Encore une autre plainte de Karim Wade contre des journalistes. Cette fois-ci, le président de la défunte Agence Nationale de l'Organisation de la Conférence Islamique (ANOCI), par ailleurs, ministre des Infrastructures, de la Coopération Internationale, des Transports aériens, de l'Energie a décidé de poursuivre le journaliste, Johnson Mbengue et Médiapart.fr. Selon un membre de son service de communication joint au téléphone, "le ministre d'Etat a décidé de poursuivre l'ancien journaliste de Walfadjri, Johnson Mbengue, mais aussi de servir une citation directe".
Karim Wade s'est senti diffamé et offensé par les écrits du site d'information français "Médiapart" qui lui a consacré un dossier entier sur sa gestion de l'OCI. Il a ainsi saisi ses avocats pour qu'une procédure soit déclenchée le plus rapidement possible.
Interpellé sur la plainte de Karim Wade contre sa personne pour avoir témoigner dans ce dossier sur les cas de corruption notés dans la gestion de OCI, Johnson Mbengue a semblé ne pas être au courant de cette initiative du fils du chef de l’Etat. «Le journaliste de Médiapart a déformé mes propos. Je vais lui envoyer un démenti demain matin», a déclaré. L’ancien journaliste de Walfadjri a tenu à faire savoir que ce rectificatif n’est nullement lié à la plainte de Karim Wade. Et qu’avec ou sans poursuite judiciaire, il allait envoyer le démenti à son interlocuteur dans la rédaction de Mediapart.
Karim Wade s'est senti diffamé et offensé par les écrits du site d'information français "Médiapart" qui lui a consacré un dossier entier sur sa gestion de l'OCI. Il a ainsi saisi ses avocats pour qu'une procédure soit déclenchée le plus rapidement possible.
Interpellé sur la plainte de Karim Wade contre sa personne pour avoir témoigner dans ce dossier sur les cas de corruption notés dans la gestion de OCI, Johnson Mbengue a semblé ne pas être au courant de cette initiative du fils du chef de l’Etat. «Le journaliste de Médiapart a déformé mes propos. Je vais lui envoyer un démenti demain matin», a déclaré. L’ancien journaliste de Walfadjri a tenu à faire savoir que ce rectificatif n’est nullement lié à la plainte de Karim Wade. Et qu’avec ou sans poursuite judiciaire, il allait envoyer le démenti à son interlocuteur dans la rédaction de Mediapart.
Le dossier incriminé
« Si on ne reste pas au pouvoir, nos adversaires nous jetteront en prison. » C’est, en substance, le message lancé par le porte-parole de la campagne d’Abdoulaye Wade. Au Sénégal, des affaires, il y en a à la pelle. La presse s’en fait largement écho, la justice plus rarement. Il y a d'abord les mallettes, tradition séculaire au pays de la Teranga, la fameuse hospitalité sénégalaise, qui pour Wade père est sonnante et trébuchante. Le représentant du FMI, Alex Segura, avait ainsi renvoyé les 100 000 euros et 50 000 dollars reçus en guise de cadeau de départ. Une manœuvre pour le discréditer car l’homme dérangeait pour ses prises de position, notamment sur la corruption.
Nombre de journalistes de passage à Dakar se sont également vu offrir un « petit quelque chose ». Dans son livre Les Sorciers blancs, enquête sur les faux amis de l’Afrique, Vincent Hugeux raconte comme Thierry Oberlé, journaliste au Figaro, s'est vu proposer « des per diems […] sur la table basse, une enveloppe garnie, au jugé de 10 000 euros ». Abdoulaye Wade, 86 ans bien toqués, les justifiera par un : « chez nous, il y a des coutumes ». Et les « coutumes » ont la peau dure car, pas plus tard que durant cette campagne électorale, le parti du chef de l’Etat, le PDS, a donné des per diem à de nombreux journalistes sénégalais.
