Si Me Wade tient à aller jusqu’au bout dans ce mortal kombat contre son ex-’fils’ Macky Sall, c’est qu’il croit toujours en ses chances de remporter le second tour. Et pendant ces deux semaines de campagne électorale, le pape du Sopi se donnera à fond la caisse pour multiplier par deux le score engrangé au premier tour (34,82 %). Les stratégies ne lui manquent pas.
D’abord, Wade peut lancer une grande offensive en direction des familles religieuses pour obtenir ce ndiguël (consigne de vote) dont il n’a pas bénéficié de façon large et explicite au premier tour. Du Khalife général des mourides au guide des Thiantacounes, en passant par le président du Mouvement mondial pour l’unicité de Dieu (Mmud) et du Parti pour la vérité pour le développement, Serigne Modou Kara Mbacké, le bassin est large.Ce dernier qui s’est refusé à tout soutien lors du premier tour, pourrait être amené à rompre le silence d’ici le second tour et porter son choix sur un candidat. Déjà qu’il s’apprête à se prononcer dans les prochains jours sur la situation politique nationale et de ses relations avec les deux candidats en lice.
Les atouts de Wade en milieu mouride ne sont pas à négliger. Parmi les nombreuses observations qui ont été faites sur la présidentielles, celles du cabinet StrategiCo, entreprise privée spécialisée, entre autres, dans l'analyse politique et stratégique et basée à Lille (France) montre bien que s’il a perdu dans les grandes villes, le candidat sortant reste le maître dans les villes religieuses. Le rapport que publie le cabinet indique que l’opposition a obtenu de bons résultats dans les grands centres urbains, confirmant la tendance observée en 2009 aux élections locales.
‘Wade a remporté de bons résultats dans le nord (Saint Louis), le Sud et les petites régions (6 sur 10 où il est arrivé premier, représentant moins de 5 % de l’électorat). Sans surprise, Diourbel, dans le bassin arachidier et dont dépend Touba fief de la confrérie mouride (dont il est membre), a voté pour lui. Tivaouane, ville sainte de la confrérie tidiane, a également choisi Wade malgré la profanation d’une mosquée à Dakar ce mois-ci (février, Ndlr)’, analyse le document. Le candidat des Fal 2012 est par ailleurs conscient que beaucoup d’électeurs- presque la moitié des inscrits (5 303 555) - sont encore indécis. Il ira à la recherche de ces 2 668 149 Sénégalais qui ne se sont pas rendus aux urnes le 26 février. Mais ce bassin est aussi à conquérir pour Macky Sall, le document rappelant ainsi qu’’aussi bien Wade que l’opposition vont essayer de convaincre les 40 % d’abstentionnistes’.
Autre piste : les Fal 2012 peuvent mener une campagne de sape contre le M23 pour attirer les déçus qui ne supportent toujours pas de voir Macky Sall passer au second tour après avoir ‘boycotté’ les mots d’ordre de ce mouvement. Et là, Wade et son camp pourront compter sur certains camarades de Idrissa Seck, d’Ousmane Tanor Dieng, de Cheikh Bamba Dièye et de Ibrahima Fall. Ces candidats étant les plus grands perdants dans le combat acharné et désorganisé contre la candidature de Wade. StrategiCo note que ‘Niasse Sall, Dieng, Seck et Fall devraient s’unir contre Wade, qui essaiera de diviser l’opposition’. Et d’ajouter à propos du candidat sortant : ‘Sa marge de manœuvre est cependant limitée, il n’a plus beaucoup de réserves de voix’.
MALGRE CE QU’IL PENSE : Le vote des indécis risque d’être fatal à Wade
Quoi qu’il en soit, l’opération ne sera pas si facile que ça pour le candidat des Fal 2012. Puisque, comme le fait remarquer l’analyste politique, Yoro Dia, ‘un pouvoir qui va au second tour a tous les moyens de faire voter ses militants. Donc ces millions de Sénégalais ne vont pas voter pour Wade. Les militants d’un parti au pouvoir sont d’habitude plus déterminés à aller voter. Donc aujourd’hui, Wade a épuisé ses réserves. Il a plafonné avec ses 34,82 %, comme Diouf en 2000 avec ses 41 %’.
