Nous voulons dire tout de go que : « l’agencialisation, la politisation des administrations et les faiblesses des contrôles, autrefois entretenues volontairement, sont les plus grands fléaux qui constituent des obstacles à l’optimisation de l’efficience, de l’efficacités et des performances dans la gouvernance des affaires publiques, mais aussi un frein à la réduction du train de vie de l’État. »
Le Journal l’Observateur No 1868 du lundi 14 décembre 2009 avait rapporté que lors de « l’Assemblée générale constitutive de la convergence des cadres républicains (Ccr) », « l’occasion a été saisi par son secrétaire général, Macky SALL, pour dénoncer les dérives du régime libéral, en particulier ce qu’il appelle « l’agencialisation » qui, estime-t-il, « est devenue le moyen le plus approprié pour faire du transfert d’argent massif du Trésor public vers la présidence de la République ». « Ce qui fait, du coup, qu’il (cet argent) échappe à tout contrôle, qu’il s’agisse de la Cour des comptes, de l’Inspection générale d’État ou du Contrôle financier. Et pourtant, ce sont des milliards qui y sont transférés en longueur d’années ».
Principalement à partir de l’an 2000 sous les « troisième et quatrième régimes » (2000 – 2012 et 2012 – 2024), les Agences et services assimilés se sont multipliés, certains ayant disparu en 2012 pour réapparaitre sous d’autres appellations principalement parce que l’ex-Président de la République voulait se débarrasser des partisans du régime précédent et caser ses propres alliés.
Oubliant ses critiques totalement justifiées, le Président du « quatrième régime » a renforcé l’agencialisation qui est une des nombreuses expressions de la mal gouvernance. Les transferts inopportuns d’attributions des directions ministérielles à des Agences ou services assimilés, les nominations d’hommes politiques à la tête de ces organismes, des sociétés nationales, des sociétés à participation publique et de directions ministérielles, à la place de hauts fonctionnaires vertueux et compétents, mais n’appartenant pas à des partis politiques, ont réduit l’efficience, l’efficacité et les performances de ces « Autres administrations » et « Établissements publics » au regard des impacts sur les conditions de vie des populations et le développement socioéconomique du pays.
Profitant des faiblesses des conseils d’administration et des conseils de surveillance, mais surtout de la neutralisation des effets dissuasifs et répressifs des Corps de contrôle et d’audit nationaux (OFNAC, CDC, IGE), et bénéficiant de la protection systématique de l’ex-Président de la République (PR), les politiciens nommés à la tête de tous ces organismes ont pu amasser illicitement en toute impunité des fonds dont une partie étaient investie dans les activités politiques.
L’augmentation exponentielle de ces « Autres administrations » et « Établissements publics » et la marginalisation des fonctionnaires patriotes et non politiquement marqués ont donc été les principales sources de la dilapidation de ressources financières et de l’enrichissement illicite à une vitesse vertigineuse de nombreux politiciens professionnels. Certains de ces directeurs d’agence ou de société nationales s’étaient transformés en « distributeurs automatiques de billets de banque » détournés ou abusivement imputés à une responsabilité sociétale des entreprises. Par ailleurs, ils se sont presque tous permis de faire des recrutements clientélistes n’ayant aucun lien avec les besoins des organismes qu’ils avaient l’honneur de diriger, les transformant injustement en « vache àlait » pour le personnel, les dirigeants et les gouvernants, ainsi que pour des citoyens privilégiés au détriment des « clients » et de l’État, délégataire du « Peuple souverain ».
Il apparait évident qu’entre le 02 avril et le 05 avril 2024, il était matériellement impossible d’évaluer la pertinence de l’existence de tous les organismes étatiques mis en place ou consolidés par l’ex-PR Macky Sall pour procéder à toutes les suppressions, fusions et institutions de nouvelles structures indispensables à la « Transformation systémique du Sénégal ». C’est pourquoi bien qu’ayant réduit le nombre des ministères, le Président de la République Bassirou Diomaye Diakhar Faye aurait maintenu la totalité des « Autres administrations » et des « Établissements publics » par le décret no2024-940 du 05 avril 2024 portant répartition des services de l’État et du contrôle des établissements publics, des sociétés nationales et des sociétés à participation publique entre la Présidence de la République, la Primature et les ministères.
