Ces dernières années, le Mali a traversé une crise profonde aux graves conséquences sur les plans politique, socioéconomique et humanitaire et sur ceux de la sécurité et des droits de l’homme car beaucoup de violations de ces droits ont été répertoriées de part et d’autre. Une lecture géopolitique nous permet de voir que le Mali a été déchiré par des conflits communautaires, plus ou moins violents, depuis son indépendance en 1960.
La situation s'est encore plus dégradée en 2012 avec la rébellion qui déstabilise le pays et l’enfonce en parallèle dans une crise politique sans précédent. Le président Amadou Toumani Touré, accusé d’incompétence face aux ‘groupes terroristes’ a été renversé laissant la place à un président de transition, Dioncounda Traoré qui prendra les rênes du pays avant l’organisation des élections présidentielles qui se déroulent sans incidents majeurs. Ibrahim Boubacar Keïta est alors élu en 2013 avec 77,61 % des voix. En mai-juin 2015, un accord de paix est signé par le camp gouvernemental et les rebelles séparatistes du Nord suscitant un vent d’espoir des populations.
Malheureusement, les mêmes problèmes demeurent et persistent. Ces derniers se révèlent sous plusieurs angles. Le cas malien montre que la démocratie, même celle que produit des dirigeants réellement choisis par les citoyens ménage un espace d’expression pour toutes les sensibilités politiques, ne garantit ni l’amélioration de l’efficacité et de l’effectivité de l’Etat ni une gouvernance guidée par la recherche de l’intérêt général. Les principes démocratiques tels que la non-discrimination, le respect de l’unité nationale, de l’intégrité territoriale, l’égalité et la justice…, prônés théoriquement dans le discours officiel et consolidés par les instruments et dispositifs y afférents, sont de plus en plus reniés au profit de l’impunité et de la corruption.
Le paradoxe de la démocratie malienne est qu’elle tend soit vers l’anarchie, soit vers la fourberie, d’où des incohérences notoires sur son évolution historique. Et tant que perdureront ce système et cette instrumentalisation, la démocratie malienne se construira à reculons. D’où l’expression populaire : un pas en avant, deux pas en arrière. Cela dit, de tous ces problèmes, «la corruption constitue une plante vénimeuse dont il faut se débarrasser pour défricher la voie du développement ». Pour cela il est nécessaire de couper ses racines que sont l’aliénation culturelle, les privilèges abusifs et surprônemprise du néocolonialisme.
L’autre problème noté au Mali est la déliquescence de son armée qui a été à l’origine de sa déroute face aux groupes terroristes. C’est cette même armée, abandonnée, divisée et incapable de protéger le pays qui fit un coup d’Etat le 22 Mars 2012 et ‘un coup de force’ ce mardi 18 Aout 2020 (des scènes de liesse notées dans tout le pays) entraînant la destitution du président Ibrahim Boubacar Keïta, qui ne surprend guère personne du fait que le pouvoir était déjà confronté à des soulèvements et des signes annonciateurs.
En effet, le Mali faisait face à des mouvements sociaux de grande ampleur depuis quelques mois dont les instigateurs sont la coalition d’opposition dénommée le M5-RFP ou le Mouvement du 5-Juin - Rassemblement des forces patriotiques. La composition de cette coalition hétéroclite regroupant des opposants politiques, des membres de la société civile et des guides religieux avec notamment l'imam Mahmoud Dicko vu par plusieurs comme l’autorité morale du M5 en est d’importance non moindre. Ce mouvement est à l'origine des manifestations qui réclamaient le départ du président Keïta, accusé de mauvaise gestion, tout comme ses prédécesseurs. Coïncidence ou cerise sur le gâteau, après l’arrestation et la démission ‘forcée’ du président malien dans la nuit du mardi 18 au mercredi 19 et suite à l’appel des militaires putschistes à une transition politique civile en vue de nouvelles élections générales dans un délai raisonnable, la coalition du M5-RPF a d'ailleurs très vite répondu à l'appel.
De son côté, la communauté internationale, particulièrement la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a pris des mesures condamnant l'action des militaires putschistes et a suspendu la participation du pays à l'organisation sous régionale africaine. En outre, les frontières avec les autres États membres ont aussi été fermées jusqu'à nouvel ordre. D’aucuns se posent la question de savoir dans quel camp est la communauté internationale? Sûrement pas dans celui des populations qui ont alerté des mois et des mois sur la situation. Et durant tout ce temps, ou était-elle ? L’opportunité d’une telle décision est à revoir car faire subir à d’innocentes populations les conséquences désastreuses d’un tel embargo est plus ‘sadique’ que ce coup de force au vu de la situation sanitaire actuelle entrainant la crise économique que tous les pays traversent.
