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Justice sénégalaise: Autopsie d'un malaise

​Le 16 janvier 1998, un mémorandum signé par de jeunes magistrats et décrivant leurs conditions de vie et de travail a été déposé sur le bureau de l’Union des Magistrats du Sénégal (U.M.S) et publié dans la presse. Tout comme ces derniers temps, la situation était si préoccupante à l’époque qu’en juillet 1998, un séminaire de formation, regroupant la quasi - totalité des magistrats, a été organisé par le Centre de Formation Judiciaire en collaboration avec la Cour de Cassation et avec l’appui de l’USAID sur le thème : « Justice et transparence ». Un exercice qui avait vraisemblablement pour but de permettre aux magistrats de procéder à une introspection. Les conclusions de ce séminaire ont été rendues publiques en 1998 dans un document intitulé : « Recommandations et plan d’action pour une meilleure distribution de la justice ». 22 ans plus tard, de jeunes magistrats « créent » encore un malaise dans la magistrature poussant même un magistrat, le premier président de la Cour d’Appel de Kaolack, Ousmane Kane — démissionnaire ce mois-ci de l’UMS — à sortir de sa réserve pour fustiger, selon ses propos, la jeune garde qu’il qualifie « de jeunes magistrats insulteurs de leurs aînés». Autopsie d’un malaise…



Au-delà de la discrimination dans l’âge de la retraite qui profite aux barons, l’immixtion de l’Exécutif et la servilité de hauts magistrats ont eu pour effet de radicaliser les jeunes magistrats beaucoup plus nombreux.

En tant qu’institution, la Justice traverse une crise. Elle est depuis quelques années au centre d’une vaste problématique, au milieu de nombreuses polémiques. En témoignent, les procès retentissants concernant des groupes de presse, des hommes politiques ou des syndicalistes, s’il ne s’agit pas de contestations de décisions rendues en matière électorale. Un sentiment de méfiance voire de suspicion anime certains justiciables à l’égard de leur Justice, sujette à de nombreuses critiques de la part des citoyens, des hommes politiques ou des syndicalistes qui doutent de son indépendance. Des représentants du secteur privé et des bailleurs de fonds qui doutent de sa transparence et de son efficacité. Il est vrai que la Justice, telle qu’elle fonctionne, n’est pas exempte de critiques.

Les magistrats, eux- mêmes, partagent ce sentiment de malaise. Pourtant, si le débat est si vif, c’est souvent en raison non seulement des incertitudes qui entourent un système judiciaire confronté aux nouveaux défis que lui lancent une société en transition et un monde en pleine évolution, des difficultés de toutes sortes qu’il rencontre ; mais également de la nature ambiguë des rapports qu’elle entretient avec le pouvoir politique. Les magistrats ont de plus en plus mauvaise presse. Leur image est en train de se dégrader dans la société. Les milieux économiques et financiers les accusent de plus en plus ouvertement d’incompétence ou de corruption. Ou les deux à la fois. Ils sont suspectés de laxisme, voire de partialité. La justice est mise à nu !

Les garanties de la carrière et leurs limites…
Les garanties de la carrière des magistrats sont constituées par l’existence du Conseil supérieur de la Magistrature et par l’inamovibilité des magistrats du siège. Dans les deux cas, les garanties présentent des insuffisances du fait essentiellement de l’Exécutif. C’est toute l’utilité du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) qui a été institué au Sénégal par l’ordonnance du 3 septembre 1963. Il a été réorganisé par la loi organique n° 92- 26 du 30 mai 1992. Il est composé de membres de droit (le Président du Conseil d’État, le Premier Président de la Cour de Cassation et le Procureur Général près la Cour de Cassation, les Premiers Présidents des Cours d’Appel et les Procureurs généraux près lesdites cours) et de membres élus par les magistrats (trois titulaires et trois suppléants). Les membres du Conseil sont tenus au secret professionnel.
Le Conseil est présidé par le Président de la République, le vice-président étant le ministre de la Justice. Le CSM statue sur les nominations et sur la discipline des magistrats. Lorsqu’il statue sur la nomination des magistrats, il est présidé par son président ou, à défaut, par son vice-président. Pour toutes les nominations, l’avis du Conseil est donné sur les propositions du ministre de la Justice, après un rapport fait par un membre. Lorsqu’il siège comme conseil de discipline, il est présidé soit par le Premier Président de la Cour de Cassation s’il s’agit d’un magistrat du siège, soit par le Président du Conseil d’État s’il s’agit d’un membre du Conseil d’État, soit par le Procureur Général près la Cour de Cassation s’il s’agit d’un magistrat du parquet. Le CSM statue hors la présence du président de la République et du ministre de la Justice.

Le problème essentiel qui se pose est celui de la transparence s’agissant du choix de magistrats satisfaisant aux conditions statutaires qui se portent candidats à un poste. Des magistrats critiquent le fonctionnement du CSM notamment en matière de nominations et de promotions qui ne se feraient pas selon des critères objectifs. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’un juge a suscité une grande émotion en projetant de créer un syndicat pour protester contre les décisions du CSM. Pour les magistrats, le principe de l’ancienneté est prioritaire, mais de plus en plus nombreux sont ceux qui pensent que le mérite et la compétence doivent être les critères déterminants pour l’avancement et la responsabilisation des magistrats. Le mérite devrait être apprécié par le CSM au regard du savoir-faire et du savoir-être du magistrat considéré et à égalité, le plus ancien est promu. Il semble que la notation des magistrats ne se fasse pas dans les meilleures conditions de transparence.

