Que l’on s’entende bien, mon objectif n’est pas de contester ou de remettre en cause le bien fondé du principe de la médiation pénale qui, en bien des cas, s’avère utile, pour régler des contentieux dont la judiciarisation accentuée, en terme de contentieux, serait plus défavorable au plaignant, en définitive. Ce qui importe ici, c’est de discuter d’un point de vue éthique et en des termes simples, de la rupture d’égalité et d’équité entre les justiciables, engendrée par l’usage d’une telle disposition dans des circonstances précises. La liberté obtenue par une personne poursuivie pour enrichissement illicite après avoir transigé, redonne à ce questionnement une pertinence conjoncturelle qui sert de prétexte à cette présente réflexion. Pour le compte de qui le procureur pense avoir agi? Quel choix a-t-il fait entre l’éthique de la conviction et l’éthique de la responsabilité, pour reprendre les termes d’un de ses collègues confronté au dilemme de l’instrumentalisation de la fonction par le politique à qui il doit sa nomination, et qui, dans les faits, lui dicte la conduite qu’il espère de lui ? S’il a la même lecture approximative des deux éthiques de Weber que son collège dans « l’affaire Barra Tall », il pourra lui aussi évoquer le lien ombilical qui lie le parquet au politique (le ministre de la justice) et estimer avoir agi en suivant l’éthique de la responsabilité. Après tout, l’on pourra ensuite invoquer le Pardon de Dieu et espérer de ce dernier une appréciation fondée sur les circonstances atténuantes de sa responsabilité personnelle, là où l’enjeu commande de se soumettre à l’ordre politique ou de disparaître. Que lui viennent alors en secours de sa conscience les mots du doyen Ousmane Camara qui, devant la Haute Cour de justice chargée de juger l’affaire Mamadou Dia, affirmait faire que son devoir «sans être persuadé de la culpabilité de l’accusé».
Dans le cas d’espèce, celui des biens mal acquis, la personne qui accepte de transiger avoue quelque part avoir fauté. Or, l’argent retourné n’efface pas la faute. Symboliquement, c’est cette faute (voler, s’enrichir illicitement) qui est censée être juridiquement sanctionnée parce que d’abord moralement réprimée. C’est cette morale, socle du droit qui s’en inspire pour légaliser des règles partagées dans une société, qui légitime la traque des biens mal acquis et qui donne un supplément de crédibilité aux institutions crées à cette fin. Quand ce droit prend du temps à se former, l’éthique, c’est ce qui vient d’urgence en zone sinistrée pour apporter les premiers secours. La médiation pénale ou tout autre procédé de transaction convoqué dans le cadre de la traque des biens mal acquis rompt le pacte moral et éthique qui est sa source première de légitimité. Sinon, il faudrait dès demain inviter tous les locataires de la célèbre prison de Rebeus, leur demander de transiger pour obtenir leur liberté. Voilà le message aux conséquences morales désastreuses que l’on lance aux populations sénégalaises : l’on a plus de chance de s’en sortir en volant des milliards qu’en commettant des peccadilles. Si la poursuite des personnes présumées s’être enrichis illicitement est devenue une demande sociale fortement exprimée, c’est que dans la perspective d’une nouvelle citoyenneté, elle devrait participer de la moralisation politique. En privilégiant la voie de la médiation pénale, on tue le symbole de la démarche.