Par ailleurs, cette situation a révélé la faiblesse fondamentale de l’Etat malien et toute une série de défis transfrontaliers, économiques et sécuritaires qui, faute d’être traités de manière globale, pourraient précipiter le Mali et ses voisins dans la tourmente. Il ne s’agit pas simplement pour le Mali de rétablir l’ordre, le défi à relever est plus global et plus complexe : à savoir le développement politique, institutionnel, économique et structurel aux niveaux local, régional, national et sous régional. Des solutions idoines doivent être trouvées par plusieurs acteurs, nationaux comme internationaux.
La cascade des évènements au Mali est la conséquence conjointe de la fragilité des équilibres politiques échafaudés ces dernières années en dépit des rituels électoraux, du laxisme dans la gestion de l’Etat et du choc exogène sans précédent qu’a constitué la crise libyenne. L’Etat du Mali doit mettre l’accent sur l’efficacité des services publics et des institutions étatiques, la transparence, la redevabilité, la participation et l’inclusion de tous. Il doit renforcer la transparence de l'administration et l'obligation pour cette dernière de rendre compte au niveau local. Le ‘futur gouvernement démocratique’ doit promouvoir les capacités institutionnelles, rétablir et/ou renforcer la présence administrative de l'État, notamment dans le nord. La précarité et la fragilité des institutions étatiques mènent inexorablement à la perte de la paix sociale, de la sécurité et de la stabilité politique, lesquelles apparaissent alors comme des dimensions fondamentales du développement.
Par conséquent, il incombe à l’Etat de doubler son effort dans la voie de la bonne gouvernance et de travailler pour le bien-être de tous sans parti pris et sans discrimination. Face à la corruption et au clientélisme qui se sont développés au Mali et sachant que l’effet cumulé de la faible décentralisation, et de l’absence de transparence dans les allocations budgétaires ont entrainé un sentiment répandu que les citoyens ne reçoivent pas un traitement équitable de la part du gouvernement. Des mesures drastiques pour la lutte de contre ces fléaux doivent être prises. Et, pour vaincre la corruption qui a beaucoup secoué le Mali, renforcer la bonne gouvernance devient ipso-facto, une nécessité. Le renforcement de l’Etat de droit, pierre angulaire de l'existence d'un cadre juridique stable, sécurisant et prévisible dans lequel s'installe un appareil judiciaire impartial, indépendant, accessible et efficace et grâce auquel les droits humains peuvent être garantis doit être promu.
Ibrahima FALL, juriste, spécialiste des questions de paix et de gouvernance.
La situation s'est encore plus dégradée en 2012 avec la rébellion qui déstabilise le pays et l’enfonce en parallèle dans une crise politique sans précédent. Le président Amadou Toumani Touré, accusé d’incompétence face aux ‘groupes terroristes’ a été renversé laissant la place à un président de transition, Dioncounda Traoré qui prendra les rênes du pays avant l’organisation des élections présidentielles qui se déroulent sans incidents majeurs. Ibrahim Boubacar Keïta est alors élu en 2013 avec 77,61 % des voix. En mai-juin 2015, un accord de paix est signé par le camp gouvernemental et les rebelles séparatistes du Nord suscitant un vent d’espoir des populations.
Malheureusement, les mêmes problèmes demeurent et persistent. Ces derniers se révèlent sous plusieurs angles. Le cas malien montre que la démocratie, même celle que produit des dirigeants réellement choisis par les citoyens ménage un espace d’expression pour toutes les sensibilités politiques, ne garantit ni l’amélioration de l’efficacité et de l’effectivité de l’Etat ni une gouvernance guidée par la recherche de l’intérêt général. Les principes démocratiques tels que la non-discrimination, le respect de l’unité nationale, de l’intégrité territoriale, l’égalité et la justice…, prônés théoriquement dans le discours officiel et consolidés par les instruments et dispositifs y afférents, sont de plus en plus reniés au profit de l’impunité et de la corruption.
Le paradoxe de la démocratie malienne est qu’elle tend soit vers l’anarchie, soit vers la fourberie, d’où des incohérences notoires sur son évolution historique. Et tant que perdureront ce système et cette instrumentalisation, la démocratie malienne se construira à reculons. D’où l’expression populaire : un pas en avant, deux pas en arrière. Cela dit, de tous ces problèmes, «la corruption constitue une plante vénimeuse dont il faut se débarrasser pour défricher la voie du développement ». Pour cela il est nécessaire de couper ses racines que sont l’aliénation culturelle, les privilèges abusifs et surprônemprise du néocolonialisme.