Des ruptures s’imposent pour un retour à l’orthodoxie dans l’architecture gouvernementale et dans le choix purement objectif des leaders qui seront chargés du fonctionnement des organismes étatiques. L’État a intérêt à optimiser l’emploi des hauts fonctionnaires vertueux et compétents qui se sont battus pour intégrer la fonction publique, car ils sont les plus aptes à assurer la continuité du service publique, sans compter le fait que la réparation d’éventuels préjudices causés à l’État est plus facile à l’encontre d’un fonctionnaire que d’un contractuel.
Il est en outre évident que les politiciens non fonctionnaires et les hauts fonctionnaires politiciens nommés à la tête de directions ministériels, des « Autres administrations » et des « Établissements publics » pourront difficilement faire preuve de toute la justice et l’équité que requiert l’exercice d’un bon leadership étatique. Singulièrement dans la gestion des ressources humaines, soumises à des statuts, lois et règlements, ils auront tendance à privilégier leurs camarades de parti et leurs alliés politiques dans les responsabilisations, faveurs et privilèges à accorder et ils accepteront facilement des requêtes purement politiciennes émanant de leurs supérieurs, de leurs camarades de parti politique ou des supposés grands électeurs en faveur d’agents non méritants. Ces leaders politiciens pourraient aussi être tentés de profiter de toutes les situations (commissions tirées des marchés par entente directe, diverses magouilles avec les fournisseurs, …) pour accumuler des fonds indispensables à la poursuite de leurs activités politiques et à la satisfaction des sollicitations de leurs partisans, parmi lesquels de nombreux nécessiteux.
S’agissant de la réduction du train de vie de l’État, elle est un impératif au regard du niveau de pauvreté de notre pays et des exigences du développement. Les charges de fonctionnement de tous les organismes étatiques doivent être proportionnelles aux ressources dont dispose le pays, à leurs rendements et à leur utilité avec une priorité à accorder aux fonctions opérationnelles qui ont des impacts sur la marche vers l’indépendance économique du pays et à l’amélioration des ressources humaines productrices.
Les gouvernants ont le devoir de s’informer sur les meilleures pratiques relatives aux architectures gouvernementales, en vue de se doter courageusement et patriotiquement, de la meilleure organisation possible, en excluant totalement le souci de caser des alliés politiques qui doivent être orientés vers les secteurs de l’éducation, de la formation professionnelle, de la production et de la transformation industrielle et non dans des administrations excessivement consommatrices de crédits budgétaires. Le nombre et le format de ces « Autres administrations » et des Organismes des départements ministériels doivent être réduits à ce qui est strictement indispensable pour la gouvernance (au sens large) de toutes les affaires publiques.
Les recommandations ci-après sont conséquemment formulées« Pour la fin de l’agencialisation et de la politisation des administrations » (1.) et « Pour la réduction du train de vie de l’État » (2.) :
1. Pour la fin de l’agencialisation et de la politisation des administrations
– Identifier de manière consensuelle (pour éviter les remises en cause par d’autres gouvernants) les postes stratégiques qui doivent dans tous les cas être occupés par des fonctionnaires non engagés politiquement et d’autres qui feront l’objet d’un appel à candidature. Pour l’identification de ces postes une équipe pluridisciplinaire indépendante pourrait être chargée de faire des propositions ;
– Évaluer en application de la loi d’orientation 2009-20 du 4 mai 2009 sur les agences d’exécution, la « politique d’externalisation » qui a abouti à la création prolifique d’Agences et de structures assimilées ;
– Identifier les Agences dont les attributions peuvent être transférées à des directions ministérielles, étant entendu qu’il faudra veiller au développement du « souci des clients », à la modernisation de ces organes ministériels avec notamment la simplification des procédures et une « gestion axée sur les résultats » ou ayant des impacts réels sur le développement socioéconomique et l’amélioration des conditions de vie des populations.
