C'est une histoire sordide -un viol sur mineure commis au cours de l'été 2006 par un expatrié français dans un petit et lointain émirat pétrolier d'Afrique- qui aurait pu être étouffée et ne le sera pas. Car ce "fait divers" a déclenché, par ricochet, au sein de France Télécom Orange (FTO) une âpre bataille livrée à coups de menaces, de faux réels ou supposés et de rumeurs. Il aura aussi contribué à sortir de l'ombre malversations financières et acrobaties comptables, incitant le géant tricolore de la téléphonie à hâter son désengagement d'un marché lucratif mais piégé, sur fond de tensions latentes entre Paris et la Guinée équatoriale, principauté hispanophone et clanique régentée à la cravache par l'ex-putschiste Teodoro Obiang Nguema.
Un médiateur trop zélé
La frêle et candide Otilia n'a pas 14 printemps quand elle croise la route de Didier D., cadre chez Getesa, société dont FTO détient 40% du capital. Cadeaux, dîners, serments: le quinqua attire sa proie dans ses filets et lui impose par la force des rapports sexuels. S'ensuivent une liaison et une grossesse. Furieux, "Don Didier" - ainsi le surnomme-t-on là-bas - somme Otilia de se faire avorter. En vain: Carmen voit le jour le 27 avril 2007. Quand, le bébé dans les bras, la jeune maman ose venir réclamer au siège de Getesa l'aide du père, les amis de celui-ci la refoulent et l'insultent. Mais la révolte l'emporte sur la honte: épaulée par sa soeur aînée, Violeta, femme opiniâtre, elle porte plainte puis transige via un "accord amiable" devant notaire, négocié... dans le bureau du Premier ministre équato-guinéen, en présence du consul de France à Malabo.
Didier D. s'engage à financer l'achat d'une maison et à verser une pension mensuelle. Dans la coulisse, un certain Yves Garcia oeuvre à l'arrangement: expert en marketing établi in situ, il a été mandaté par la hiérarchie parisienne, comme l'atteste alors un courriel envoyé par Marc Rennard, directeur exécutif Amea (Afrique, Moyen-Orient, Asie) de FTO. Mais voilà, le zèle du médiateur, prompt par ailleurs à dénoncer les fraudes d'envergure fréquentes chez Getesa, exaspère l'entourage du violeur présumé; lequel, à en croire Garcia, ira jusqu'à commanditer un obscur "simulacre d'exécution".
Un autre épisode, rocambolesque, achève de persuader le trublion que la maison mère l'a lâché. En juillet 2010, alors en poste à Bangui, il apprend par un officier de gendarmerie centrafricain son arrestation imminente, prélude à son transfert à Malabo, où il vient d'être condamné, avec deux collègues français, à une peine de quarante mois de prison pour des détournements commis en son absence.
Qu'importe si le trio avait été relaxé en appel et si le verdict de la Cour suprême locale résulte d'un recours introduit hors délai... Avec le concours du patron du Grand Café de Bangui et de militaires français, Yves Garcia fuit in extremis la République centrafricaine. Récit corroboré par un témoin. "Mensonges! s'insurge-t-on à FTO. C'est nous qui avons organisé son exfiltration." Et de produire un e-mail dans lequel l'intéressé adresse un "grand remerciement à tous ceux qui se sont impliqués dans cette affaire". Simple repli tactique visant à calmer le jeu, argue son auteur.
Parole contre parole, courriel contre courriel. Commence alors une intense guérilla judiciaire, menée à la hussarde par Norbert Tricaud, avocat familier du marigot subsaharien et conseil de Garcia. A la clef, en 2012, une cascade de plaintes. Dont une pour "subornation de témoin, destruction de preuves et entraves à la justice" et une pour "harcèlement moral", le tout assorti d'une saisine de la Cour des comptes. La première vaut le détour. Le client de Me Tricaud accuse ses employeurs d'avoir, à la faveur du remplacement d'un ordinateur défaillant, anéanti 300 fichiers sensibles et les soupçonne d'avoir "purgé" les PC d'une demi-douzaine de hauts cadres.