Devrait-on d’ailleurs faire un lien entre les récents propos du Président sur « ses privilèges » supposés et la bienveillance dont aurait bénéficié le monsieur qui a accepté de transiger? En estimant avoir bénéficié de privilèges pour avoir occupé les fonctions de Premier Ministre et de Président de l’Assemblée, le Président Maky Sall fournit à peu de mots près, la même réponse qu’Idrissa Seck avait donnée à propos de sa richesse supposée, en 2006. A la nuance près que ce dernier s’était voulu pédagogue en expliquant aux Sénégalais (avec un sens inapproprié des détails), ce qu’ils savaient déjà : l’absence d’un encadrement légal et contraignant dans la gestion des fonds politiques mis à la disposition du Président, du Premier Ministre, du Président de l’assemblée nationale. Ceux qui, d’un côté, et par le biais de renforts médiatiques d’une partie de la presse inféodée au régime d’alors, l’avaient qualifié d’un aveu de culpabilité, avaient certes exagéré dans le but délibéré d’enfoncer un « adversaire ». Mais de l’autre côté, ceux qui avaient placé ces propos dans la simple rubrique d’une « erreur de communication », avaient sous estimé les effets dévastateurs de tels propos dans un contexte de persécution et de liquidation politiques planifiées. Car, en politique, il n’existe simplement pas d’erreurs de communication. Il ne peut exister que des erreurs, s’il en est. Un point, c’est tout! Tout soit disant spécialiste qui dirait à un homme politique qu’il a un problème de communication, a des compétences limitées en la matière, si elles ne sont pas d’ailleurs voisines de la nullité. Un problème de communication décelé chez un homme politique ne peut être que la conséquence de maladresses liées à la carence d’un leadership politique ou d’un défaut de maîtrise de son environnement social qui est vulgairement le cadre de son expression quotidienne, en actes et en paroles. Tant que persistent donc ces problèmes fondamentaux, les problèmes de communication persisteront. Mes étudiants en communication politique diraient : « pour comprendre la communication, il faut sortir de la communication ». S’attaquer à la conséquence en ignorant la cause, c’est plus qu’une faute, c’est une tare. Qui disait qu’en politique comme en amour, toutes les fautes s’expient et ne se réparent jamais? Cette erreur poursuit Idrissa Seck et le poursuivra pour longtemps. En tenant des propos similaires pour se justifier, Maky Sall a fait la même erreur qui le poursuivra aussi longtemps. La chance de Maky en la circonstance, c’est que l’arrogance et les errements des tenants de l’ancien régime restent vivaces dans les esprits et les éloignent encore des élans de sympathie médiatique qui leur auraient permis d’exploiter une telle erreur, et lui donner une ampleur populaire qui provoquerait le rejet. Mais que le Président ne s’étonne point demain de voir tous ceux qui sont poursuivis pour enrichissement illicite servir la même recette. Ils ne manqueraient pas alors de crier à la rupture d’égalité de traitement face à des justifications similaires non juridiquement considérées.
Entendons-nous bien! L’on comprend tous que l’immunité juridique du Président de la République n’autorise aucun rapprochement. Mais l’immunité juridique ne signifie pas l’immunité morale. Or, donc, la perte de l’immunité morale peut dans des circonstances de persistance du mal être sénégalais (décliné sous la forme du « xaxaar » traditionnel wolof, deuk bi dafa Maky), engendrer de la distance d’abord, de la colère ensuite, de la sanction enfin. Médiatiquement amplifiée, l’absence d’équité dans le traitement des faits similaires pourrait aussi a contrario, susciter la sympathie de victimes désignées, quand le temps de l’oubli finira de faire le deuil du rejet actuel. Les scenarios envisageables ne lustrent guère l’image de rupture promise aux votants du 25 mars. Si demain le Président Wade témoignait pour avouer qu’il a enrichi tous les accusés, la justice des procureurs qui agit par procuration politique pourrait s’en saisir pour stopper toutes les poursuites, préparer de futures retrouvailles sur fond de réconciliation nationale encouragée par les « gardiens du temple » (les marabouts) sensiblement intéressés par les dégâts collatéraux de ces enquêtes sur l’illicéité des richesses.
Mon scénario est volontairement pessimiste et pourrait se révéler faux. En fait, c’est ce que je souhaite : me tromper!
Dans mon expérience de promotion des droits humains en Afrique, j’ai souvent été interpelé en ces termes : « Vous vous occupez des conditions de vie des prisonniers, alors que ceux qui sont en dehors des prisons sont déjà dans un piteux état. Vous devriez d’abord vous occuper de nous ». Je répondais avec un sourire flegmatique et un sens de l’exagération convoqué à des fins pédagogiques ceci : « Il faut s’occuper de ceux qui sont dans les prisons car les 90% de ceux qui y sont ont toutes les raisons de ne pas y être. Jeunes, ils y resteront plus de temps que ce que permet une détention légale. Par oubli, pour lenteurs et lourdeurs judiciaires. Pauvres, ils n’ont pas de moyens d’acheter leur liberté et n’ont pas de parents ou d’amis « haut-placés » pour les tirer d’affaire. La seule différence entre un voleur de milliards et un voleur de poules sous nos tropiques, c’est que l’un a la chance d’être riche pour acheter sa liberté, d’avoir des amis perchés sur les branches dorées du pouvoir qui ont pu tester sa générosité indue, pour ne point devoir le lâcher et ne pas risquer d’être atteints par des déballages; l’autre, a la malchance d’être pauvre pour ne jamais espérer pouvoir monnayer sa liberté et ne pas avoir eu à fréquenter ceux qui pourraient faire preuve de solidarité de classe dans les moments de faiblesse ».
Drôle de justice! Non! Drôle de pays!
Que l’on me pardonne!
Pr Ndiaga Loum, département des sciences sociales, UQO, (Quebec)
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