Lors du récent exercice hautement républicain et typiquement sénégalais de déclaration de politique générale (DPG), certaines décisions ont été annoncées par le Premier Ministre. Motivée par la récente crise de l’eau potable à Dakar, le Premier Ministre a déclaré que « l’accent sera mis sur la sécurisation de la production et la prévention des déficits projetés à 200 000 m3/jour à l’horizon 2025 ».
Elle a aussi déclaré que son gouvernement allait engager la réhabilitation de forages pour permettre la production de 34500 m3/jour ainsi que la réalisation d’une unité de traitement visant à améliorer la qualité de l’eau dans les zones périurbaines de la capitale sénégalaise.
Son discours a également annoncé dans la foulée la mise en œuvre « de plans de contingences et de gestion des risques pour tous les services publics stratégiques comme l’eau, l‘électricité et les télécommunications », adoubés de « conseils de veille stratégique » et appuyés par des « efforts substantiels » que le gouvernement va consentir à l’assainissement, ce parent pauvre du cycle de l’eau en milieu urbain.
Le citoyen a toutes les raisons d’être réconforté par ces déclarations d’intention et ne peut que souhaiter une mise en œuvre des plans d’actions dans les meilleures conditions possibles. A défaut de proactivité, la réactivité des autorités est de nature à rassurer les populations.
Mais si gouverner, c’est prévoir, il y a lieu de se demander pourquoi ces mesures n’ont jamais été envisagées avant que ne surgisse une crise aux répercussions sociales et politiques considérables.
Les déficits de production avaient donc déjà été prévus depuis quelques années par des études sur l’évolution de la demande et la quantification de la disponibilité de la ressource eau. Mieux, on sait maintenant qu’une dizaine de forages existants et susceptibles d’atténuer le déficit futur de l’offre, sont hors service depuis un certain temps sans qu’on ait jugé utile de les réhabiliter jusqu’aujourd’hui.
Pour ce qui concerne la contingence et la gestion des risques liés aux services publics névralgiques, nonobstant du fait que ca aurait du être une priorité forte dès les phases de conception et de planification de ces services, il faut savoir qu’il existe déjà une structure dont la mission se prête à cet objectif. Le décret 2008-211 du 4 mars 2008 a porté création de la plateforme nationale pour la prévention et la réduction des risques de catastrophes. Elle est logée à la Direction de la Protection Civile et répond à l’engagement exprimé par notre pays en même temps que 167 autres nations, à se doter d’instruments de prévention des catastrophes. Sa mission pourrait bien être renforcée et ajustée au besoin, pour en faire un véritable centre de contrôle proactif.
D’ailleurs, au sujet de catastrophes et s’agissant de la lutte contre les inondations, j’ai eu l’occasion et l’honneur d’exprimer en haut lieu, l’opportunité de consolider et d’utiliser cette structure plutôt que d’en créer une nouvelle, et ce, en conformité avec la vision de gouvernance sobre exprimée par le chef de l’état. C’était une semaine avant la création du Ministère de la Restructuration et de l’Aménagement des Zones d’Inondation (MRAZI).
Le citoyen prend acte de la décision solennelle et l’expert cherche toujours à donner le meilleur conseil possible dans le contexte qui lui est offert.
Je me souviens encore d’une réponse servie par un ancien ministre de la république quant à la pertinence de la création d’un bureau pour coordonner certaines actions : « Commençons par faire fonctionner les institutions qui existent déjà ! ».
La création d’un ministère spécifiquement dédié aux inondations a envoyé un signal politique et social fort, certes, mais n’est ce pas au détriment d’une efficience gouvernementale optimale ? Du reste, dans la DPG on nous révèle que sur les 2000 logements annoncés pour recaser les populations sinistrées dans le cadre de la phase d’urgence du plan décennal de lutte contre les inondations, 400 sont sur le point d’être livrés au mois d’octobre 2013 et que « le programme sera entièrement achevé en décembre 2013 ». On pourra certainement parler d’accélération du programme présidentiel par le nouveau gouvernement si on passe d’un relogement à peine achevé de 400 familles entre janvier et octobre 2013, pour finir avec 2000 familles relogées à la fin de décembre 2013. C’est possible d’atteindre cet objectif si tant est que la phase de construction est déjà achevée et qu’on est dans la phase finale du programme qui concerne le relogement.