Mais sous la présidence Wade, « la corruption s’est institutionnalisée », d’après plusieurs sources diplomatiques en poste à Dakar. Les scandales ont toujours en toile de fond un personnage décrié, l’homme certainement le plus détesté du pays : Karim Wade, le fils de « Gorgui », le Vieux en wolof. Karim Wade, « toujours soupçonné, mais jamais directement impliqué », comme le confie un ancien journaliste d’investigation économique, Johnson Mbengue. Qui poursuit : « aucune preuve tangible ne l’a mouillé, et c’est toute la force de Karim Wade de brouiller les pistes ».
Le fils du président sent le soufre. Bombardé conseiller personnel du président sénégalais en 2002, Karim Wade s’occupe dans un premier temps de chapeauter et d’organiser les privatisations. Mais son arrivée coïncide également avec l’accumulation des affaires et des montages financiers encore jamais vus dans le pays. Jusqu’à présent, aucune preuve tangible ne permet d’avancer que le « Monsieur 15 % », comme le relatait un câble diplomatique américain révélé par WikiLeaks, reçoit effectivement 15 % de commissions. Si les soupçons se portent très souvent sur Karim, c’est en raison des affaires qui touchent en premier lieu son entourage le plus proche.
Mediapart révèle ainsi qu’un dénommé C., « partenaire de Karim » d’après plusieurs sources, a reçu un virement de 2 millions de dollars le 1er août 2007 de la part de Mohsen Al Kharafi. La plus grosse fortune koweïtienne est à l’époque associée aux chantiers du sommet de l’OCI (nous y revenons en page 3), dont le conseil de surveillance est présidé par un certain… Karim Wade. Y a-t-il eu ensuite rétro-commission ? Le doute plane.
Une ascension fulgurante
Il n’y a en revanche aucun doute sur le parcours à vitesse grand V de Karim Wade. Inconnu en 2000 des Sénégalais lors de l’arrivée au pouvoir de son père, il est propulsé deux ans plus tard conseiller personnel du chef de l’Etat chargé de chapeauter et d’organiser les privatisations. Après un mémoire de DESS coécrit avec sa sœur, sa cadette de quatre ans, Karim Wade part faire ses classes à Londres pour la banque UBS. Le forum de Davos le présente comme directeur associé, et ce pendant dix ans. Problème : Karim Wade est diplômé en 1995 pour se retrouver sept ans plus tard dans un bureau du palais présidentiel à Dakar.
De retour au pays, Karim Wade se voit confier les dossiers sensibles, notamment ceux des privatisations. La première grosse affaire retentissante éclate quelques mois plus tard : les ICS, les Industries chimiques du Sénégal, fleuron industriel du pays à l’arrivée d’Abdoulaye Wade, se retrouvent au bord de la faillite au bout de quelques années à peine. Comme le soulignait à l’époque le journal Jeune Afrique, l’entreprise passe « d’un bénéfice net en 1999 de 18 milliards de francs CFA (27,6 millions d’euros) à un déficit de 54 milliards de francs CFA (83 millions d’euros) » cinq ans plus tard.
Entre-temps, un homme d’affaires français proche de Karim Wade, Jérôme Godart, entre en jeu pour mettre la main sur l’une des filiales du groupe, à l’époque à majorité publique. « Mais une brouille de gros sous entre les deux hommes a mis à genoux les ICS », raconte Johnson Mbengue. Un autre journaliste économique, Mohamed Gueye, ajoute : « La crise a duré car Godart a été trop gourmand, mais il avait réussi à faire bloquer les comptes de l’entreprise après avoir porté plainte devant le tribunal de commerce de Paris. » Un accord à l’amiable est finalement trouvé sans qu’on en connaisse la teneur.
L’entreprise est toujours au bord du gouffre mais Karim Wade revient tel « le sauveur », d’après des syndicalistes du groupe. Résultat : les ICS sont bradées au géant indien IFFCO, déjà minoritaire dans l’entreprise, et désormais actionnaire à 66 % de l’ancienne gloire nationale. Pour Johnson Mbengue, « les ICS ne se sont jamais remises de cette gestion calamiteuse ».
L’ANOCI, « le scandale du siècle »
Au chapitre de la mauvaise gestion, Karim Wade va faire encore plus fort. Le conseiller spécial du président se voit confier le pilotage de tout le 11e sommet de l’organisation de la conférence islamique (OCI) qui s’est tenu en 2008 à Dakar après plusieurs reports.
