plus menacés. Menacés dans deux aspects. D’abord, les populations qui fuient les zones de guerre sont obligées de se réfugier dans les Etats riverains. La Guinée et le Niger en ont déjà reçues. Le Sénégal n’est pas exempt de recevoir des exilés maliens. Même si on n’est pas frontalier avec la partie occupée, on ne sait jamais. Et puis, on ne connaît pas exactement l’objectif final de ceux qui ont envahi le nord du Mali. Le but poursuivi au Mali peut tout aussi bien s’appliquer demain au Sénégal, au Burkina Faso, à la Côte d’Ivoire ou ailleurs. Parce que les mêmes maux qui ont conduit à cette occupation du nord du Mali se retrouvent, en gros, un peu partout dans ces pays.
Je ne parle pas de la rébellion des Touaregs qui, eux, cherchent un territoire. C’est une communauté dispersée entre la Libye, le Niger, le Mali et l’Algérie. Ces gens ont des dirigeants. Ce qui leur reste, c’est l’espace pour créer une nation, un pays. Leur agenda est différent de celui des autres (islamistes ndlr) venus les appuyer, avec qui ils se sont querellés et qui les ont neutralisés. Les gens de l’Azawag ont été dominés par les éléments islamistes qui ont un autre agenda plutôt tourné vers une vie sociale qui s’appuie sur un dogme religieux. Pourquoi ont-ils cet objectif de le faire au Mali ? C’est parce qu’il y a des germes dans ce pays qu’ils perçoivent comme n’étant pas en phase avec l’Islam. Ces mêmes germes se trouvent au Sénégal. Pour l’instant, ils circonscrivent leur objectif au Mali, mais s’ils sont satisfaits de leur travail là-bas, s’ils tiennent bien le pays, rien ne permet de dire qu’ils ne vont pas déborder dans d’autres zones. C’est tout à fait naturel pour eux de répandre une idéologie, une manière de vie sociétale conforme à leur vision et qui peut ne pas épouser celle des populations d’un pays donné. Donc, le Sénégal n’est pas à l’abri, non pas d’une occupation mais au moins, d’une contamination du système domino. Ceci est aussi valable pour le Sénégal que pour tous les pays de cette bande soudano-sahélienne qui va des deux Guinée à la Gambie en passant par le Cap-Vert, le Tchad, jusqu’au Darfour. Tous ces pays peuvent être dans le champ de ces islamistes qui ont leur propre agenda.
Autrement dit si le Sénégal doit prendre des précautions particulières, c’est nécessairement en concertation avec ces Etats ?
La stratégie la meilleure et la plus efficace, c’est qu’il y ait des concertations dans ce domaine avec tous ces Etats. Parmi eux, il y a des pays de l’Afrique centrale mais surtout ceux d’Afrique de l’Ouest regroupés au sein de la Cedeao. Une coopération qui doit se faire en matière de défense et de sécurité et qui doit se renforcer et se concrétiser. Le tout combiné doit permettre de prendre des postures défensives efficaces.
Les conflits politiques et armés sont encore nombreux en Afrique. Le temps n’est-il pas venu de mettre en place une force permanente africaine d’intervention au lieu de céder le terrain à Africom avec les Américains ou encore les forces françaises ?
On a pensé à cela au niveau de la Commission Défense de l’Organisation de l’Unité africaine (Oua) bien avant la chute du mur de Berlin.
Quand on allait en réunion à Addis-Abeba, on devait toujours faire avec l’antagonisme entre les blocs occidental et soviétique, l’harmonisation des procédures, du matériel et des grades. On butait toujours sur deux positions différentes. Maintenant, il n’y a plus de Mur de Berlin. L’Afrique a pensé à une force d’attente et c’est le général Sékouba Konaté, ancien président par intérim de la Guinée qui a été désigné pour la formation de cette unité d’attente. Au niveau de la Cedeao, il y a aussi les forces en attente. Au début, c’était l’initiative de Boutros Boutros Ghali de mettre en place des forces d’attente au sein de l’Onu. Des pays n’en ont pas voulu. Mais certains Etats comme ceux de la Cedeao ont adopté cette idée et elle avance très bien. Il y a des structures et les chefs d’Etat-major des Armées de la Cedeao se réunissent très souvent pour cette force en attente. Parce qu’aussi bien au niveau des organisations régionales qu’à l’Union africaine (Ua), la question relative à la force d’attente qui a fait l’objet de beaucoup de réflexions et de réunions, est en voie d’être mise en place. La bonne question qu’il faudrait poser, c’est pourquoi l’embryon de ces forces en attente n’a pu intervenir immédiatement devant une situation donnée. C’est seulement aux Comores qu’on a noté une intervention des forces de l’Ua sur le terrain. Certes, dans les années quatre-vingt, une force d’intervention africaine dans laquelle le Sénégal a participé a été déployée au Tchad. Mais pour les autres cas, il n’y a pas d’actions concertées et surtout immédiates. Or, le rôle d’une force d’attente, c’est d’intervenir dans l’immédiat, en attendant qu’au plan politique, on prenne les décisions adéquates à appliquer relativement à comment la force va se renforcer ou se retirer. Pour le Mali, il n’y a pas eu cette réaction. Déjà, en vertu de l’accord entre le Niger, le Mali et l’Algérie, il devait y avoir une force d’intervention mais on a commencé à aller à la table de négociations avant d’harmoniser. Cette procédure a duré un certain temps, ce qui a permis aux gens qui ont envahi le nord du Mali de s’asseoir sur le terrain.