Il serait tout aussi spectaculaire de voir la création de 500 000 emplois dans l’agriculture avant la fin du mandat électif du président, surtout pour un pays dont le gouvernement n’a jamais crée autant d’emplois depuis l’indépendance et aussi surtout pour une philosophie libérale de gouvernement qui prétend que l’état n’est pas le plus habilité à créer de l’emploi mais qu’il est plutôt habilité pour créer les conditions qui stimulent la création d’emplois. Il faut un certain temps pour changer les mentalités à l’origine d’un sous-développement chronique dans un secteur qui emploie déjà 70% des travailleurs et où la maîtrise de l’eau, des technologies et techniques modernes et du droit foncier ne sont pas encore effectifs et assimilés. Le processus menant à un changement de paradigme n’est pas aisé. Les politiques économiques nationales ont été jusqu’à présent « insuffisamment efficaces » malgré leurs intentions. La pression politicienne et le manque d’anticipation font obstacle à la formulation d’objectifs réalistes. Pire, elle pousse à des décisions précipitées et contre-productives.
Les bons choix sont souvent liés aux bons incitatifs. L’incitatif d’assumer pleinement ses responsabilités envers le public aurait dû pousser la directrice générale de la Société nationale des Eaux du Sénégal (SONES), qui a récemment déclaré dans la foulée de la DPG que c’est tout le dispositif de l’usine de Keur Momar Sarr qui allait être revisité, à faire sa déclaration le lendemain de sa prise de fonction. Le premier gouvernement de cette deuxième alternance politique de l’histoire du pays, a pourtant suggéré la voie à suivre en répétant souvent dès sa mise en place qu’il lui fallait faire « l’état des lieux » pour faire un bon diagnostic, mesurer le travail à accomplir et calibrer les décisions subséquentes. Un état des lieux lors de sa prise de fonction aurait vite révélé, entre autres anomalies, l’absence de pièce de rechange à disposition, et ce pour une pièce spécialement usinée pour l’occasion et partie intégrante d’une infrastructure dont dépend 40% de l’approvisionnement en eau de Dakar. Ça aurait peut être aussi attiré son attention proactive sur la fiabilité d’une conduite d’une durée de vie estimée à plus ou moins 50 ans, qui a connu plusieurs défaillances en moins de 10 ans de service. Les professionnels du métier de l’eau sont outillés pour mesurer l’écart entre le dispositif actuel et les principes fondamentaux de la bonne conception d’un réseau de distribution d’eau potable en milieu urbain.
Au départ de la conception d’un réseau de distribution d’eau, il y a les considérations hydrauliques : les paramètres de conception concernent une bonne quantification de la demande présente et future, la caractérisation de la disponibilité de la ressource en amont et la conception du système de traitement, transport et distribution de l’eau. Pour satisfaire à une exigence minimale de pression en tout temps dans le réseau, on utilise des systèmes de pompage pour fournir de l’énergie au système. Incidemment, cette exigence répond à des critères de santé publique car cela empêche l’introduction de bactéries ou autres impuretés dans les conduites. Le fait donc de raccorder physiquement une bonne partie de la population à un réseau de distribution au point de proclamer l’atteinte très probable des Objectifs Millénaires du Développement (OMD) en terme d’accès à l’eau potable, est insuffisant pour assurer la sécurité du public pour peu que des fréquentes baisses de pression surviennent et donc menacent en conséquence la performance de l’infrastructure en termes de santé publique.
En relation avec les considérations hydrauliques, une bonne conception d’un réseau d’eau potable doit minimiser les coûts d’exploitation en conditions normales, assurer une distribution minimale raisonnable durant des situations irrégulières (panne de pompes, incendies publics, opérations de maintenance, réhabilitation ou reconstruction) et être flexible et facilement extensible pour répondre à la demande future.
Au-delà des considérations hydrauliques il y a les critères d’ingénierie qui sont tout aussi importants durant la phase conception du réseau. Ceux-ci concernent la sélection de matériaux durables pour les conduites, joints et autres accessoires, la mise en place d’un réseau de vannes permettant d’isoler rapidement une partie du réseau sans impacts majeurs et la provision d’accès facile aux parties vitales du système.
Dès la planification et avant l’élaboration des cahiers de charge, une telle infrastructure doit être pensée selon les exigences des deux catégories de critères : hydrauliques et d’ingénierie. Je laisse au soin du lecteur d’apprécier tout ce que révèle la récente crise de l’eau à Dakar quant à la qualité de la conception et les décisions de valider et réceptionner cette infrastructure.
