A l’occasion et au cours des débats de la Déclaration de politique générale du Premier ministre Abdoul MBAYE, chef du premier gouvernement de la deuxième alternance à la tête de l’Etat, la binationalité a été évoquée, avec la promesse de discussions ultérieures des députés sur la question, l’un d’eux ayant exprimé son intention de demander une commission d’enquête sur les binationaux. Il s’agit d’un problème important à traiter avec lucidité en effet. Nous sommes à une période d’interpénétration des peuples, de circulation intense des personnes et des biens à travers les frontières. Les séjours à l’extérieur de leurs pays d’origine de migrants aux motivations diverses, dont la quête du travail et des moyens d’un équipement individuel au seuil de la vie active ou dans la situation de chômage, ne sont pas toujours organisés sur la base d’un plan de vie active ayant défini une période pour le pays d’accueil et une pour le retour au pays de départ. Il arrive même que l’aventure qui a suivi le rêve de l’ailleurs se termine par l’acquisition d’une nouvelle nationalité qui résout bien des problèmes du séjour dans l’ailleurs de rêve. Le migrant devient ainsi un binational, le plus souvent qu’il est seul à connaître, les législations n’ayant pas organisé le dénombrement des éventuelles nationalités acquises de chacun.
Mais la binationalité, bien que comportant des avantages pour l’intéressé, est une situation que le droit produit par les Etats rend complexe. Il faut préciser, avant d’autres développements, que son acquisition, du fait du droit bien varié des Etats, dépend de modalités diverses : le mariage, le droit du sol, la naturalisation, etc. Chaque Etat a fait voter une loi portant code de la nationalité de ses ressortissants et mis en œuvre, dans les dispositions de cette loi, ses options en matière de multinationalité. Il peut donner à l’épouse étrangère d’un national la nationalité de son mari, sur demande ou comme une conséquence du mariage. L’enfant prend la nationalité de son père, fait général pour des raisons culturelles, notamment celles qui font du père le chef de la famille ; mais la mère ne donne pas encore la nationalité à son enfant, au Sénégal à coup sûr. Le combat des femmes, à l’heure de la parité dans l’occupation des postes de responsabilité, des mandats politiques plus précisément, pourra peut-être faire inscrire une disposition de ce genre dans les divers codes de la nationalité des pays où la démocratie développe la modernité en ses aspects les plus innovants.
Les positions des Etats sur la binationalité vont de l’interdiction totale à l’autorisation, en passant par l’interdiction partielle. La Chine, pour citer quelques exemples en plus du Sénégal, le Maroc, l’Allemagne, etc. interdisent l’acquisition d’une autre nationalité. La République Démocratique du Congo, tout comme l’avait fait le Zaïre de Mobutu, exprime cette option de façon énergique : la nationalité congolaise est une et exclusive. Cette option rigide se comprend plus aisément dans les temps de guerres fréquentes où l’étranger est souvent l’ennemi.
Mais à l’époque moderne et contemporaine l’interpénétration pacifique des peuples s’admet et s’organise de plus en plus. Certes des raisons économiques motivant les déplacements, les migrants vivent souvent des situations difficiles. Ils sont alors perçus comme des personnes qui viennent prendre du travail à des autochtones des pays d’accueil. Le mépris culturel dont font preuve les théoriciens du rejet des étrangers, surtout si ces derniers sont des réfugiés économiques, développe le réflexe sécuritaire qui complique la vie aux immigrants, à l’accueil comme dans la vie quotidienne. Cette attitude est plutôt marginale dans le comportement des peuples des pays d’accueil, le plus souvent ayant atteint un niveau de développement économique et social beaucoup plus élevé que celui des pays de départ de l’émigration ; ainsi l’étranger devient de plus en plus un acteur de la création de richesses dans le pays où il a décidé de vivre pour une durée qu’il souhaite plus ou moins longue, selon son plan de vie, s’il l’a conçu et tente de le mettre en œuvre.