Thèse vigoureusement réfutée à Orange, où l'on cite l'enquête conduite par le "contrôle général": si le disque dur de l'appareil d'Yves Garcia, qui pouvait sécuriser ses données en amont, a bien été démantelé par le fournisseur, jamais le management n'a ordonné quelque effacement que ce soit. "Les affabulations, ça commence à bien faire! s'irrite-t-on au sommet. Garcia bénéficie depuis son retour d'Afrique d'un accompagnement professionnel et financier exemplaire." Il n'empêche: convoqué en novembre dernier pour un "entretien préalable", le gêneur entêté s'est entendu menacer d'une sanction disciplinaire "pouvant aller jusqu'au licenciement".
Pour discréditer l'imprécateur, à l'évidence fragilisé par cette longue épreuve de force, FTO recourt à des procédés peu glorieux. Au siège parisien du groupe, on suggère ainsi qu'il entretint un temps une relation intime avec Violeta, l'aînée d'Otilia, et que cette dernière était âgée non pas de 13 ans et 9 mois au moment de l'agression, en 2006, mais de près de 18. Quitte à vous fournir la copie d'un certificat de baptême et d'un registre d'état civil où figure, à la rubrique date de naissance, le 12 octobre 1988. Il y a un hic: tous les autres documents officiels, prétendument falsifiés, établissent qu'Otilia, qui réside désormais aux Canaries, est bien née quatre ans plus tard. A commencer par deux passeports à son nom ou son permis de séjour espagnol.
Friture sur la ligne Paris-Malabo
Au demeurant, en quoi ces douteuses arguties atténueraient-elles la gravité du crime? Diffusé en juin dernier, un communiqué interne feint de s'étonner de l'écho recueilli par une telle "relation extraconjugale". On y invoque aujourd'hui la présomption d'innocence de l'encombrant salarié incriminé et son statut protecteur de fonctionnaire en disponibilité. Mansuétude? Rapatrié en juillet dernier dans l'Hexagone, Didier D. a été affecté à la direction Afrique-Asie du groupe et postule pour une mission technique en province. Mais c'est à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), dans les locaux de FTO, qu'il fut interpellé le 27 septembre 2012, puis emmené menottes aux poignets en garde à vue. Coup de théâtre consécutif à l'audition d'Otilia par les enquêteurs du Groupe central des mineurs victimes de l'Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP) de Nanterre. Car la jeune mère a porté plainte cinq mois plus tôt, à Paris cette fois; pour viol contre Didier D., et pour non-dénonciation à l'encontre de quatre de ses supérieurs.
Un litige peut en cacher un autre. Quoique feutré, celui qui oppose FTO à la clique Obiang n'est pas moins féroce. De l'aveu d'un initié, le groupe français rêve de quitter la Guinée équatoriale "sans y laisser trop de plumes". Il faut dire qu'il en a perdu beaucoup. Prestations fictives ou surfacturées, investissements portés disparus, incohérence du suivi des dépenses engagées, contrôle défaillant: dès juin 2009, un rapport d'audit du cabinet Deloitte décrit l'étendue des dégâts. Ajoutons-y un manque à gagner colossal lié au vol -y compris par le fils d'un ex-ministre- de stocks de cartes de recharge téléphonique et l'impunité dont jouissent les protégés du président... Au mépris d'un pacte d'actionnaires actualisé voilà peu, Malabo a invité dans l'arène un opérateur chinois, ce qui donne en théorie à France Télécom le droit de se délester de ses parts au prix fort. Pas gagné. C'est "contre son gré", précise un document interne, que le groupe demeure détenteur de 40% des actions de Getesa. Une certitude: il y a de la friture sur la ligne Paris-Malabo. D'autant que deux magistrats français ont lancé en juillet dernier un mandat d'arrêt international contre Teodorin, fils et héritier présomptif d'Obiang visé par la procédure des "biens mal acquis". Ceux qui, paraît-il, ne profitent jamais.
Sus à la corruption !
Hasard du calendrier? Le 21 décembre, le PDG de France Télécom Orange, Stéphane Richard, a diffusé au sein de ses troupes un document codifiant la politique anticorruption du groupe. Le dogme en la matière: la "tolérance zéro". Haro sur "les pots-de-vin, l'extorsion, les sollicitations, le trafic d'influence et le blanchiment des fruits" de telles pratiques. Il est précisé que "quiconque porterait de bonne foi à la connaissance de l'entreprise des soupçons d'infraction ou refuserait de prendre part à des activités de corruption" n'encourrait "aucun préjudice". C'est bien le moins... Un long paragraphe régit en outre la conduite à tenir envers cadeaux et invitations, tolérés sous certaines conditions. Une évidence: si la direction a jugé opportun d'énoncer un tel catéchisme, c'est que le péril existe.