C’est pourquoi, il est proposé de définir des critères objectifs d’évaluation des magistrats et de sanctionner en conséquence de rendement insuffisant tout en récompensant et promouvant ceux qui sont méritants. Autrement dit, il est nécessaire d’instituer des sanctions positives du travail, de la compétence, de la rigueur morale et intellectuelle) et négatives (absence de rendement et indélicatesse) au moyen d’une évaluation et d’une notation détaillées et objectives. Il est également nécessaire d’instituer des procédures de transparence pour l’avancement des magistrats de manière à soustraire ceux qui y sont disposés à la tentation d’aliéner leur indépendance. Dans la Loi organique n° 2017-10 du 17 janvier 2017 portant Statut des magistrats, il est écrit en son article 65 : « La limite d’âge des magistrats, soumis au présent statut, est fixée à soixante-cinq (65) ans. Toutefois, est fixée à soixante-huit ans la limite d’âge des magistrats occupant les fonctions de premier président, de procureur général et de président de chambre à la Cour suprême. Il en est de même pour les magistrats exerçant les fonctions de premier président et de procureur général d’une Cour d’appel. »

Voilà, le nœud du problème qui déchire actuellement la magistrature. La prolongation de 3 ans pour certains notamment les Chefs de Cour, rend vulnérables certains jeunes. Ce, du fait que la perte de la position y donnant droit, entraîne la retraite avant terme. « C’est cela la vraie raison de ce conflit dit générationnel », nous soufflent des sources de la magistrature.

Un réservoir de magistrats et de juges réputés…
Au Sénégal, une redéfinition du rôle et de la place du pouvoir judiciaire est rendue nécessaire par l’approfondissement de la démocratie et de l’État de droit et par la libéralisation économique. En effet, la magistrature est une des institutions sur lesquelles reposent la démocratie et l’État de droit. Dans un État qui se veut démocratique, régi par la primauté du droit, la magistrature constitue un rempart contre les abus et l’exercice arbitraire du pouvoir par l’Exécutif, en même temps qu’elle protège les citoyens contre les actions illégales du gouvernement. Ce prestigieux corps a toujours composé au Sénégal d’hommes et de femmes expérimentés, d’une grande compétence, d’une grande rigueur et d’une grande intégrité.

Malgré la crise qui la secoue, il faut reconnaître que le Sénégal est un réservoir de magistrats et de juristes d’excellente réputation tels M. Kéba Mbaye, ancien juge de la Cour Internationale de justice ou M. Leyti Kama, Président du Tribunal Pénal pour le Rwanda (TPR) ou de M. Seydou Ba, Président de la Cour de Justice et d’Arbitrage à Abidjan. Du côté des femmes, on peut citer Mme Mame Madior Boye, qui a d’ailleurs eu à exercer les fonctions de Premier ministre. Une dame connue pour son intégrité, sa rigueur et sa grande connaissance du droit. En sus d’eux, on peut citer un autre grand homme de la Justice comme feu Cheikh Tidiane Diakhaté, qui était un manager hors pair, un grand cœur qui recevait tout le monde, surtout les jeunes magistrats, selon certains magistrats. « Lorsque Cheikh Tidiane Diakhaté était Premier Président de la Cour d’appel, il parvenait à gérer toutes les situations », témoignent nos sources.

Lesquelles pensent que « l’actuel Premier Président de la Cour suprême, Cheikh Tidiane Coulibaly, est un grand magistrat qui a ce qu’il faut pour redresser les choses. » « Si l’autorité exécutive l’appuie et le laisse gérer le corps, le Président Cheikh Tidiane Coulibaly a toutes les capacités pour réussir ce que le Président Cheikh Tidiane Diakhaté avait réussi », soutiennent nos interlocuteurs…

L’Immixtion de l’Exécutif, un frein à la liberté de la justice…
L’un des maux de la justice sénégalaise est à rechercher dans son mode de fonctionnement qui laisse trop de place à l’Exécutif dans le fonctionnement du système judiciaire. Cette possibilité d’immixtion existe à deux niveaux : à travers la gestion de la carrière des magistrats, mais également en matière pénale du fait de la subordination hiérarchique des magistrats du Parquet vis-à-vis du ministère de la Justice. Ce, dans un système de séparation des pouvoirs comme celui adopté par le Sénégal, où le Judiciaire est un pouvoir théoriquement indépendant de l’Exécutif d’après la Constitution, Charte fondamentale de notre République. Il faut reconnaître toutefois que si l’Exécutif se permet de s’immiscer dans le Pouvoir judiciaire, c’est parce qu’il y a des gens qui lui donnent les coudées franches.

Selon plusieurs de nos interlocuteurs, c’est au plus haut sommet de la magistrature qu’il faut chercher le problème. Car, plusieurs magistrats hauts placés ne défendent pas les jeunes mais essaient plutôt de préserver leurs intérêts. Surtout ceux d’entre eux placés à des positions leur donnant droit à une prolongation discriminatoire de trois ans de l’âge de la retraite ! Toutefois, il faut retenir que l’adversité entre collègues d’une même juridiction n’est pas représentative systématiquement de l’état d’ensemble du corps des magistrats...

Le Témoin


Jeudi 27 Août 2020 - 09:15


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