Du point de vue des experts du domaine et partant des principes de « bonne gouvernance », beaucoup de négligences et d’incompétences ont été mises à nu avant même que l’IGE ne commence son enquête, dont on espère que les conclusions seront rendues publiques. Le pouvoir législatif, non soumis au pouvoir exécutif et incarné par l’assemblée nationale, pourrait lui-même mettre sur pied une commission d’enquête chargée d’éclairer l’opinion sur les raisons de la médiocrité persistante de l’offre de services publics de base (eau, assainissement, électricité, téléphonie, etc).
Parmi les solutions envisagées pour assurer la satisfaction de la demande en eau, nos gouvernants semblent privilégier l’augmentation significative des forages et la désalinisation de l’eau de mer. Plusieurs études pointent du doigt la sensibilité des nappes phréatiques à l’introduction de biseaux salés, dès que le taux d’extraction des eaux souterraines dépasse un certain seuil. Il y a aussi le risque de pollution des nappes par l’activité humaine. Ceci pour dire que la construction de forages doit se faire avec prudence et dans certaines limites et en conjonction avec des changements de comportements.
Une partie non négligeable des eaux souterraines contenues dans les nappes les plus accessibles provient de la recharge conséquente à l’infiltration des eaux de pluie. Cela introduit une variabilité de la disponibilité d’eau souterraine liée à la variabilité de la pluie elle-même. De surcroît, le phénomène des changements climatiques accroit l’incertitude sur la pluviométrie et donc sur la disponibilité des ces eaux d’une année à l’autre.
S’agissant de la désalinisation d’eau de mer, au vu de son coût en énergie, elle devrait se faire sur une échelle réaliste et en concert avec une industrie locale de production de sel, afin de tirer le maximum de bénéfices d’une opération onéreuse et peu généreuse avec l’environnement.
Certainement, une optimisation du système actuel - par une meilleure maîtrise des niveaux d’eau du fleuve Sénégal et surtout du Lac de Guiers -doit faire partie de la solution.
Même la configuration du réseau peut être améliorée de telle sorte que l’indisponibilité d’une conduite se traduit automatiquement par un rééquilibrage des pressions et débits dans d’autres conduites, permettant ainsi de répondre à une bonne partie de la demande en situation d’exception. On peut aussi réfléchir sur les utilisations de l’eau potable. Peut-elle être remplacée par de l’eau de pluie ou des eaux usées traitées pour l’irrigation péri-urbaine ? Est-il nécessaire d’utiliser de l’eau potable pour des usages urbains autres que la consommation directe ?
Plusieurs fora d’experts ont déjà réfléchi et fourni des recommandations dans ce sens.
Chaque solution est une partie de la solution si elle est bien pensée et confinée dans des limites qui sont scientifiquement, environnementalement et financièrement convenables.
En vérité, toutes les solutions envisagées peuvent contribuer à fournir assez d’eau potable pour satisfaire la demande future, à condition que les décisions soient supportées par la science, l’expertise et l’expérience. Si par contre, ce sont des effets d’annonce à forte connotation politicienne suivi d’actions vigoureuses à « retour rapide sur décision » qui motivent les actions envisagées, des désastres potentiels sont à prévoir.
La bonne organisation des infrastructures et services publics coûtent chers, mais sont absolument indispensables à l’expression des ressources de la nation et à l’attrait des capitaux pour un développement économique durable.
Comme on sait, le nerf de la guerre, c’est l’argent et nos pays dépendent encore trop des ressources qu’ils auront convaincu les partenaires de mettre à disposition. Or, comme dit l’économiste Dr. Abdourahmane Sarr « Nous n’avons jamais réussi à accélérer notre croissance économique de façon soutenue avec le budget, jamais. Nous allons d’expansion budgétaire avec endettement, en ajustement et austérité budgétaires depuis 1960 au gré des possibilités d’endettement extérieur, et des rééchelonnements et annulations de dettes. »
Alors comment mobilise-t-on les ressources conséquentes pour assurer des conditions de prospérité à toute une population ?
En ce qui concerne l’assurance de services publics comme socle de l’activité économique des citoyens, la formule du Partenariat Public Privé (PPP) semble assez prometteuse en ce sens qu’elle attire des investissements privés et des compétences du secteur privé, sans compromettre les retours sur investissement nécessaires pour attirer des capitaux.
La charge revient toujours aux dirigeants, cependant, d’engager les meilleures réflexions et actions possibles pour assurer la qualité et la pérennité des services publics stratégiques fiables et abordables, permettant ainsi de désinhiber et mettre à profit les forces vives de la nation au service d’une croissance économique durable.
