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Présidentielle en Tunisie: un ex-député admirateur de Lula, un homme d’affaires en prison et un «hyperprésident» en lice

Dans un contexte marqué par la peur, deux candidats feront face au président sortant Kaïs Saïed, dimanche 6 octobre : Zouhaïr Maghzaoui, ancien député d’un parti « nationaliste arabe » et admirateur du Brésilien Lula, et Ayachi Zammel, un homme d’affaires emprisonné qui rêve de connaître le sort du président sénégalais Bassirou Diomaye Faye. Portraits.



Présidentielle en Tunisie: un ex-député admirateur de Lula, un homme d’affaires en prison et un «hyperprésident» en lice
Un voyageur non avisé peinerait à remarquer que la Tunisie s’apprête à voter. Sur les murs, les affiches des candidats, rares et discrètes, n’attirent que peu l’attention d’une population accaparée par les difficultés du quotidien autant qu’elle semble désabusée par les déboires de la vie politique de son pays.

Elle semble bien loin la dernière présidentielle de 2019 qui affichait fièrement 26 candidats. Il semble bien loin le temps où la Tunisie, bruissant de débats du café du matin aux plateaux TV du soir, était perçue comme le laboratoire démocratique du monde arabe. Le 6 octobre, les Tunisiens qui daigneront se déplacer jusqu’aux urnes, n’auront le choix qu’entre trois noms. Malgré les décisions du Tribunal administratif autorisant trois autres candidats à se présenter, l’ISIE – l’instance en charge d’organiser le scrutin – a décidé de passer outre la loi. C’est donc une campagne entachée d’irrégularités qui s’est ouverte. Verrouillée au possible, l’élection tunisienne semble d’ores et déjà consacrer le « président sortant » en « Raïs restant ». Qui est le Kaïs Saïed de 2024 et qui lui fait face ?

Présidentielle en Tunisie: un ex-député admirateur de Lula, un homme d’affaires en prison et un «hyperprésident» en lice
« On lui montre des vidéos de Jean-Luc Mélenchon et de Lula pour qu’il s’en inspire », glisse avec une voix à peine audible un proche de Zouhaïr Maghzaoui qui scanne du regard chaque personne qui entre dans le café tunisois où il reçoit les journalistes au compte-goutte. Persuadé d’être surveillé et de risquer la prison au moindre faux pas, ce conseiller accepte pourtant de livrer quelques informations sur les coulisses de la campagne de son candidat.

Du président Luiz Inacio Lula Da Silva érigé en modèle, Zouhaïr Maghzaoui cultive, en tout cas, la bonhomie. Rondelet, affable, souriant, toujours un bon mot à distribuer aux citoyens qu’il rencontre au gré de ses déplacements de terrain, cet ancien professeur de mathématiques de 59 ans joue à la fois sur la proximité et la hauteur. Costume en toute circonstances, lunettes vissées et voix posée, il débat avec le calme du « bon père de famille », image que son équipe de campagne a à cœur de lui forger. Alors que le président tunisien Kaïs Saïed se montre de plus en plus impulsif et vindicatif dans ses discours, Zouhaïr Maghzaoui sait que ce tempérament risque de lasser une population déjà mise à rude épreuve par un quotidien éprouvant. Il mise donc sur l’apaisement que Kaïs Saïed ne semble plus en mesure d’apporter au pays.

Son principal rival, il le connaît bien. Longtemps soutien indéfectible de Kaïs Saïed, Zouhaïr Maghzaoui, ancien député et secrétaire général d’un parti se revendiquant « nationaliste arabe », a applaudi chaudement le coup d’éclat du Maître de Carthage qui, à l’été 2021, s’arroge les pleins pouvoirs. Son opposition qui confine à l’animosité pour le parti islamiste Ennahdha, qui a dominé la vie politique tunisienne post-révolutionnaire et contre lequel le président tunisien semblait une digue, a poussé Zouhaïr Maghzaoui à se tenir longtemps aux côtés du chef de l’État tunisien au point de lui servir de conseiller officieux. Un des rares à avoir ses entrées à Carthage, Zouhaïr Maghzaoui aurait fini par se lasser. C’est du moins le narratif de son équipe de campagne.