« Au départ ça ne devait pas coûter un seul centime à l’Etat sénégalais, explique Bara Tall, PDG de l’un des plus importants groupes de BTP dans le pays et en Afrique de l’Ouest. Ce devait être financé par les pays du Golfe. » Pour le sommet de l’OCI, neuf vastes chantiers doivent être lancés, et les deux tiers ne seront réalisés… qu’un an après le sommet. Belle performance.
L’autorité de régulation des marchés publics a rendu un rapport accablant faisant état de violations dans la procédure de l’appel d’offres. Ententes, gré à gré, retards, etc. Sans parler des surfacturations. « Quand l’homme de Karim Wade, Abdoulaye Baldé, alors secrétaire général de la présidence et directeur exécutif de l’ANOCI, nous présente le projet en 2004, il nous explique qu’on doit se partager le gâteau, affirme Bara Tall, également ancien conseiller du président Wade tombé depuis en disgrâce. Je fais une offre à 14 milliards de francs CFA (21,5 millions d’euros), mais Baldé me dit de doubler ou presque. Je refuse en prétextant que c’est trop, et que c’est un délit. Je refais une offre, mais là encore il me dit : arrête avec tes prix à la con !»
L’ANOCI (Agence nationale pour l'organisation de la conférence islamique) passe pour de nombreux observateurs pour « Le scandale du siècle » dans le pays. Le journaliste indépendant, Abdelatif Coulibaly, auteur d’un livre-enquête sur ces « contes et mécomptes de l’ANOCI », dénonce « un gaspillage de l’argent pour rien ». « Le gouvernement affirmait que l’Etat avait déboursé seulement 72 milliards de francs CFA (110 millions d’euros) pour ce sommet, mais c’est complètement faux. D’après mes calculs et les différents rapports d’audits, c’est certainement six fois plus que l’Etat a dû sortir de ses caisses. »
D’après des documents que Mediapart s’est procurés, tous les budgets de l’Etat ont été ponctionnés pour financer un raout réunissant essentiellement des enturbannés, et pour attirer les pétrodollars du Golfe dans des projets privés qui n’avaient rien à voir avec l’OCI. Avant même la révélation des dysfonctionnements, et des malversations par plusieurs audits publics, l’affaire a fait un tel tollé que même le président de l’assemblée nationale de l’époque, Macky Sall, un des ténors du parti au pouvoir, tente de convoquer Karim Wade devant les députés pour s’expliquer sur les retards accumulés et l’opacité de la gestion. En vain.
Quelques mois après, Macky Sall sera débarqué du perchoir. Abdoulaye Wade sacrifie l’un de ses héritiers politiques pour protéger son fils après cet épisode de l’ANOCI, dont le slogan, prémonitoire, était : « en route vers le sommet ».
« Un affairiste mais pas un politique »
Mais le chemin « vers le sommet » est semé d’embûches. Les Dakarois ne veulent pas de « Karim ». Présenté pour prendre la mairie de la capitale en 2009, il se fait battre à plate couture, y compris dans son propre bureau de vote. « Ce n’est pas un homme politique mais un affairiste », confie une source diplomatique. Impopulaire, raillé car incapable de parler l’une des langues nationales, Karim Wade, cible de toutes les critiques, va devoir une nouvelle fois tirer la manche de « Papa » Wade pour passer la vitesse supérieure.
Deux mois à peine après son échec retentissant au scrutin local et son crash-test devant les électeurs, il devient ministre d’Etat. Le « super ministre » prend sous sa coupe les infrastructures, les transports aériens, la coopération internationale, l’énergie, mais aussi pendant un temps l’aménagement du territoire. Le titre est ronflant mais stratégique, un « Etat dans l’Etat ». Des secteurs qui n’ont absolument rien à voir, mais « qui charrient beaucoup de cash », comme l’indique un homme d’affaires en vue.