L’immigrant se satisfait-il toujours du bon accueil et de la situation de travailleur bien inséré dans le système de production des biens et services du pays d’accueil ? La dynamique de cette insertion même, la culture qui a favorisé le bon accueil et les avantages que comporte l’acquisition de la nationalité de son pays d’adoption l’incitent souvent à demander cette nationalité. C’est alors qu’entre en jeu le droit des Etats. L’interdiction de la binationalité peut contraindre le migrant à s’en tenir à sa nationalité première et à demeurer l’immigrant bien reçu, connu de son ambassade, régi par le droit de son pays et respectant les lois et règlements du pays d’accueil.
Le Sénégal interdit la double nationalité par la loi 61-70 du 7 mars 1961 portant code de la nationalité sénégalaise. Cette interdiction est d’application aléatoire parce que l’article 18 pose une autorisation du gouvernement, à décider quinze ans après le service militaire effectué par le concerné ou l’exemption de ce service, ainsi que la signature d’un décret par le Président de la République, comme modalité d’application de la loi pour la perte de la nationalité par un Sénégalais majeur qui a volontairement obtenu une autre nationalité.
La rigidité avec laquelle la binationalité est interdite, par les Etats dont le Sénégal, va sans doute évoluer, si le débat sur la question tient compte de plus en plus de la mondialisation et des commodités que les migrants tirent de l’acquisition d’une deuxième, voire de plus de deux nationalités en plus de la nationalité initiale. Le débat tendra sans doute à limiter l’interdiction à l’exercice de fonctions politiques pour le binational, comme c’est déjà le cas dans les pays à interdiction partielle de la binationalité. Le Sénégal a mis dans la Constitution que pour être candidat à l’élection à la présidence de la République il faut être de nationalité exclusivement sénégalaise. Cette disposition fait tautologie d’ailleurs avec le code de la nationalité en son titre III, article 18, puisque le Sénégalais majeur qui acquiert volontairement une autre nationalité perd la nationalité sénégalaise dit cet article
Pour les autres fonctions politiques, c’est-à-dire être membre du Parlement ou des assemblées élues du pouvoir local, il faudrait une disposition pareille. L’interdiction partielle de la binationalité ainsi équilibrée permettrait de réviser le code de la nationalité et de ne plus gêner inutilement nos migrants qui peuvent avoir besoin de solliciter une autre nationalité et l’obtenir en restant sénégalais. Nous devrions être plus attentifs aux problèmes de nos Modou-Modou et autres émigrés de très haute qualification dans les domaines les plus divers. Il est dit souvent dans nos débats sur l’émigration qu’elle rapporte plus que l’équivalent de la dette publique aux pays d’Afrique, le Sénégal et les autres. Qu’on n’objecte surtout pas que nous risquons d’encourager la fuite des cerveaux. La différence du niveau de développement des pays du nord où se trouve nos cadres émigrés et nous-mêmes fait que la meilleure façon aujourd’hui d’éviter à notre effort de développement d’être affecté par les départs pour le travail de haute technicité dans l’ailleurs développé, c’est d’étoffer davantage les cohortes de cadres en formation dans nos universités et écoles de formation. Il nous faut former plus de médecins, plus d’ingénieurs, plus d’enseignants, plus de militaires de tous les grades parce que la coopération internationale et les décisions libres de nos concitoyens ayant ces compétences nous privent, positivement d’ailleurs pour les intéressés, de cadres certes formés à nos frais mais qui, émigrés, continuent d’ être utiles à leur pays autrement.
L’interdiction de la binationalité limitée aux fonctions politiques est la révision à opérer de notre code de la nationalité, en harmonie avec le monde moderne et l’interpénétration des peuples. Il est plus honnête de choisir la transparence sur la nationalité et l’ouverture qui ne met pas notre sécurité en danger.
