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Sarraounia, reine, magicienne et résistante

Figure extrêmement célèbre au Niger, la reine Sarraounia incarne la résistance des Nigériens contre la colonisation française à la fin du XIXe siècle. Oubliée par les historiens, elle a été popularisée par la fiction et le cinéma qui se sont appuyés sur la tradition orale pour faire de ce personnage de reine guerrière engagée dans la défense de sa terre, un élément majeur du récit national nigérien. Aujourd’hui, des écoles portent son nom. La station de radio Sarraounia est l'une des plus écoutées, et la banque « Sarraounia Finance » ne prête qu’aux femmes…



Reine légendaire de l’Afrique de l’Ouest, Sarraounia Mangou a régné au XIXe siècle dans le sud-ouest du Niger actuel. Elle a présidé sur la destinée de la population animiste (les Aznas) qui vivait dans la cité-Etat de Lougou située au cœur d’une région de vieille civilisation haoussa.
 
La souveraine nigérienne est entrée dans la légende pour avoir opposé dans les années 1898-1899 une résistance tenace au passage d’une troupe coloniale française. Pour les Nigériens, elle symbolise leur combat contre les impérialismes, et les historiens la rangent parmi les souveraines militantes et intrépides apparues dans d’autres contrées d’Afrique comme la reine guerrière Amina de Kano au Nigeria, la princesse Yennenga au Burkina Faso ou la reine Pokou en la Côte d’Ivoire, des figures qui ont marqué l’histoire précoloniale.
 
En langue haoussa, « Sarraounia » signifie « reine ». Le terme désigne le titre attribué à la chef politique et religieuse de la communauté. Il s’agit d’un titre héréditaire dont l’origine remonte vraisemblablement au XVIIe siècle. Chez les Haoussa, certaines communautés ont souvent eu des femmes pour chefs. Dotés d’un véritable pouvoir temporel, les Sarraounia régnaient sur un royaume prospère grâce au commerce avec les Touaregs et les Toubous du désert. Lougou possédait un marché florissant, fortifié par un mur d’enceinte.
 
La mission Voulet-Chanoine
 
Sarrraounia Mangou est sans doute la plus célèbre des Sarraounia. Son nom reste étroitement lié à la résistance féroce opposée par les Azna à l’avancée de la colonne militaire Voulet-Chanoine dépêchée par la France en janvier 1899 pour conquérir la région du lac Tchad. Nommée d'après les deux officiers coloniaux, les capitaines Paul Voulet (33 ans) et Julien Chanoine (29 ans) chargés de conduire cette expédition militaire, la mission fut particulièrement meurtrière. Elle dévasta des dizaines de villages sur son passage, entre Saint-Louis du Sénégal d’où la mission est partie et Zinder au Niger. Elle devait faire la jonction au Lac Tchad avec la mission Foureau-Lamy partie d’Algérie ainsi qu'avec la mission Gentile à l’Oubangi-Chari, et participer à la conquête du Tchad qui devait être l'acte fondateur de la future Afrique équatoriale française.

 

Nous sommes au lendemain de la conférence de Berlin (1885) où le « gâteau africain » a été théoriquement partagé entre les grandes puissances de l’époque, mais il reste encore à fixer les frontières et délimiter les zones d’influence. La conquête de Fachodapar les Anglais (1898) marque la fin du rêve des stratèges hexagonaux d’établir un empire français traversant l’Afrique de l’Atlantique à la mer Rouge. C’est dans ce climat de compétition coloniale acharnée que Paris décida d’envoyer trois corps expéditionnaires dans le but de pacifier les régions sous son autorité en Afrique centrale, notamment au-delà du lac Tchad où un conquérant arabe nommé Rabahmenaçait son hégémonie.
 
Ce plan de conquête est mis à mal par le duo Voulet-Chanoine qui ne respectent pas les consignes qui leur sont données à Paris. Ils laissent leurs troupes, sans doute insuffisamment équipées, se ravitailler en se livrant à des exactions sur les populations qui avaient le malheur de se trouver sur leur passage. La mission s’illustra en pillant et massacrant sans distinction et en incendiant les villages qui refusaient d’obtempérer à leurs ordres. C’est auréolée de cette réputation d’assassins et de pilleurs qu’en avril 1899 la colonne expéditionnaire française arriva dans le pays haoussa, qui était alors sous l’influence britannique. Elle comportait huit officiers et sous-officiers français, 300 tirailleurs et spahis et 700 porteurs. Les soldats faisaient régner la terreur dans les villages, soumettant les populations à coups de viols, mutilations, décapitations, mises en esclavage, assassinats et autres horreurs innommables.
 