L’autre problème noté au Mali est la déliquescence de son armée qui a été à l’origine de sa déroute face aux groupes terroristes. C’est cette même armée, abandonnée, divisée et incapable de protéger le pays qui fit un coup d’Etat le 22 Mars 2012 et ‘un coup de force’ ce mardi 18 Aout 2020 (des scènes de liesse notées dans tout le pays) entraînant la destitution du président Ibrahim Boubacar Keïta, qui ne surprend guère personne du fait que le pouvoir était déjà confronté à des soulèvements et des signes annonciateurs.
En effet, le Mali faisait face à des mouvements sociaux de grande ampleur depuis quelques mois dont les instigateurs sont la coalition d’opposition dénommée le M5-RFP ou le Mouvement du 5-Juin - Rassemblement des forces patriotiques. La composition de cette coalition hétéroclite regroupant des opposants politiques, des membres de la société civile et des guides religieux avec notamment l'imam Mahmoud Dicko vu par plusieurs comme l’autorité morale du M5 en est d’importance non moindre. Ce mouvement est à l'origine des manifestations qui réclamaient le départ du président Keïta, accusé de mauvaise gestion, tout comme ses prédécesseurs. Coïncidence ou cerise sur le gâteau, après l’arrestation et la démission ‘forcée’ du président malien dans la nuit du mardi 18 au mercredi 19 et suite à l’appel des militaires putschistes à une transition politique civile en vue de nouvelles élections générales dans un délai raisonnable, la coalition du M5-RPF a d'ailleurs très vite répondu à l'appel.
De son côté, la communauté internationale, particulièrement la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a pris des mesures condamnant l'action des militaires putschistes et a suspendu la participation du pays à l'organisation sous régionale africaine. En outre, les frontières avec les autres États membres ont aussi été fermées jusqu'à nouvel ordre. D’aucuns se posent la question de savoir dans quel camp est la communauté internationale? Sûrement pas dans celui des populations qui ont alerté des mois et des mois sur la situation. Et durant tout ce temps, ou était-elle ? L’opportunité d’une telle décision est à revoir car faire subir à d’innocentes populations les conséquences désastreuses d’un tel embargo est plus ‘sadique’ que ce coup de force au vu de la situation sanitaire actuelle entrainant la crise économique que tous les pays traversent.
Par ailleurs, cette situation a révélé la faiblesse fondamentale de l’Etat malien et toute une série de défis transfrontaliers, économiques et sécuritaires qui, faute d’être traités de manière globale, pourraient précipiter le Mali et ses voisins dans la tourmente. Il ne s’agit pas simplement pour le Mali de rétablir l’ordre, le défi à relever est plus global et plus complexe : à savoir le développement politique, institutionnel, économique et structurel aux niveaux local, régional, national et sous régional. Des solutions idoines doivent être trouvées par plusieurs acteurs, nationaux comme internationaux.
La cascade des évènements au Mali est la conséquence conjointe de la fragilité des équilibres politiques échafaudés ces dernières années en dépit des rituels électoraux, du laxisme dans la gestion de l’Etat et du choc exogène sans précédent qu’a constitué la crise libyenne. L’Etat du Mali doit mettre l’accent sur l’efficacité des services publics et des institutions étatiques, la transparence, la redevabilité, la participation et l’inclusion de tous. Il doit renforcer la transparence de l'administration et l'obligation pour cette dernière de rendre compte au niveau local. Le ‘futur gouvernement démocratique’ doit promouvoir les capacités institutionnelles, rétablir et/ou renforcer la présence administrative de l'État, notamment dans le nord. La précarité et la fragilité des institutions étatiques mènent inexorablement à la perte de la paix sociale, de la sécurité et de la stabilité politique, lesquelles apparaissent alors comme des dimensions fondamentales du développement.
Par conséquent, il incombe à l’Etat de doubler son effort dans la voie de la bonne gouvernance et de travailler pour le bien-être de tous sans parti pris et sans discrimination. Face à la corruption et au clientélisme qui se sont développés au Mali et sachant que l’effet cumulé de la faible décentralisation, et de l’absence de transparence dans les allocations budgétaires ont entrainé un sentiment répandu que les citoyens ne reçoivent pas un traitement équitable de la part du gouvernement. Des mesures drastiques pour la lutte de contre ces fléaux doivent être prises. Et, pour vaincre la corruption qui a beaucoup secoué le Mali, renforcer la bonne gouvernance devient ipso-facto, une nécessité. Le renforcement de l’Etat de droit, pierre angulaire de l'existence d'un cadre juridique stable, sécurisant et prévisible dans lequel s'installe un appareil judiciaire impartial, indépendant, accessible et efficace et grâce auquel les droits humains peuvent être garantis doit être promu.
Ibrahima FALL, juriste, spécialiste des questions de paix et de gouvernance.
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