Ibrahim Touré
Ingénieur
Directeur exécutif,
EQUANYM SARL.
Elle a aussi déclaré que son gouvernement allait engager la réhabilitation de forages pour permettre la production de 34500 m3/jour ainsi que la réalisation d’une unité de traitement visant à améliorer la qualité de l’eau dans les zones périurbaines de la capitale sénégalaise.
Son discours a également annoncé dans la foulée la mise en œuvre « de plans de contingences et de gestion des risques pour tous les services publics stratégiques comme l’eau, l‘électricité et les télécommunications », adoubés de « conseils de veille stratégique » et appuyés par des « efforts substantiels » que le gouvernement va consentir à l’assainissement, ce parent pauvre du cycle de l’eau en milieu urbain.
Le citoyen a toutes les raisons d’être réconforté par ces déclarations d’intention et ne peut que souhaiter une mise en œuvre des plans d’actions dans les meilleures conditions possibles. A défaut de proactivité, la réactivité des autorités est de nature à rassurer les populations.
Mais si gouverner, c’est prévoir, il y a lieu de se demander pourquoi ces mesures n’ont jamais été envisagées avant que ne surgisse une crise aux répercussions sociales et politiques considérables.
Les déficits de production avaient donc déjà été prévus depuis quelques années par des études sur l’évolution de la demande et la quantification de la disponibilité de la ressource eau. Mieux, on sait maintenant qu’une dizaine de forages existants et susceptibles d’atténuer le déficit futur de l’offre, sont hors service depuis un certain temps sans qu’on ait jugé utile de les réhabiliter jusqu’aujourd’hui.
Pour ce qui concerne la contingence et la gestion des risques liés aux services publics névralgiques, nonobstant du fait que ca aurait du être une priorité forte dès les phases de conception et de planification de ces services, il faut savoir qu’il existe déjà une structure dont la mission se prête à cet objectif. Le décret 2008-211 du 4 mars 2008 a porté création de la plateforme nationale pour la prévention et la réduction des risques de catastrophes. Elle est logée à la Direction de la Protection Civile et répond à l’engagement exprimé par notre pays en même temps que 167 autres nations, à se doter d’instruments de prévention des catastrophes. Sa mission pourrait bien être renforcée et ajustée au besoin, pour en faire un véritable centre de contrôle proactif.
D’ailleurs, au sujet de catastrophes et s’agissant de la lutte contre les inondations, j’ai eu l’occasion et l’honneur d’exprimer en haut lieu, l’opportunité de consolider et d’utiliser cette structure plutôt que d’en créer une nouvelle, et ce, en conformité avec la vision de gouvernance sobre exprimée par le chef de l’état. C’était une semaine avant la création du Ministère de la Restructuration et de l’Aménagement des Zones d’Inondation (MRAZI).
Le citoyen prend acte de la décision solennelle et l’expert cherche toujours à donner le meilleur conseil possible dans le contexte qui lui est offert.
Je me souviens encore d’une réponse servie par un ancien ministre de la république quant à la pertinence de la création d’un bureau pour coordonner certaines actions : « Commençons par faire fonctionner les institutions qui existent déjà ! ».
La création d’un ministère spécifiquement dédié aux inondations a envoyé un signal politique et social fort, certes, mais n’est ce pas au détriment d’une efficience gouvernementale optimale ? Du reste, dans la DPG on nous révèle que sur les 2000 logements annoncés pour recaser les populations sinistrées dans le cadre de la phase d’urgence du plan décennal de lutte contre les inondations, 400 sont sur le point d’être livrés au mois d’octobre 2013 et que « le programme sera entièrement achevé en décembre 2013 ». On pourra certainement parler d’accélération du programme présidentiel par le nouveau gouvernement si on passe d’un relogement à peine achevé de 400 familles entre janvier et octobre 2013, pour finir avec 2000 familles relogées à la fin de décembre 2013. C’est possible d’atteindre cet objectif si tant est que la phase de construction est déjà achevée et qu’on est dans la phase finale du programme qui concerne le relogement.