La binationalité a, par ailleurs, un intérêt évident pour la construction africaine qui, jusqu’ici, n’a fait que des pas de caméléon : le même franc dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), le passeport de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), c’est peu en matière de nationalité africaine. Pour la construire il faudra des accords de structuration de la multinationalité africaine, car les frontières héritées de la colonisation se sont sclérosées et les anciennes colonies qui étaient ensemble dans des groupes qui auraient pu accélérer l’intégration africaine sont devenues des Etats jaloux chacun de leur souveraineté. Il faut aller plus loin pour réaliser, par des accords sans doute difficiles à obtenir, et non plus à chaud, comme c’était possible à la veille et au début des indépendances africaines, l’unité africaine avec des chefs d’Etat qui peuvent hésiter, chacun, maintenant, à être responsables d’une composante d’un Etat fédéral ou d’une fédération d’Etats plutôt que chef d’Etat chez lui.
Pour réaliser la nation africaine il faut aller au-delà des « cercles concentriques du Président Léopold Sédar Senghor. L’effort d’intégration doit tendre à créer le même cordon douanier, une armée africaine, à harmoniser les systèmes d’éducation et de formation pour un même esprit des cadres de la santé, de l’éducation, de la sécurité, de la production et des administrations. Il y a certes l’obstacle des intérêts de pouvoirs établis, mais le point de mire qu’est l’Etat fédéral d’Afrique conçu par Cheikh Anta Diop demeure, pour les Africains, beaucoup plus mobilisateur que l’utopie généreuse qui chante : « la terre nationale sera ».
La conséquence, sur la vie politique africaine, de l’effort tendant à réaliser l’Etat fédéral d’Afrique et la nation africaine, est que des pas importants doivent être réalisés dans de nombreux domaines, notamment en matière de vote des Africains migrants vivant dans des pays d’accueil africains, en matière aussi d’adhésion de ces mêmes migrants aux partis nationaux des pays d’accueil, en matière d’organisation et de fonctionnement de partis « africains » privilégiant la formation pour renforcer l’option panafricaniste dans la vie politique africaine. C’est ainsi que la multinationalité africaine conduira à la nationalité africaine unique. L’unité africaine faisant le développement de l’Afrique, il n’y aura plus, pour les Africains, de raison économique à l’aspiration à la binationalité dans une vie extra africaine
Le rappel de ces considérations sur la construction africaine permet de remarquer que les Africains, en créant leurs codes de la nationalité n’ont pas pensé donner un rôle à la nationalité dans l’effort de construction de l’unité africaine. Dans les anciennes colonies britanniques des Antilles, au contraire, il y a une disposition constitutionnelle relative à la nationalité qui tend à consolider le Commonwealth : la Dominique, la Jamaïque et d’autres anciennes colonies britanniques des Antilles interdisent la binationalité avec comme sanction prévue la perte de la nationalité d’origine ; mais lorsque la seconde nationalité est celle d’un pays du Commonwealth, il n’y a pas de sanction du citoyen qui l’obtient. Les francophones du continent africain n’ont pas pensé à une binationalité qui tendrait de façon aussi dynamique à construire l’unité africaine.
Le début des discussions nées de l’évocation récente de la binationalité à l’Assemblée nationale ont une orientation courte. Les uns tentent, énergiquement d’ailleurs, d’imposer le silence sur la question sous prétexte que les trois premiers Présidents de la République du Sénégal ont eu chacun la nationalité française et qu’ils n’ont pas trahi. C’est un peu court comme argumentation ! Avant d’affirmer de manière si péremptoire que tel ou tel chef de l’Etat n’a pas trahi son pays il faudrait d’abord définir ce qu’est trahir la nation. La Constitution qui mentionne la haute trahison ne l’a pas définie. Ce n’est pas une raison de tenter de régler le problème à coups d’affirmations pour le silence sur la question.