La cadence des affaires prend cette fois une nouvelle ampleur. La presse sénégalaise révèle quasiment chaque semaine un scandale. Le secteur énergétique concentre notamment l’attention. L’EDF locale, la Sénélec, est dans la panade depuis des lustres, bien avant l’arrivée de Karim Wade. Les délestages empoisonnent la vie des habitants de la capitale, à l’origine des manifestations qui ont surpris le pouvoir en juin dernier. Les coupures de courant coûtent aussi très cher à l’économie du pays, qui perd 1,4 point de PIB à cause des délestages et des investissements des entreprises dans les générateurs.
Celui que l’on surnomme désormais « le ministre du ciel et de la terre » sort de son chapeau le plan Takkal : plus d’un milliard d’euros pour restructurer le secteur. En attendant, c’est une société américaine qui assure les besoins en électricité de Dakar. Son contrat prend fin en mars, juste après la présidentielle. Sauf que si l’intention est louable, le gouvernement de Wade a jeté une fois de plus le trouble en faisant obstacle à toute transparence. Un décret polémique pris début janvier met sur la touche l’autorité de régulation des marchés publics. L’ARMP ne peut plus mettre son nez dans les contrats énergétiques. « C’est gênant », admet une source diplomatique. Un autre diplomate ajoute : « C’est de nature à renforcer les soupçons de détournements de fonds. »
La lutte inefficace contre la corruption
Et les soupçons, il y en a à foison. Une agence sénégalaise, la CENTIF, se charge de recueillir justement les déclarations de soupçons de blanchiment, de détournement et de corruption : 84 cas en 2010, avec un montant astronomique représentant « 17,6 % du PIB » soit plus des deux tiers de la dette extérieure du Sénégal ! Et combien de cas ont débouché sur des condamnations ? Un seul.
Un membre de cette cellule de traitement des informations financières déclare sous couvert d’anonymat que « la justice fait barrage presque systématiquement dans les affaires de corruption ». Une source diplomatique confirme : « Et pourtant, la justice sénégalaise a les moyens de s’imposer car le code pénal prévoit que toute personne inculpée doit prouver l’origine de sa fortune illicite. Mais cet article n’est jamais appliqué, et pire, il est menacé d’être supprimé dans la prochaine révision du code pénal. » « Paradoxalement, on a beaucoup plus d’institutions chargées de lutter contre la corruption, ça fait bien de les présenter devant des bailleurs de fonds, renchérit Bira Gueye, journaliste économique, mais ce sont des coquilles vides. » Et de fait, face à une corruption qui s’est institutionnalisée sous l’ère Wade, l’impunité règne.
Tous les dossiers liés à la corruption passent forcément par le parquet. Résultat : la justice ne fait rien. Enfin si, quand il s’agit d’abattre un ennemi politique. Bara Tall, le PDG de l’un des ex-leaders du BTP dans le pays, a vu son entreprise, Jean Lefèvre Sénégal, « asphyxiée par l’Etat ». « Avant j’employais 3000 personnes, souligne cet entrepreneur reconverti dans l’opposition politique. Mais maintenant je n’en ai qu’une centaine. J’avais refusé de marcher dans leurs combines de surfacturations sur les chantiers de l’ANOCI. J’avais refusé de trop manger. » Comme d’autres, il est victime de tentative de corruption.
« Abdoulaye Wade m’a proposé 18 millions de dollars pour que je charge l’un de ses ennemis politiques, Idrissa Seck [aujourd’hui candidat à la présidentielle]. Là encore j’ai refusé. » Un silence, une larme écrasée. « Le ministre de la justice de l’époque a annoncé mon inculpation à la télé. Mon père a eu une attaque juste après. Ils ont monté une affaire de détournement de toutes pièces. J’ai fait 72 jours de prison, la procédure a duré des années. » La justice a depuis prononcé un non-lieu partiel.
Ainsi vont les affaires sous les Wade…
De l'envoyé spécial de MEDIAPART au Sénégal
Nombre de journalistes de passage à Dakar se sont également vu offrir un « petit quelque chose ». Dans son livre Les Sorciers blancs, enquête sur les faux amis de l’Afrique, Vincent Hugeux raconte comme Thierry Oberlé, journaliste au Figaro, s'est vu proposer « des per diems […] sur la table basse, une enveloppe garnie, au jugé de 10 000 euros ». Abdoulaye Wade, 86 ans bien toqués, les justifiera par un : « chez nous, il y a des coutumes ». Et les « coutumes » ont la peau dure car, pas plus tard que durant cette campagne électorale, le parti du chef de l’Etat, le PDS, a donné des per diem à de nombreux journalistes sénégalais.