Il serait tout aussi spectaculaire de voir la création de 500 000 emplois dans l’agriculture avant la fin du mandat électif du président, surtout pour un pays dont le gouvernement n’a jamais crée autant d’emplois depuis l’indépendance et aussi surtout pour une philosophie libérale de gouvernement qui prétend que l’état n’est pas le plus habilité à créer de l’emploi mais qu’il est plutôt habilité pour créer les conditions qui stimulent la création d’emplois. Il faut un certain temps pour changer les mentalités à l’origine d’un sous-développement chronique dans un secteur qui emploie déjà 70% des travailleurs et où la maîtrise de l’eau, des technologies et techniques modernes et du droit foncier ne sont pas encore effectifs et assimilés. Le processus menant à un changement de paradigme n’est pas aisé. Les politiques économiques nationales ont été jusqu’à présent « insuffisamment efficaces » malgré leurs intentions. La pression politicienne et le manque d’anticipation font obstacle à la formulation d’objectifs réalistes. Pire, elle pousse à des décisions précipitées et contre-productives.
Les bons choix sont souvent liés aux bons incitatifs. L’incitatif d’assumer pleinement ses responsabilités envers le public aurait dû pousser la directrice générale de la Société nationale des Eaux du Sénégal (SONES), qui a récemment déclaré dans la foulée de la DPG que c’est tout le dispositif de l’usine de Keur Momar Sarr qui allait être revisité, à faire sa déclaration le lendemain de sa prise de fonction. Le premier gouvernement de cette deuxième alternance politique de l’histoire du pays, a pourtant suggéré la voie à suivre en répétant souvent dès sa mise en place qu’il lui fallait faire « l’état des lieux » pour faire un bon diagnostic, mesurer le travail à accomplir et calibrer les décisions subséquentes. Un état des lieux lors de sa prise de fonction aurait vite révélé, entre autres anomalies, l’absence de pièce de rechange à disposition, et ce pour une pièce spécialement usinée pour l’occasion et partie intégrante d’une infrastructure dont dépend 40% de l’approvisionnement en eau de Dakar. Ça aurait peut être aussi attiré son attention proactive sur la fiabilité d’une conduite d’une durée de vie estimée à plus ou moins 50 ans, qui a connu plusieurs défaillances en moins de 10 ans de service. Les professionnels du métier de l’eau sont outillés pour mesurer l’écart entre le dispositif actuel et les principes fondamentaux de la bonne conception d’un réseau de distribution d’eau potable en milieu urbain.
Au départ de la conception d’un réseau de distribution d’eau, il y a les considérations hydrauliques : les paramètres de conception concernent une bonne quantification de la demande présente et future, la caractérisation de la disponibilité de la ressource en amont et la conception du système de traitement, transport et distribution de l’eau. Pour satisfaire à une exigence minimale de pression en tout temps dans le réseau, on utilise des systèmes de pompage pour fournir de l’énergie au système. Incidemment, cette exigence répond à des critères de santé publique car cela empêche l’introduction de bactéries ou autres impuretés dans les conduites. Le fait donc de raccorder physiquement une bonne partie de la population à un réseau de distribution au point de proclamer l’atteinte très probable des Objectifs Millénaires du Développement (OMD) en terme d’accès à l’eau potable, est insuffisant pour assurer la sécurité du public pour peu que des fréquentes baisses de pression surviennent et donc menacent en conséquence la performance de l’infrastructure en termes de santé publique.
En relation avec les considérations hydrauliques, une bonne conception d’un réseau d’eau potable doit minimiser les coûts d’exploitation en conditions normales, assurer une distribution minimale raisonnable durant des situations irrégulières (panne de pompes, incendies publics, opérations de maintenance, réhabilitation ou reconstruction) et être flexible et facilement extensible pour répondre à la demande future.
Au-delà des considérations hydrauliques il y a les critères d’ingénierie qui sont tout aussi importants durant la phase conception du réseau. Ceux-ci concernent la sélection de matériaux durables pour les conduites, joints et autres accessoires, la mise en place d’un réseau de vannes permettant d’isoler rapidement une partie du réseau sans impacts majeurs et la provision d’accès facile aux parties vitales du système.
Dès la planification et avant l’élaboration des cahiers de charge, une telle infrastructure doit être pensée selon les exigences des deux catégories de critères : hydrauliques et d’ingénierie. Je laisse au soin du lecteur d’apprécier tout ce que révèle la récente crise de l’eau à Dakar quant à la qualité de la conception et les décisions de valider et réceptionner cette infrastructure.