Discuter de la binationalité, avec transparence et le souci honnête de régler un problème de modernité et de justice du droit positif à mettre en place, est de meilleure orientation, pour des discussions d’intérêt national que l’on ne peut pas régler en noyant le poisson. Dénoncer des binationaux en montrant clairement les faits peut, par contre, contribuer aussi à montrer les insuffisances de notre code de la nationalité et la nécessité de le réviser dans le souci de sa modernité et le respect de tout ce qui est de nature à sauvegarder notre sécurité. La chasse aux sorcières, si l’on peut appeler ainsi cette clarification, est insuffisante. Il faut améliorer le code de la nationalité en partant de ce qui constitue un problème dans les faits critiqués. Il faut aussi profiter de cette amélioration du code pour donner un rôle à la nationalité dans la construction africaine.
Ku bêreey daan!
Madior DIOUF Secrétaire général du Rassemblement National Démocratique(RND)
.
Mais la binationalité, bien que comportant des avantages pour l’intéressé, est une situation que le droit produit par les Etats rend complexe. Il faut préciser, avant d’autres développements, que son acquisition, du fait du droit bien varié des Etats, dépend de modalités diverses : le mariage, le droit du sol, la naturalisation, etc. Chaque Etat a fait voter une loi portant code de la nationalité de ses ressortissants et mis en œuvre, dans les dispositions de cette loi, ses options en matière de multinationalité. Il peut donner à l’épouse étrangère d’un national la nationalité de son mari, sur demande ou comme une conséquence du mariage. L’enfant prend la nationalité de son père, fait général pour des raisons culturelles, notamment celles qui font du père le chef de la famille ; mais la mère ne donne pas encore la nationalité à son enfant, au Sénégal à coup sûr. Le combat des femmes, à l’heure de la parité dans l’occupation des postes de responsabilité, des mandats politiques plus précisément, pourra peut-être faire inscrire une disposition de ce genre dans les divers codes de la nationalité des pays où la démocratie développe la modernité en ses aspects les plus innovants.
Les positions des Etats sur la binationalité vont de l’interdiction totale à l’autorisation, en passant par l’interdiction partielle. La Chine, pour citer quelques exemples en plus du Sénégal, le Maroc, l’Allemagne, etc. interdisent l’acquisition d’une autre nationalité. La République Démocratique du Congo, tout comme l’avait fait le Zaïre de Mobutu, exprime cette option de façon énergique : la nationalité congolaise est une et exclusive. Cette option rigide se comprend plus aisément dans les temps de guerres fréquentes où l’étranger est souvent l’ennemi.
Mais à l’époque moderne et contemporaine l’interpénétration pacifique des peuples s’admet et s’organise de plus en plus. Certes des raisons économiques motivant les déplacements, les migrants vivent souvent des situations difficiles. Ils sont alors perçus comme des personnes qui viennent prendre du travail à des autochtones des pays d’accueil. Le mépris culturel dont font preuve les théoriciens du rejet des étrangers, surtout si ces derniers sont des réfugiés économiques, développe le réflexe sécuritaire qui complique la vie aux immigrants, à l’accueil comme dans la vie quotidienne. Cette attitude est plutôt marginale dans le comportement des peuples des pays d’accueil, le plus souvent ayant atteint un niveau de développement économique et social beaucoup plus élevé que celui des pays de départ de l’émigration ; ainsi l’étranger devient de plus en plus un acteur de la création de richesses dans le pays où il a décidé de vivre pour une durée qu’il souhaite plus ou moins longue, selon son plan de vie, s’il l’a conçu et tente de le mettre en œuvre.
L’immigrant se satisfait-il toujours du bon accueil et de la situation de travailleur bien inséré dans le système de production des biens et services du pays d’accueil ? La dynamique de cette insertion même, la culture qui a favorisé le bon accueil et les avantages que comporte l’acquisition de la nationalité de son pays d’adoption l’incitent souvent à demander cette nationalité. C’est alors qu’entre en jeu le droit des Etats. L’interdiction de la binationalité peut contraindre le migrant à s’en tenir à sa nationalité première et à demeurer l’immigrant bien reçu, connu de son ambassade, régi par le droit de son pays et respectant les lois et règlements du pays d’accueil.