Bientôt les Français se trouvent aux portes de Lougou. Contrairement à ses voisins musulmans qui collaborent avec les envahisseurs, le peuple azna avec à sa tête Sarraounia Mangou refuse de céder aux envahisseurs. Ils résistent, mais n'ont pour seules armes que leurs arcs primitifs, leurs fétiches et leurs gris-gris. Les archers de Sarraounia réussissent à tuer plusieurs tirailleurs, mais ne peuvent résister longtemps à des ennemis armés de fusils et de canons. Le 15 avril 1899, les soldats français s’emparent de Lougou que les Azna abandonnent pour ne pas se faire massacrer, mais ils poursuivent le combat, harcelant leurs ennemis à partir de la forêt où ils se sont cachés. Leurs flèches empoisonnées et la réputation de sorcière de leur reine sèment la zizanie dans le camp des Français qui voient leurs mercenaires africains déserter, se sentant menacés par les forces occultes.
 
Les officiers Voulet-Chanoine sont rattrapés à leur tour par leur réputation de « Terminator » sans foi ni loi, avec à leur trousse un délégué envoyé par la France pour prendre le commandement de la mission. Le duo font tirer sur l’envoyé, avant de tomber eux-mêmes sous les balles des tirailleurs.
 
Bataille de Lougou
 
Et que devient la reine ? Ce n’est pas dans les livres d’histoire qu’on trouvera la réponse. Etrangement, les Archives nationales d’outre-mer de la France ni celles du ministère de la Guerre n’évoquent le nom de Sarraounia. La bataille de Lougou est passée sous silence dans les documents historiques. Les archives consultées par des chercheurs révèlent seulement que la mission Voulet-Chanoine dut faire face à l’hostilité des villageois de Lougou (nommément cité dans les documents déposés) ainsi que les bourgades avoisinant Lougou et que « leur résistance acharnée coûta à la Mission 7 000 cartouches, 4 tués et 6 blessés ». Preuve sans doute que les combats furent violents, et pourtant les documents ne parlent ni de « bataille », ni de « Sarraounia ».
 
C’est en fait à travers les récits oraux de l’époque que s’est construit le portrait de la reine résistante. L’écrivain Abdoulaye Mamani et le cinéaste Med Hondo, auxquels on doit respectivement une biographie romancée de la souveraine des Haoussa (Sarraounia : le drame de la reine magicienne, L’Harmattan 1980) et un film sur le même thème (Sarraounia, film sorti en salle en 1986), se sont appuyés sur ce précieux fond oral pour raconter, mêlant mythe et réalité historique, la destinée légendaire de ce personnage hors du commun.
 
On apprend dans la biographie de Mamani qu’orpheline dès sa prime enfance, Sarraounia Mangou n’était guère une femme ordinaire. Nourrie de lait de jument et initiée très tôt par un ami de son père aux mystères des forces occultes à l’œuvre dans le monde, elle était devenue une sorcière et magicienne, doublée d’une redoutable guerrière amazone. Devenue reine des Aznas, elle « a su résister, écrit Mamani, à l’invasion des Touaregs belliqueux du Nord et préserver son royaume des fanatiques Foulanis de Sokoto qui tentent désespérément de la soumettre à l’islam. Le capitaine Voulet est surpris par la résistance farouche de la Sarraounia et des guerriers aznas. Après une nuit de combats acharnés, Voulet et ses hommes occupent la Cité royale. Mais la Sarraounia ne se rend pas… »
 
Quant à la suite, les versions diffèrent. Selon certains récits, la reine prit le maquis avec les autres guerriers de son royaume et continua de harceler le vainqueur le poussant à partir. Une autre version suggère que, prise au piège dans son palais encerclé par l’ennemi, la reine guerrière tourne en rond pendant des journées entières. Puis un jour, les portes du palais se sont ouvertes. Les témoins jurent d'avoir vu alors une panthère noire comme la nuit surgir du fond de la forteresse, sauter par-dessus les remparts avant de disparaître dans la forêt avoisinante. Personne n’aurait plus jamais revu Sarraounia Mangou !
 
 



Rfi.fr

Mercredi 8 Mars 2017 - 10:25


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