Du point de vue des experts du domaine et partant des principes de « bonne gouvernance », beaucoup de négligences et d’incompétences ont été mises à nu avant même que l’IGE ne commence son enquête, dont on espère que les conclusions seront rendues publiques. Le pouvoir législatif, non soumis au pouvoir exécutif et incarné par l’assemblée nationale, pourrait lui-même mettre sur pied une commission d’enquête chargée d’éclairer l’opinion sur les raisons de la médiocrité persistante de l’offre de services publics de base (eau, assainissement, électricité, téléphonie, etc).
Parmi les solutions envisagées pour assurer la satisfaction de la demande en eau, nos gouvernants semblent privilégier l’augmentation significative des forages et la désalinisation de l’eau de mer. Plusieurs études pointent du doigt la sensibilité des nappes phréatiques à l’introduction de biseaux salés, dès que le taux d’extraction des eaux souterraines dépasse un certain seuil. Il y a aussi le risque de pollution des nappes par l’activité humaine. Ceci pour dire que la construction de forages doit se faire avec prudence et dans certaines limites et en conjonction avec des changements de comportements.
Une partie non négligeable des eaux souterraines contenues dans les nappes les plus accessibles provient de la recharge conséquente à l’infiltration des eaux de pluie. Cela introduit une variabilité de la disponibilité d’eau souterraine liée à la variabilité de la pluie elle-même. De surcroît, le phénomène des changements climatiques accroit l’incertitude sur la pluviométrie et donc sur la disponibilité des ces eaux d’une année à l’autre.
S’agissant de la désalinisation d’eau de mer, au vu de son coût en énergie, elle devrait se faire sur une échelle réaliste et en concert avec une industrie locale de production de sel, afin de tirer le maximum de bénéfices d’une opération onéreuse et peu généreuse avec l’environnement.
Certainement, une optimisation du système actuel - par une meilleure maîtrise des niveaux d’eau du fleuve Sénégal et surtout du Lac de Guiers -doit faire partie de la solution.
Même la configuration du réseau peut être améliorée de telle sorte que l’indisponibilité d’une conduite se traduit automatiquement par un rééquilibrage des pressions et débits dans d’autres conduites, permettant ainsi de répondre à une bonne partie de la demande en situation d’exception. On peut aussi réfléchir sur les utilisations de l’eau potable. Peut-elle être remplacée par de l’eau de pluie ou des eaux usées traitées pour l’irrigation péri-urbaine ? Est-il nécessaire d’utiliser de l’eau potable pour des usages urbains autres que la consommation directe ?
Plusieurs fora d’experts ont déjà réfléchi et fourni des recommandations dans ce sens.
Chaque solution est une partie de la solution si elle est bien pensée et confinée dans des limites qui sont scientifiquement, environnementalement et financièrement convenables.
En vérité, toutes les solutions envisagées peuvent contribuer à fournir assez d’eau potable pour satisfaire la demande future, à condition que les décisions soient supportées par la science, l’expertise et l’expérience. Si par contre, ce sont des effets d’annonce à forte connotation politicienne suivi d’actions vigoureuses à « retour rapide sur décision » qui motivent les actions envisagées, des désastres potentiels sont à prévoir.
La bonne organisation des infrastructures et services publics coûtent chers, mais sont absolument indispensables à l’expression des ressources de la nation et à l’attrait des capitaux pour un développement économique durable.
Comme on sait, le nerf de la guerre, c’est l’argent et nos pays dépendent encore trop des ressources qu’ils auront convaincu les partenaires de mettre à disposition. Or, comme dit l’économiste Dr. Abdourahmane Sarr « Nous n’avons jamais réussi à accélérer notre croissance économique de façon soutenue avec le budget, jamais. Nous allons d’expansion budgétaire avec endettement, en ajustement et austérité budgétaires depuis 1960 au gré des possibilités d’endettement extérieur, et des rééchelonnements et annulations de dettes. »
Alors comment mobilise-t-on les ressources conséquentes pour assurer des conditions de prospérité à toute une population ?
En ce qui concerne l’assurance de services publics comme socle de l’activité économique des citoyens, la formule du Partenariat Public Privé (PPP) semble assez prometteuse en ce sens qu’elle attire des investissements privés et des compétences du secteur privé, sans compromettre les retours sur investissement nécessaires pour attirer des capitaux.
La charge revient toujours aux dirigeants, cependant, d’engager les meilleures réflexions et actions possibles pour assurer la qualité et la pérennité des services publics stratégiques fiables et abordables, permettant ainsi de désinhiber et mettre à profit les forces vives de la nation au service d’une croissance économique durable.
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EQUANYM SARL.
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