Mais sous la présidence Wade, « la corruption s’est institutionnalisée », d’après plusieurs sources diplomatiques en poste à Dakar. Les scandales ont toujours en toile de fond un personnage décrié, l’homme certainement le plus détesté du pays : Karim Wade, le fils de « Gorgui », le Vieux en wolof. Karim Wade, « toujours soupçonné, mais jamais directement impliqué », comme le confie un ancien journaliste d’investigation économique, Johnson Mbengue. Qui poursuit : « aucune preuve tangible ne l’a mouillé, et c’est toute la force de Karim Wade de brouiller les pistes ».
Le fils du président sent le soufre. Bombardé conseiller personnel du président sénégalais en 2002, Karim Wade s’occupe dans un premier temps de chapeauter et d’organiser les privatisations. Mais son arrivée coïncide également avec l’accumulation des affaires et des montages financiers encore jamais vus dans le pays. Jusqu’à présent, aucune preuve tangible ne permet d’avancer que le « Monsieur 15 % », comme le relatait un câble diplomatique américain révélé par WikiLeaks, reçoit effectivement 15 % de commissions. Si les soupçons se portent très souvent sur Karim, c’est en raison des affaires qui touchent en premier lieu son entourage le plus proche.
Mediapart révèle ainsi qu’un dénommé C., « partenaire de Karim » d’après plusieurs sources, a reçu un virement de 2 millions de dollars le 1er août 2007 de la part de Mohsen Al Kharafi. La plus grosse fortune koweïtienne est à l’époque associée aux chantiers du sommet de l’OCI (nous y revenons en page 3), dont le conseil de surveillance est présidé par un certain… Karim Wade. Y a-t-il eu ensuite rétro-commission ? Le doute plane.
Une ascension fulgurante
Il n’y a en revanche aucun doute sur le parcours à vitesse grand V de Karim Wade. Inconnu en 2000 des Sénégalais lors de l’arrivée au pouvoir de son père, il est propulsé deux ans plus tard conseiller personnel du chef de l’Etat chargé de chapeauter et d’organiser les privatisations. Après un mémoire de DESS coécrit avec sa sœur, sa cadette de quatre ans, Karim Wade part faire ses classes à Londres pour la banque UBS. Le forum de Davos le présente comme directeur associé, et ce pendant dix ans. Problème : Karim Wade est diplômé en 1995 pour se retrouver sept ans plus tard dans un bureau du palais présidentiel à Dakar.
De retour au pays, Karim Wade se voit confier les dossiers sensibles, notamment ceux des privatisations. La première grosse affaire retentissante éclate quelques mois plus tard : les ICS, les Industries chimiques du Sénégal, fleuron industriel du pays à l’arrivée d’Abdoulaye Wade, se retrouvent au bord de la faillite au bout de quelques années à peine. Comme le soulignait à l’époque le journal Jeune Afrique, l’entreprise passe « d’un bénéfice net en 1999 de 18 milliards de francs CFA (27,6 millions d’euros) à un déficit de 54 milliards de francs CFA (83 millions d’euros) » cinq ans plus tard.
Entre-temps, un homme d’affaires français proche de Karim Wade, Jérôme Godart, entre en jeu pour mettre la main sur l’une des filiales du groupe, à l’époque à majorité publique. « Mais une brouille de gros sous entre les deux hommes a mis à genoux les ICS », raconte Johnson Mbengue. Un autre journaliste économique, Mohamed Gueye, ajoute : « La crise a duré car Godart a été trop gourmand, mais il avait réussi à faire bloquer les comptes de l’entreprise après avoir porté plainte devant le tribunal de commerce de Paris. » Un accord à l’amiable est finalement trouvé sans qu’on en connaisse la teneur.
