La déclaration de la fortune personnelle de Muhammadu Buhari est tombée cette semaine. C’était une des promesses de campagne du candidat Buhari et sans doute la seule que le candidat devenu président nigérian aura réussi à tenir avant l’échéance de ses cent jours de pouvoir, ce week-end du 5 août.
Cette déclaration a surpris autant par la modestie relative des possessions présidentielles qui se limitent à cinq maisons en ville, des fermes, un verger, un ranch, du bétail, des voitures et 136 000 euros sur le compte bancaire, que par son timing. Comme si le président voulait faire pardonner sa lenteur à prendre à bras le corps les problèmes du pays, alors même que les médias et les ONG se sont jetés sur lui à bras raccourcis en lui reprochant son non respect du délai de trois mois plus une poignée de jours qu’il s’était lui-même fixé pour apporter des réponses aux questions brûlantes du Nigeria.
Buhari n’est pas le premier président démocratiquement élu à tomber dans le piège des cent jours depuis que ce jalon temporel symbolique a été introduit dans le lexique de la gouvernance par Franklin D. Roosevelt lorsqu’il a été élu à la Maison Blanche en 1932, en pleine période de dépression économique. Ce symbole s’est depuis imposé comme une grille de lecture de l’efficacité de l’action d’un gouvernement fraîchement élu et de sa capacité à poursuivre son action à long terme. Depuis le retour de la démocratie au Nigeria en 1999, les médias de la première puissance économique du continent noir ont pris eux aussi l’habitude de juger leurs gouvernants à l’aune de leur performance des cent premiers jours. Le président Buhari n’a pas échappé à la règle, et cela malgré les 69 % d’opinions favorables dont il jouit dans son pays.
Lenteur n’est pas paralysie
« Si l’administration Buhari continue de bénéficier de l’état de grâce, c’est parce que sa lenteur n’est pas encore perçue comme paralysie », explique Amzat Boukhari-Yabara, chercheur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales de Paris et spécialiste du Nigeria. « Le grand public est conscient que les problèmes auxquels le Nigeria est confronté sont d’une telle ampleur qu’il faudra être magicien pour pouvoir les régler en trois mois. Le nouveau président a fait le choix de réformer les choses en profondeur, avec rigueur et détermination. »
A l’appui de ses propos, le chercheur cite le tournant décisif qu’a pris la lutte menée par le Nigeria contre Boko Haram depuis l’arrivée au pouvoir de Buhari, malgré une intensification des attaques et des attentats-suicides menés par la secte islamiste. Les 900 morts de ces trois derniers mois viennent s’ajouter aux 15 000 morts et 1,5 millions de déplacés comptabilisés depuis 2009. Face à cette recrudescence de violences, le nouveau président a délocalisé l’état-major de l’armée nigériane dans le nord-est qui est le bastion du groupe Boko Haram. Il a aussi marqué les esprits en limogeant mi-juillet dernier les chefs de l’armée de terre, de l’air et de la marine ainsi que le chef d’état-major des armées, reprenant ainsi la main sur la lutte contre les insurgés. Le président Buhari a par ailleurs déclaré qu’il donnait trois mois à l’armée pour en finir avec Boko Haram.
« C’est une véritable rupture, déclare Amzat Boukari-Yabara, avec la manière de faire de son prédécesseur Goodluck Jonathan qui est apparu comme un homme faible car il avait laissé se développer le groupe islamiste malgré ses attaques meurtrières, notamment dans le nord. » Et le chercheur d’ajouter : « Avec Buhari, on peut dire que l’Etat est de retour ». Ce retour s’est traduit aussi par le renforcement des liens diplomatiques, avec la visite du chef de l’Etat nigérian dans les pays frontaliers - le Niger, le Tchad, le Cameroun et le Bénin - engagés eux aussi dans la guerre contre la secte terroriste. Ces quatre pays de la région ont par ailleurs constitué avec leur voisin nigérian une force d’intervention conjointe multinationale pour mieux coordonner leurs combats contre les insurgés islamistes de Boko Haram. Son déploiement est en cours.
« Le démon de la corruption »
L’autre grand chantier de Muhammadu Buhari est la lutte contre la corruption. Pour une majorité de la population nigériane, elle est une des principales causes du malaise que traverse leur nation. D’ailleurs beaucoup de Nigérians ont voté pour Buhari à cause de sa réputation d’ancien putschiste militaire qui avait instauré en 1983 un régime autoritaire, caractérisé par sa croisade contre la corruption et les nacro-trafiquants. Il leur semblait capable de s’en prendre de nouveau à ce qui est devenu le fléau majeur du Nigeria. Buhari ne les a pas déçus et a fait du combat contre « le démon de la corruption » le thème central de sa campagne présidentielle, puis, une fois élu, l’un des principaux axes de sa politique.
Avec 95 % d’opinions favorables selon un sondage effectué en août, cette campagne anti-corruption de l’administration Buhari est populaire au Nigeria. Mais petite ombre au tableau, cette obsession a empêché le président de nommer son gouvernement trois mois après son installation au palais présidentiel d’Aso Rock. De peur sans doute de voir arriver à la tête des ministères des hommes politiques au passé entaché par des vols et des détournements.
Beaucoup croient que cette absence de gouvernement, si elle devait durer, enverrait un signal négatif au monde des affaires qui s’interroge sur la ligne politique du régime en matière fiscale et monétaire. Elle risquerait de plonger l’économie nigériane déjà mise à mal par la chute des cours du pétrole, dans un profond abîme d’incertitudes. Ce sera alors assurément la fin de l’état de grâce pour Buhari.
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