Le Sénégal interdit la double nationalité par la loi 61-70 du 7 mars 1961 portant code de la nationalité sénégalaise. Cette interdiction est d’application aléatoire parce que l’article 18 pose une autorisation du gouvernement, à décider quinze ans après le service militaire effectué par le concerné ou l’exemption de ce service, ainsi que la signature d’un décret par le Président de la République, comme modalité d’application de la loi pour la perte de la nationalité par un Sénégalais majeur qui a volontairement obtenu une autre nationalité.
La rigidité avec laquelle la binationalité est interdite, par les Etats dont le Sénégal, va sans doute évoluer, si le débat sur la question tient compte de plus en plus de la mondialisation et des commodités que les migrants tirent de l’acquisition d’une deuxième, voire de plus de deux nationalités en plus de la nationalité initiale. Le débat tendra sans doute à limiter l’interdiction à l’exercice de fonctions politiques pour le binational, comme c’est déjà le cas dans les pays à interdiction partielle de la binationalité. Le Sénégal a mis dans la Constitution que pour être candidat à l’élection à la présidence de la République il faut être de nationalité exclusivement sénégalaise. Cette disposition fait tautologie d’ailleurs avec le code de la nationalité en son titre III, article 18, puisque le Sénégalais majeur qui acquiert volontairement une autre nationalité perd la nationalité sénégalaise dit cet article
Pour les autres fonctions politiques, c’est-à-dire être membre du Parlement ou des assemblées élues du pouvoir local, il faudrait une disposition pareille. L’interdiction partielle de la binationalité ainsi équilibrée permettrait de réviser le code de la nationalité et de ne plus gêner inutilement nos migrants qui peuvent avoir besoin de solliciter une autre nationalité et l’obtenir en restant sénégalais. Nous devrions être plus attentifs aux problèmes de nos Modou-Modou et autres émigrés de très haute qualification dans les domaines les plus divers. Il est dit souvent dans nos débats sur l’émigration qu’elle rapporte plus que l’équivalent de la dette publique aux pays d’Afrique, le Sénégal et les autres. Qu’on n’objecte surtout pas que nous risquons d’encourager la fuite des cerveaux. La différence du niveau de développement des pays du nord où se trouve nos cadres émigrés et nous-mêmes fait que la meilleure façon aujourd’hui d’éviter à notre effort de développement d’être affecté par les départs pour le travail de haute technicité dans l’ailleurs développé, c’est d’étoffer davantage les cohortes de cadres en formation dans nos universités et écoles de formation. Il nous faut former plus de médecins, plus d’ingénieurs, plus d’enseignants, plus de militaires de tous les grades parce que la coopération internationale et les décisions libres de nos concitoyens ayant ces compétences nous privent, positivement d’ailleurs pour les intéressés, de cadres certes formés à nos frais mais qui, émigrés, continuent d’ être utiles à leur pays autrement.
L’interdiction de la binationalité limitée aux fonctions politiques est la révision à opérer de notre code de la nationalité, en harmonie avec le monde moderne et l’interpénétration des peuples. Il est plus honnête de choisir la transparence sur la nationalité et l’ouverture qui ne met pas notre sécurité en danger.
La binationalité a, par ailleurs, un intérêt évident pour la construction africaine qui, jusqu’ici, n’a fait que des pas de caméléon : le même franc dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), le passeport de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), c’est peu en matière de nationalité africaine. Pour la construire il faudra des accords de structuration de la multinationalité africaine, car les frontières héritées de la colonisation se sont sclérosées et les anciennes colonies qui étaient ensemble dans des groupes qui auraient pu accélérer l’intégration africaine sont devenues des Etats jaloux chacun de leur souveraineté. Il faut aller plus loin pour réaliser, par des accords sans doute difficiles à obtenir, et non plus à chaud, comme c’était possible à la veille et au début des indépendances africaines, l’unité africaine avec des chefs d’Etat qui peuvent hésiter, chacun, maintenant, à être responsables d’une composante d’un Etat fédéral ou d’une fédération d’Etats plutôt que chef d’Etat chez lui.