L’entreprise est toujours au bord du gouffre mais Karim Wade revient tel « le sauveur », d’après des syndicalistes du groupe. Résultat : les ICS sont bradées au géant indien IFFCO, déjà minoritaire dans l’entreprise, et désormais actionnaire à 66 % de l’ancienne gloire nationale. Pour Johnson Mbengue, « les ICS ne se sont jamais remises de cette gestion calamiteuse ».
L’ANOCI, « le scandale du siècle »
Au chapitre de la mauvaise gestion, Karim Wade va faire encore plus fort. Le conseiller spécial du président se voit confier le pilotage de tout le 11e sommet de l’organisation de la conférence islamique (OCI) qui s’est tenu en 2008 à Dakar après plusieurs reports.
« Au départ ça ne devait pas coûter un seul centime à l’Etat sénégalais, explique Bara Tall, PDG de l’un des plus importants groupes de BTP dans le pays et en Afrique de l’Ouest. Ce devait être financé par les pays du Golfe. » Pour le sommet de l’OCI, neuf vastes chantiers doivent être lancés, et les deux tiers ne seront réalisés… qu’un an après le sommet. Belle performance.
L’autorité de régulation des marchés publics a rendu un rapport accablant faisant état de violations dans la procédure de l’appel d’offres. Ententes, gré à gré, retards, etc. Sans parler des surfacturations. « Quand l’homme de Karim Wade, Abdoulaye Baldé, alors secrétaire général de la présidence et directeur exécutif de l’ANOCI, nous présente le projet en 2004, il nous explique qu’on doit se partager le gâteau, affirme Bara Tall, également ancien conseiller du président Wade tombé depuis en disgrâce. Je fais une offre à 14 milliards de francs CFA (21,5 millions d’euros), mais Baldé me dit de doubler ou presque. Je refuse en prétextant que c’est trop, et que c’est un délit. Je refais une offre, mais là encore il me dit : arrête avec tes prix à la con !»
L’ANOCI (Agence nationale pour l'organisation de la conférence islamique) passe pour de nombreux observateurs pour « Le scandale du siècle » dans le pays. Le journaliste indépendant, Abdelatif Coulibaly, auteur d’un livre-enquête sur ces « contes et mécomptes de l’ANOCI », dénonce « un gaspillage de l’argent pour rien ». « Le gouvernement affirmait que l’Etat avait déboursé seulement 72 milliards de francs CFA (110 millions d’euros) pour ce sommet, mais c’est complètement faux. D’après mes calculs et les différents rapports d’audits, c’est certainement six fois plus que l’Etat a dû sortir de ses caisses. »
D’après des documents que Mediapart s’est procurés, tous les budgets de l’Etat ont été ponctionnés pour financer un raout réunissant essentiellement des enturbannés, et pour attirer les pétrodollars du Golfe dans des projets privés qui n’avaient rien à voir avec l’OCI. Avant même la révélation des dysfonctionnements, et des malversations par plusieurs audits publics, l’affaire a fait un tel tollé que même le président de l’assemblée nationale de l’époque, Macky Sall, un des ténors du parti au pouvoir, tente de convoquer Karim Wade devant les députés pour s’expliquer sur les retards accumulés et l’opacité de la gestion. En vain.
Quelques mois après, Macky Sall sera débarqué du perchoir. Abdoulaye Wade sacrifie l’un de ses héritiers politiques pour protéger son fils après cet épisode de l’ANOCI, dont le slogan, prémonitoire, était : « en route vers le sommet ».
« Un affairiste mais pas un politique »
Mais le chemin « vers le sommet » est semé d’embûches. Les Dakarois ne veulent pas de « Karim ». Présenté pour prendre la mairie de la capitale en 2009, il se fait battre à plate couture, y compris dans son propre bureau de vote. « Ce n’est pas un homme politique mais un affairiste », confie une source diplomatique. Impopulaire, raillé car incapable de parler l’une des langues nationales, Karim Wade, cible de toutes les critiques, va devoir une nouvelle fois tirer la manche de « Papa » Wade pour passer la vitesse supérieure.