Reçu mais bien peu entendu, échaudé par l’exercice solitaire du pouvoir grandissant du président tunisien, Zouhaïr Maghzaoui capitalise aujourd’hui sur les déçus de Kaïs Saïed. Et tant pis si une partie de l’élite le présente comme un faire-valoir douteux qui aurait retourné sa veste au dernier moment. Sillonnant avec assiduité les régions les plus déshéritées du pays, mettant en avant son accent du sud tunisien, Zouhaïr Maghzaoui joue la connivence avec les Tunisiens les plus fragilisés par la crise économique. Entouré d’une équipe rompue aux usages numériques, celui qui se rêve en Lula tunisien inonde la toile de vidéos de lui au contact des plus précaires.

Loin des caméras, il consulte et tente aussi de rassurer hommes d’affaires et diplomates que son étiquette de « nationaliste arabe » doublée d’admirateur revendiqué de Fidel Castro et Che Guevara peut contribuer à inquiéter. Celui qui entend aller chercher l’argent où il se trouve et rompre avec la stigmatisation des plus riches qui prévaut dans les discours de Kaïs Saïed multiplie les piques envers ce dernier. Demandant instamment à ce qu’un débat entre candidats puisse avoir lieu, promettant de dévoiler sa déclaration de patrimoine et son dossier médical, Zouhaïr Maghzaoui entend mettre en relief le manque de transparence d’un Kaïs Saïed peu enclin à rendre des comptes.

Les comptes, Kaïs Saïed a confié, à plusieurs reprises, devoir les rendre à Dieu. Persuadé d’être investi d’une mission pour son pays au point de frôler le messianisme, Kaïs Saïed a été élu démocratiquement avec près de 73% des voix en 2019. Jusqu’ici assistant de droit respecté et toujours enclin à répondre aux questions juridiques de médias à la recherche d’une boussole en ces premiers temps de tâtonnements démocratiques, Kaïs Saïed s’est forgé – du fait de son parcours académique et de sa diction robotique qui fait dire à ses détracteurs les plus sarcastiques que la Tunisie est le premier pays dirigé par une Intelligence artificielle – une réputation d’homme intègre et incorruptible.

Le temps d’un mandat, et avec l’assentiment silencieux d’une partie non-négligeable de la population soulagée de la mise en sourdine des déchirements idéologiques qui rythmaient le quotidien du pays, Kaïs Saïed s’est métamorphosé en « hyperprésident ». Alors que le pays a vécu au rythme des tâtonnements démocratiques, attentats, assassinats politiques et crise du Covid, et alors que la population semblait lassée des batailles politiques rangées débouchant parfois sur des affrontements physiques dans l’enceinte même de l’Assemblée tunisienne, il décide de taper du poing sur la table en s’arrogeant les pleins pouvoirs en 2021.

Une décision très largement saluée en Tunisie. Le soir du 25 juillet 2021, la population descend dans les rues et adoube chaudement celui qui est perçu comme l’homme en mesure de rétablir l’ordre dans le pays et le débarrasser de ce qui est perçu comme une dérive de l’élite politique avec un grief particulier porté envers Ennahdha, parti islamiste qui a dominé la vie politique tunisienne post-révolutionnaire. Lassée par ce qui est communément appelée « la décennie noire » par les détracteurs de la révolution, une partie de la population tunisienne semble soulagée de déléguer la marche du pays à un homme perçu comme intègre.

C’est précisément cette confiance qui va permettre à Kaïs Saïed d’étouffer progressivement tous les contre-pouvoirs. Assemblée gelée puis remodelée, magistrats révoqués, journalistes emprisonnés, Constitution revue et corrigée par ses soins, la Tunisie post-révolutionnaire est désormais méconnaissable.

Hormis un rapide manifeste dans lequel il met en garde contre le danger d’un retour au pouvoir de l’ancienne élite et des déclarations d’intention de redressement économique et social du pays, le président qui brigue, du haut de ses 66 ans, un second mandat n’a pas présenté de programme aux Tunisiens.

Il peut d’ailleurs donner l’impression d’agir comme s’il avait déjà remporté le scrutin. En déclarant en avril dernier qu’il ne laisserait pas le pays aux mains de personnes qu’il juge « non patriotes » et en opérant un remaniement d’envergure à la mi-août – 22 ministres ont été remerciés et remplacés – et en désignant une nouvelle cohorte de gouverneurs début septembre, il donne le signal qu’il est là pour rester.