Mais puisqu’il faut quand même entamer des négociations, tout est de savoir avec qui il faut le faire. Ce sera soit avec l'ensemble des acteurs, soit avec les plus influents sur le terrain. Mais, il nécessaire d'initier un dialogue, avec ou sans intervention militaire.
Vous avez mené beaucoup de missions pour le compte de l'Onu et de la Cdeao sur les processus démocratiques en Afrique. Avec les coups d'Etat et les crises politiques qui se multiplient encore sur le continent, certains n'hésitent pas à parler de régression démocratique. Quels mécanismes faudrait-il privilégier pour stopper le mal ?
On a l'impression, ça été dit par une certaine presse, qu'il y a un retour en zone, un retour des coups d’Etat militaires. Si l'on tient compte du nombre de putschs intervenus ces dernières années, on peut penser qu'il y a un retour des bottes au plan politique. Mais, je crois que tout tourne autour d'une chose qui est la démocratisation du système de gouvernement, c'est-à-dire la gestion de la cité ainsi que celle des forces de défense et de sécurité ainsi que leur réforme. Ce remodelage est la responsabilité des gouvernements. Cette reformulation nécessite que les forces de défense et de sécurité soient démocratiquement gérées. Il faut un contrôle démocratique de l'exécutif et du législatif sur elles. Il faut aussi que les dirigeants politiques donnent aux forces de défense et de sécurité, tout ce dont elles ont besoin pour accomplir leurs devoirs. Il faut bien les former au plan professionnel, au plan de l'instruction, de la connaissance des valeurs humaines, des principes des droits de l'homme et de démocratie etc.
N’est-ce pas aussi le rôle des organisations internationales d'assister les Etats dans cette mission.
Oui, maintenant beaucoup de pays, pris individuellement, enseignent à leurs forces ces notions de droits humains. Les organisations régionales et sous-régionales mettent aussi l'accent sur cela. Dans toutes les manœuvres qui sont faites, il y a cet aspect de développement et d'armée-nation. Mais, il faut y aller plus fréquemment, et plus vite, pour que cela puisse avoir un aspect positif. Une fois ces réformes effectives, on peut avoir des armées républicaines, c'est-à-dire, des armées qui ne cherchent plus à pousser un régime, démocratiquement élu, de la scène politique. Ce n'est pas le rôle des militaires. Quand il y a un putsch quelque part, c'est qu'il y a toujours une régression dans le système de gestion du pays. Un coup d'Etat est toujours une régression, un pas en arrière. Certains peuvent dire qu'il y a des coups d'Etat tolérables, mais il n'a jamais de bon coup d'Etat. Par principe, il faut les condamner.
Les questions relatives à la réforme de l'Onu et l'attribution à l'Afrique d'un siège de membre permanent au Conseil de sécurité font débat. Qu’en pensez vous ?
Je pense que l'Afrique, comme les autres continents, cherchent une modification du Conseil de sécurité de l'Onu. Le contexte de 1947 n’a pas valeur aujourd’hui. Les hommes politiques qui nous dirigent ont leur vision et leurs raisons aussi. Tout Africain souhaite cela mais ce n'est pas encore arrivé. Il faut beaucoup d'efforts et aussi de la cohésion. Tous les pays africains ne peuvent pas être membres permanents. Il faudra faire un choix primaire au niveau des Africains pour pouvoir atteindre cet objectif. Tant qu'on est divisé, on ne pourra pas à ce changement-là. Mais c'est une chose qui est très importante.