Deux mois à peine après son échec retentissant au scrutin local et son crash-test devant les électeurs, il devient ministre d’Etat. Le « super ministre » prend sous sa coupe les infrastructures, les transports aériens, la coopération internationale, l’énergie, mais aussi pendant un temps l’aménagement du territoire. Le titre est ronflant mais stratégique, un « Etat dans l’Etat ». Des secteurs qui n’ont absolument rien à voir, mais « qui charrient beaucoup de cash », comme l’indique un homme d’affaires en vue.
La cadence des affaires prend cette fois une nouvelle ampleur. La presse sénégalaise révèle quasiment chaque semaine un scandale. Le secteur énergétique concentre notamment l’attention. L’EDF locale, la Sénélec, est dans la panade depuis des lustres, bien avant l’arrivée de Karim Wade. Les délestages empoisonnent la vie des habitants de la capitale, à l’origine des manifestations qui ont surpris le pouvoir en juin dernier. Les coupures de courant coûtent aussi très cher à l’économie du pays, qui perd 1,4 point de PIB à cause des délestages et des investissements des entreprises dans les générateurs.
Celui que l’on surnomme désormais « le ministre du ciel et de la terre » sort de son chapeau le plan Takkal : plus d’un milliard d’euros pour restructurer le secteur. En attendant, c’est une société américaine qui assure les besoins en électricité de Dakar. Son contrat prend fin en mars, juste après la présidentielle. Sauf que si l’intention est louable, le gouvernement de Wade a jeté une fois de plus le trouble en faisant obstacle à toute transparence. Un décret polémique pris début janvier met sur la touche l’autorité de régulation des marchés publics. L’ARMP ne peut plus mettre son nez dans les contrats énergétiques. « C’est gênant », admet une source diplomatique. Un autre diplomate ajoute : « C’est de nature à renforcer les soupçons de détournements de fonds. »
La lutte inefficace contre la corruption
Et les soupçons, il y en a à foison. Une agence sénégalaise, la CENTIF, se charge de recueillir justement les déclarations de soupçons de blanchiment, de détournement et de corruption : 84 cas en 2010, avec un montant astronomique représentant « 17,6 % du PIB » soit plus des deux tiers de la dette extérieure du Sénégal ! Et combien de cas ont débouché sur des condamnations ? Un seul.
Un membre de cette cellule de traitement des informations financières déclare sous couvert d’anonymat que « la justice fait barrage presque systématiquement dans les affaires de corruption ». Une source diplomatique confirme : « Et pourtant, la justice sénégalaise a les moyens de s’imposer car le code pénal prévoit que toute personne inculpée doit prouver l’origine de sa fortune illicite. Mais cet article n’est jamais appliqué, et pire, il est menacé d’être supprimé dans la prochaine révision du code pénal. » « Paradoxalement, on a beaucoup plus d’institutions chargées de lutter contre la corruption, ça fait bien de les présenter devant des bailleurs de fonds, renchérit Bira Gueye, journaliste économique, mais ce sont des coquilles vides. » Et de fait, face à une corruption qui s’est institutionnalisée sous l’ère Wade, l’impunité règne.
Tous les dossiers liés à la corruption passent forcément par le parquet. Résultat : la justice ne fait rien. Enfin si, quand il s’agit d’abattre un ennemi politique. Bara Tall, le PDG de l’un des ex-leaders du BTP dans le pays, a vu son entreprise, Jean Lefèvre Sénégal, « asphyxiée par l’Etat ». « Avant j’employais 3000 personnes, souligne cet entrepreneur reconverti dans l’opposition politique. Mais maintenant je n’en ai qu’une centaine. J’avais refusé de marcher dans leurs combines de surfacturations sur les chantiers de l’ANOCI. J’avais refusé de trop manger. » Comme d’autres, il est victime de tentative de corruption.
« Abdoulaye Wade m’a proposé 18 millions de dollars pour que je charge l’un de ses ennemis politiques, Idrissa Seck [aujourd’hui candidat à la présidentielle]. Là encore j’ai refusé. » Un silence, une larme écrasée. « Le ministre de la justice de l’époque a annoncé mon inculpation à la télé. Mon père a eu une attaque juste après. Ils ont monté une affaire de détournement de toutes pièces. J’ai fait 72 jours de prison, la procédure a duré des années. » La justice a depuis prononcé un non-lieu partiel.
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