Hatem Nafti, auteur de Notre ami Kaïs Saïed (éditions Riveneuve), qui se définit comme essayiste et opposant, a une certitude : « Kaïs Saïed ne partira pas par les urnes. » Plus que la colère populaire et l’effritement du capital sympathie du président tunisien, il parie sur la lassitude de la haute administration ou de l’armée qui pourrait, en cas de faux pas jugé suffisamment grave, décider « de le débrancher ».

S’il y en a un qui est bel et bien « débranché » de la présidentielle, c’est Ayachi Zammel. Du moins physiquement, le candidat ayant été arrêté – « kidnappé », disent ses proches – le jour même de la validation définitive de sa candidature par l’ISIE. Lui qui avait planifié scrupuleusement ses déplacements de campagne a entamé à la place un tour de Tunisie des tribunaux. Poursuivi pour faux parrainages supposés, son nom est cité dans 37 affaires qui lui ont déjà valu trois condamnations dont la dernière prononcée mardi 1er octobrese monte à douze années de réclusion.

Des intimes qui parlent, sous couvert d’anonymat par craintes de représailles, dénoncent un « hold-up » du régime effrayé, selon eux, à l’idée de voir cet industriel de 47 ans qui a fait fortune dans l’agroalimentaire et dont la réussite économique sert de carte de visite, attirer massivement les votes des déçus de Kaïs Saïed. Depuis l’annonce de sa candidature, Ayachi Zammel, que son équipe présente comme un « pur produit tunisien », ingénieur en chimie, époux et père de deux enfants, à la vie rangée, a effectivement suscité l’intérêt des opposants de tous bords à Kaïs Saïed. Alors que sa campagne s’est ouverte sans lui pour cause de détention, son QG de campagne, niché dans une villa cossue de la capitale, a attiré de nombreux médias nationaux et internationaux.

Les regards aiguisés auront remarqué la présence dans la foule de l’avocate Dalila Ben Mbarek Msaddek, sœur du juriste emprisonné lui aussi, Jaouhar Ben Mbarek, avec qui elle partage sa passion pour le droit autant que son aversion pour le régime qu’elle qualifie d’autoritaire de Kaïs Saïed. À ses côtés, tout en verve qu’elle, son amie et camarade de lutte, Chaïma Issa. Membres du Front de salut national, détenue elle-même quelques mois pour complot contre la sûreté de l’État du fait de ses activités militantes, elle voit en Ayachi Zammel le seul candidat en mesure de mettre fin à la présidence Saïed. Choix par défaut, alors ? Non, assure celle qui confie avoir appris à faire connaissance avec ce quadra souriant, présenté comme enraciné dans le terroir tunisien du fait de son ancrage dans le nord-ouest déshérité du pays où il emploie des centaines de personnes mais aussi dans la région de Gabès, dans le sud du pays, dont est originaire son épouse, chimiste comme lui.

Présenté comme aussi libéral sur le plan économique que des libertés et absent à sa propre campagne, Ayachi Zammel se taille par là même une stature d’homme compétent doublé de victime de la répression du régime que ses soutiens mettent en valeur, le comparant à l’actuel président sénégalais Bassirou Diomaye Faye passé, en mars dernier, de la cellule d’une prison au palais de la République de Dakar.

S’ils font montre de combativité devant les micros, les proches d’Ayachi Zammel laissent transparaître des signes de lassitude et de fatigue morale en cette fin de campagne rythmée pour eux par des soubresauts juridiques bien loin d’être terminés au vu du nombre d’affaires non encore jugées dans lesquelles leur poulain et ami est cité. En pleine discussion, l’un d’eux craque : « Il ne mérite pas ce qui lui arrive, c’est un brave type. » Sa voix s’étouffe dans ses larmes. Il quitte la pièce sous le regard grave et entendu de l’assemblée. Outre la détention du candidat, ce sont aussi les espoirs déçus de la révolution tunisienne que l’on pleure ici.

Rfi

Dimanche 6 Octobre 2024 - 10:06


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