Pour réaliser la nation africaine il faut aller au-delà des « cercles concentriques du Président Léopold Sédar Senghor. L’effort d’intégration doit tendre à créer le même cordon douanier, une armée africaine, à harmoniser les systèmes d’éducation et de formation pour un même esprit des cadres de la santé, de l’éducation, de la sécurité, de la production et des administrations. Il y a certes l’obstacle des intérêts de pouvoirs établis, mais le point de mire qu’est l’Etat fédéral d’Afrique conçu par Cheikh Anta Diop demeure, pour les Africains, beaucoup plus mobilisateur que l’utopie généreuse qui chante : « la terre nationale sera ».
La conséquence, sur la vie politique africaine, de l’effort tendant à réaliser l’Etat fédéral d’Afrique et la nation africaine, est que des pas importants doivent être réalisés dans de nombreux domaines, notamment en matière de vote des Africains migrants vivant dans des pays d’accueil africains, en matière aussi d’adhésion de ces mêmes migrants aux partis nationaux des pays d’accueil, en matière d’organisation et de fonctionnement de partis « africains » privilégiant la formation pour renforcer l’option panafricaniste dans la vie politique africaine. C’est ainsi que la multinationalité africaine conduira à la nationalité africaine unique. L’unité africaine faisant le développement de l’Afrique, il n’y aura plus, pour les Africains, de raison économique à l’aspiration à la binationalité dans une vie extra africaine
Le rappel de ces considérations sur la construction africaine permet de remarquer que les Africains, en créant leurs codes de la nationalité n’ont pas pensé donner un rôle à la nationalité dans l’effort de construction de l’unité africaine. Dans les anciennes colonies britanniques des Antilles, au contraire, il y a une disposition constitutionnelle relative à la nationalité qui tend à consolider le Commonwealth : la Dominique, la Jamaïque et d’autres anciennes colonies britanniques des Antilles interdisent la binationalité avec comme sanction prévue la perte de la nationalité d’origine ; mais lorsque la seconde nationalité est celle d’un pays du Commonwealth, il n’y a pas de sanction du citoyen qui l’obtient. Les francophones du continent africain n’ont pas pensé à une binationalité qui tendrait de façon aussi dynamique à construire l’unité africaine.
Le début des discussions nées de l’évocation récente de la binationalité à l’Assemblée nationale ont une orientation courte. Les uns tentent, énergiquement d’ailleurs, d’imposer le silence sur la question sous prétexte que les trois premiers Présidents de la République du Sénégal ont eu chacun la nationalité française et qu’ils n’ont pas trahi. C’est un peu court comme argumentation ! Avant d’affirmer de manière si péremptoire que tel ou tel chef de l’Etat n’a pas trahi son pays il faudrait d’abord définir ce qu’est trahir la nation. La Constitution qui mentionne la haute trahison ne l’a pas définie. Ce n’est pas une raison de tenter de régler le problème à coups d’affirmations pour le silence sur la question.
Discuter de la binationalité, avec transparence et le souci honnête de régler un problème de modernité et de justice du droit positif à mettre en place, est de meilleure orientation, pour des discussions d’intérêt national que l’on ne peut pas régler en noyant le poisson. Dénoncer des binationaux en montrant clairement les faits peut, par contre, contribuer aussi à montrer les insuffisances de notre code de la nationalité et la nécessité de le réviser dans le souci de sa modernité et le respect de tout ce qui est de nature à sauvegarder notre sécurité. La chasse aux sorcières, si l’on peut appeler ainsi cette clarification, est insuffisante. Il faut améliorer le code de la nationalité en partant de ce qui constitue un problème dans les faits critiqués. Il faut aussi profiter de cette amélioration du code pour donner un rôle à la nationalité dans la construction africaine.
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