L’analyste affirme, en outre, que, au second tour, ’contrairement à ce que pense dans son camp, le vote des indécis risque d’être fatal au candidat des Fal. En effet, le pouvoir qui va au second tour est fragilisé. Et comme on dit, le sang attire les fauves. Donc le pouvoir étant blessé, les électeurs vont se ruer massivement pour l’achever’.Et l’avance de Wade sur son adversaire ne signifie rien du tout. Yoro Dia de citer l’exemple de Diouf en 2000 mais aussi celui de Cellou Dalein Diallo en Guinée qui bien qu’arrivés en tête au premier tour avec des scores confortables se sont retrouvés laminés au second tour.
En termes d’alliance, Yoro Dia fait remarquer que Wade a épuisé ses possibilités. ‘Il est le seul homme politique sénégalais à s’être allié avec tout le monde. Il l’a fait avec Diouf vers les années 90. Il s’est allié avec le pôle de gauche puis Niasse pour battre Diouf en 2000. Aujourd’hui, à part les partis microscopiques de la Cap 21, Wade n’a aucune perspective d’alliance au second tour’, ajoute le politologue qui souligne que, souvent, pour le premier tour, on se compte, et pour le second, on se rassemble. ‘C’est cette quadrature du cercle qui battra Wade’.
Le docteur en science politique Demba Fall est du même avis : ‘Il faut être très prudent avec ces électeurs indécis. D’abord on ne sait pas pourquoi ces millions de Sénégalais ne sont pas allés aux urnes. Peut-être que certains d’entre eux se sont inscrits, mais n’ont pas retiré leurs cartes’. Ensuite, le politologue estime que rien n’est moins sûr que les deux millions de Sénégalais vont voter pour le candidat des Fal 2012. ‘S’ils ne se sont pas rendus aux urnes, c’est peut-être parce qu’ils avaient peur d’aller voter avec l’atmosphère tendue qui prévalait les jours précédant le scrutin et les menaces de tension qui planaient. Ces électeurs peuvent aussi s’être abstenus en pensant que leur vote serait détourné ou n’aurait aucune incidence sur la situation. Maintenant que les choses sont claires, la donne peut changer’, ajoute Fall.
Quant aux probables consignes de vote, le syndrome Djibo Leïtky Kâ est encore très présent dans les mémoires. ’C’est tout à fait normal que Wade aille à la recherche d’une consigne de vote avec des arguments à l’appui car le vote est toujours subjectif. Mais il ne faut jamais oublier que ce sont les citoyens qui vont décider en dernier ressort. Et s’il y a une leçon à retenir à l’issue de ce premier tour, c’est l’écart qu’il y a entre les électeurs et la classe politique. La démocratie sait être violente dans les urnes. On a vu comment les électeurs ont été violents dans les urnes pour s’opposer au projet de Karim Wade aux dernières élections locales. On a vu aussi comment les mêmes électeurs ont été violents dans les urnes le 26 février pour dire qu’ils ne veulent plus de Wade’, souligne l’analyste politique, Yoro Dia.
Autant de données qui ne militent pas du tout en faveur du candidat des Fal 2012 et son camp pour le second. S’y ajoute maintenant l’état de découragement actuel des troupes. ‘Il est évident qu’au second tour beaucoup de responsables ne jugeront pas nécessaire de dépenser de l’argent dans la campagne estimant qu’il s’agit de jeter de l’argent par la fenêtre, les carottes étant déjà cuites. Je ne parle même pas de ces autres qui vont rallier Macky Sall à l’entre-deux-tours’, explique un cadre du Pds sous le couvert de l’anonymat.
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