So
Source : L'Express
Un médiateur trop zélé
La frêle et candide Otilia n'a pas 14 printemps quand elle croise la route de Didier D., cadre chez Getesa, société dont FTO détient 40% du capital. Cadeaux, dîners, serments: le quinqua attire sa proie dans ses filets et lui impose par la force des rapports sexuels. S'ensuivent une liaison et une grossesse. Furieux, "Don Didier" - ainsi le surnomme-t-on là-bas - somme Otilia de se faire avorter. En vain: Carmen voit le jour le 27 avril 2007. Quand, le bébé dans les bras, la jeune maman ose venir réclamer au siège de Getesa l'aide du père, les amis de celui-ci la refoulent et l'insultent. Mais la révolte l'emporte sur la honte: épaulée par sa soeur aînée, Violeta, femme opiniâtre, elle porte plainte puis transige via un "accord amiable" devant notaire, négocié... dans le bureau du Premier ministre équato-guinéen, en présence du consul de France à Malabo.
Didier D. s'engage à financer l'achat d'une maison et à verser une pension mensuelle. Dans la coulisse, un certain Yves Garcia oeuvre à l'arrangement: expert en marketing établi in situ, il a été mandaté par la hiérarchie parisienne, comme l'atteste alors un courriel envoyé par Marc Rennard, directeur exécutif Amea (Afrique, Moyen-Orient, Asie) de FTO. Mais voilà, le zèle du médiateur, prompt par ailleurs à dénoncer les fraudes d'envergure fréquentes chez Getesa, exaspère l'entourage du violeur présumé; lequel, à en croire Garcia, ira jusqu'à commanditer un obscur "simulacre d'exécution".
Un autre épisode, rocambolesque, achève de persuader le trublion que la maison mère l'a lâché. En juillet 2010, alors en poste à Bangui, il apprend par un officier de gendarmerie centrafricain son arrestation imminente, prélude à son transfert à Malabo, où il vient d'être condamné, avec deux collègues français, à une peine de quarante mois de prison pour des détournements commis en son absence.
Qu'importe si le trio avait été relaxé en appel et si le verdict de la Cour suprême locale résulte d'un recours introduit hors délai... Avec le concours du patron du Grand Café de Bangui et de militaires français, Yves Garcia fuit in extremis la République centrafricaine. Récit corroboré par un témoin. "Mensonges! s'insurge-t-on à FTO. C'est nous qui avons organisé son exfiltration." Et de produire un e-mail dans lequel l'intéressé adresse un "grand remerciement à tous ceux qui se sont impliqués dans cette affaire". Simple repli tactique visant à calmer le jeu, argue son auteur.
Parole contre parole, courriel contre courriel. Commence alors une intense guérilla judiciaire, menée à la hussarde par Norbert Tricaud, avocat familier du marigot subsaharien et conseil de Garcia. A la clef, en 2012, une cascade de plaintes. Dont une pour "subornation de témoin, destruction de preuves et entraves à la justice" et une pour "harcèlement moral", le tout assorti d'une saisine de la Cour des comptes. La première vaut le détour. Le client de Me Tricaud accuse ses employeurs d'avoir, à la faveur du remplacement d'un ordinateur défaillant, anéanti 300 fichiers sensibles et les soupçonne d'avoir "purgé" les PC d'une demi-douzaine de hauts cadres.
Thèse vigoureusement réfutée à Orange, où l'on cite l'enquête conduite par le "contrôle général": si le disque dur de l'appareil d'Yves Garcia, qui pouvait sécuriser ses données en amont, a bien été démantelé par le fournisseur, jamais le management n'a ordonné quelque effacement que ce soit. "Les affabulations, ça commence à bien faire! s'irrite-t-on au sommet. Garcia bénéficie depuis son retour d'Afrique d'un accompagnement professionnel et financier exemplaire." Il n'empêche: convoqué en novembre dernier pour un "entretien préalable", le gêneur entêté s'est entendu menacer d'une sanction disciplinaire "pouvant aller jusqu'au licenciement".