Cela nous ramène à la question malienne où les acteurs n’ont pas le même agenda. Le Mnla et Ansar Dine ou encore Boko Haram, ne poursuivent pas les mêmes objectifs. En outre, regardez ce qu’il en est des attitudes des pays de la Sous-région qui doivent intervenir directement sur le terrain et par les négociations, et des pays occidentaux qui nous aident. Nous avons le même objectif peut-être, mais nous n'avons pas non plus le même agenda. L'objectif commun c'est de libérer le Mali, qu'il soit un pays indivisible et pas à balkaniser comme au début de l'indépendance. Mais l'objectif de la plupart des pays qui nous aident, c’est la lutte contre le terrorisme. C'est aussi notre préoccupation parce que le terrorisme a changé la manière de vie des citoyens. Aujourd'hui, personne ne peut traverser la bande sahélo-saharienne de l'atlantique jusqu'au Darfour, sans craindre d’être kidnappé. De même, personne ne peut prendre un avion, sans craindre un détournement ou un attentat. Qu’on le veuille ou pas, le terrorisme a changé nos méthodes de vie. Donc il interpelle tout le monde et chacun doit le combattre, quelle que soit sa forme ou son origine. Il est vrai que tout le monde n’a pas la même acception de qui est terroriste, qui ne l'est pas. Il y a des gens pour qui l'idée majeure c'est de lutter contre ces factions, sans distinction. Pour d’autres, il lutter ne va pas sans la nécessité de tenir compte des priorités économiques notamment. pour éviter que le terrorisme s'installe, sous la forme qu'on lui connaît au Mali, il faut qu'économiquement, le droit à la nourriture des populations soit assuré par l'Etat. Si ces besoins primaires ne sont pas satisfaits, d'autres viennent occuper auprès des populations, ce que les pouvoirs publics ont laissé vide. Et comme ils (les groupes islamistes ndlr) propagent une certaine religion et trouvent sur place des coreligionnaires, ces derniers voient en eux des frères et des sauveurs qui les aident à ne de mourir de faim.
On vous a aussi connu en tant que ministre de l’Intérieur ayant organisé les élections de 1997 à 2000. Vous avez été un homme-clé dans l’avènement de la première alternance démocratique. La politique ne vous manque-t-elle pas, si on considère votre vécu et la cohabitation avec les acteurs politiques ?
J’ai été, je dirai, jeté dans la politique. Vous savez quand on accède à un certain niveau de hiérarchie dans l’Armée en atteignant le grade de général pour ensuite atteindre la plus haute fonction qu’un militaire peut obtenir dans son pays, c’est-à-dire chef d’Etat major général des Armées, il y a une question de confiance. Elle est très importante pour la personne - ici, le président de la République, chef suprême des Armées - qui vous nomme à ce poste. Il y a la compétence bien sûr. A partir de ce moment, qu’on le veuille ou pas, on est un peu politique. Le ministre de l’Intérieur a des périodes d’élections. Il y a eu les législatives de 1998, puis les Sénatoriales de janvier 1999. Pour la première fois, on se retrouvait avec une chambre haute, alors que le code électoral ne prévoyait pas, de manière ample, le mode d’élection des sénateurs. Il a fallu faire quelque chose qui fût en accord avec les grands fondements du code. Mais ce sont les grands électeurs à l’époque qui avaient élu les sénateurs aux trois quart. Il n’y avait qu’une dizaine de membres nommés par le président de la République. C’était des élections. Après, il y a eu la présidentielle de 2000. Tout cela m’a permis de vivre et de travailler avec les hommes politiques. Je les ai trouvé extrêmement intelligents. Ils peuvent se sortir de toutes les situations et peuvent vous convaincre sur plusieurs points. Je les admire, même si ce n’est pas toujours aisé de travailler avec eux. J’ai beaucoup appris avec les politiciens. Mais cela ne suffit pas à me transmettre le virus de la politique. Je n’en ai jamais fait, je ne compte pas en faire.
On parle d’un rôle important que vous auriez joué le soir du 19 mars 2000, notamment auprès du président Abdou Diouf, candidat sortant. Qu’en est-il ?
Les gens racontent beaucoup de choses à propos de cela. Le président de la République est à la fois un homme d’Etat et un homme politique qui avait derrière lui un parti. Il est allé à l’élection. C’était pour la gagner, ce qui ne veut pas dire volonté de s’accrocher au pouvoir. Les gens utilisent parfois des termes qui ne cadrent pas avec l’attitude de la personne. On ne va pas se battre pour dire que l’on va perdre la bataille. Ce n’est pas possible ! Ce n’est même pas humain.
Sur ce point précis de l’alternance, je crois avoir joué ma partition à un moment critique et ce, à beaucoup de niveaux ; d’autres ont également joué la leur et c’est l’ensemble de ces actions qui ont conduit à une alternance pacifique, c’est-à-dire une victoire de la démocratie sénégalaise. Il est heureux de constater que 12 ans après, grâce à l’action de tous les acteurs politiques de tous bords, la démocratie a triomphé au Sénégal. Je suis sûr que l’alternance politique ne sera plus considérée comme une exception, mais plutôt une phase politique normale dans la vie de la nation sénégalaise.
Source : Sud quotidien
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