Pour discréditer l'imprécateur, à l'évidence fragilisé par cette longue épreuve de force, FTO recourt à des procédés peu glorieux. Au siège parisien du groupe, on suggère ainsi qu'il entretint un temps une relation intime avec Violeta, l'aînée d'Otilia, et que cette dernière était âgée non pas de 13 ans et 9 mois au moment de l'agression, en 2006, mais de près de 18. Quitte à vous fournir la copie d'un certificat de baptême et d'un registre d'état civil où figure, à la rubrique date de naissance, le 12 octobre 1988. Il y a un hic: tous les autres documents officiels, prétendument falsifiés, établissent qu'Otilia, qui réside désormais aux Canaries, est bien née quatre ans plus tard. A commencer par deux passeports à son nom ou son permis de séjour espagnol.
Friture sur la ligne Paris-Malabo
Au demeurant, en quoi ces douteuses arguties atténueraient-elles la gravité du crime? Diffusé en juin dernier, un communiqué interne feint de s'étonner de l'écho recueilli par une telle "relation extraconjugale". On y invoque aujourd'hui la présomption d'innocence de l'encombrant salarié incriminé et son statut protecteur de fonctionnaire en disponibilité. Mansuétude? Rapatrié en juillet dernier dans l'Hexagone, Didier D. a été affecté à la direction Afrique-Asie du groupe et postule pour une mission technique en province. Mais c'est à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), dans les locaux de FTO, qu'il fut interpellé le 27 septembre 2012, puis emmené menottes aux poignets en garde à vue. Coup de théâtre consécutif à l'audition d'Otilia par les enquêteurs du Groupe central des mineurs victimes de l'Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP) de Nanterre. Car la jeune mère a porté plainte cinq mois plus tôt, à Paris cette fois; pour viol contre Didier D., et pour non-dénonciation à l'encontre de quatre de ses supérieurs.
Un litige peut en cacher un autre. Quoique feutré, celui qui oppose FTO à la clique Obiang n'est pas moins féroce. De l'aveu d'un initié, le groupe français rêve de quitter la Guinée équatoriale "sans y laisser trop de plumes". Il faut dire qu'il en a perdu beaucoup. Prestations fictives ou surfacturées, investissements portés disparus, incohérence du suivi des dépenses engagées, contrôle défaillant: dès juin 2009, un rapport d'audit du cabinet Deloitte décrit l'étendue des dégâts. Ajoutons-y un manque à gagner colossal lié au vol -y compris par le fils d'un ex-ministre- de stocks de cartes de recharge téléphonique et l'impunité dont jouissent les protégés du président... Au mépris d'un pacte d'actionnaires actualisé voilà peu, Malabo a invité dans l'arène un opérateur chinois, ce qui donne en théorie à France Télécom le droit de se délester de ses parts au prix fort. Pas gagné. C'est "contre son gré", précise un document interne, que le groupe demeure détenteur de 40% des actions de Getesa. Une certitude: il y a de la friture sur la ligne Paris-Malabo. D'autant que deux magistrats français ont lancé en juillet dernier un mandat d'arrêt international contre Teodorin, fils et héritier présomptif d'Obiang visé par la procédure des "biens mal acquis". Ceux qui, paraît-il, ne profitent jamais.
Sus à la corruption !
Hasard du calendrier? Le 21 décembre, le PDG de France Télécom Orange, Stéphane Richard, a diffusé au sein de ses troupes un document codifiant la politique anticorruption du groupe. Le dogme en la matière: la "tolérance zéro". Haro sur "les pots-de-vin, l'extorsion, les sollicitations, le trafic d'influence et le blanchiment des fruits" de telles pratiques. Il est précisé que "quiconque porterait de bonne foi à la connaissance de l'entreprise des soupçons d'infraction ou refuserait de prendre part à des activités de corruption" n'encourrait "aucun préjudice". C'est bien le moins... Un long paragraphe régit en outre la conduite à tenir envers cadeaux et invitations, tolérés sous certaines conditions. Une évidence: si la direction a jugé opportun d'énoncer un tel catéchisme, c'est que le péril existe.
So
Source : L'Express
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