2. Pour la réduction du train de vie de l’État
– Consolider la réduction du nombre de ministères qui a été déjà opérée ;
– Supprimer les institutions et les organes étatiques dont le fonctionnement n’apporte rien de déterminant aux performances de l’État ou dont les attributions peuvent facilement être confiées à d’autres institutions ou départements ministériels ;
– Supprimer certaines directions ministérielles et fusionner celles qui peuvent l’être ;
– Supprimer tous les postes superflus de Ministres conseillers, d’Ambassadeurs itinérants, de conseillers techniques, de Conseillers spéciaux et de chargé de mission au niveau de la Présidence de la République et des Ministères ;
– Rationaliser la carte diplomatique du Sénégal, au besoin en rapport avec les pays amis de l’UEMOA et de la CEDEAO qui ont aussi besoin de faire des économies dans ce domaine ;
– Procéder à un contrôle généralisé des effectifs afin d’identifier les emplois fictifs mais aussi les agents qui ont été politiquement recrutés en marge des besoins réels des organismes et se débarrasser d’eux avec le versement d’un pécule en fonction des ressources financières que l’État pourra mobiliser pour cette indispensable opération de dégraissage ;
– Revoir à la baisse les montants des « fonds spéciaux » mis à la disposition des Institutions pour les arrêter à des montants raisonnables en prenant en compte leur niveau en 2000 et d’autres facteurs objectifs pouvant justifier une augmentation (développement multiforme du pays, nouveaux besoins, …) ou une diminution (existence d’un ministère de la famille et des solidarités, institution de la Délégation générale au renseignement nationale dans le pôle sécurité de la Présidence de la République, …) et veiller à la réglementation de leur emploi afin qu’ils ne servent plus principalement à des enrichissements personnels ou au fonctionnement de partis politiques ;
– Exploiter et actualiser le rapport du Cabinet Mgp-Afrique relatif à une « Étude sur le système de rémunération au sein de l’administration, disponible depuis le 30 novembre 2015, pour corriger la déstructuration des salaires des agents de l’État, principalement due aux disparités et incohérences des régimes indemnitaires », des allocations de primes et des fonds communs qui génèrent des écarts d’avoirs mensuels trop importants entre les fonctionnaires suivant leur ministère d’appartenance ;
– Arrêter le plafond des salaires des dirigeants des « Autres administrations » et des « Établissements publics » en fonction du salaire moyen des fonctionnaires, du salaire le plus élevé des hauts fonctionnaires de l’État et de celui des ministres afin de minimiser les écarts que rien d’objectif ne peut expliquer ;
– Remettre en cause tous les contrats de Sénégalais payés à ne rien faire notamment dans les cabinets des ministres, des directeurs généraux et dans les Communes et mettre fin aux salaires fictifs et aux sursalaires dans de nombreux secteurs ;
– Evaluer les incidences budgétaires des mesures qui ont été prises dans le domaine des dépenses en matériels de mobilité, de carburant et de communications téléphoniques.
Pour les communications téléphoniques, il y a lieu de privilégier l’optimisation de l’utilisation de l’intranet gouvernemental, les conventions avec les opérateurs de téléphonie comme la Sonatel (Orange) et la non prise en compte des communications privées (voir système de l’organisation des Nations unies). En effet, au vu de l’annexe du décret 2019-1310 du 14 août 2019 fixant une allocation forfaitaire mensuelle pour charges de téléphone mobile de certains agents de l’État, il est apparu aux yeux de nombreux citoyens que ces mesures n’ont été qu’une augmentation de salaire déguisée au profit d’agents de l’État privilégiés.
En ce qui concerne les véhicules, le remplacement des véhicules 4×4 qui coûtent trop cher par des berlines dans les centres urbains, la mise en place de pools de véhicules 4×4 au niveau des ministères ou au sein d’autres administrations avec des chauffeurs dédiés et une règlementation de leur utilisation (tournées en dehors des villes ou pendant l’hivernage en fonction de l’état des routes, …) et la fixation des dotations de carburant en fonction des besoins réels liés aux déplacements pour raison de service devraient permettre de faire plus d’économies ;
– Remettre en cause la communalisation intégrale afin d’alléger grandement l’organisation administrative territoriale du pays (régions, départements et communes plus viables) et veiller par un contrôle rigoureux à ce que la bonne gouvernance soit une réalité au niveau des mairies ;
– Minimiser les gaspillages et les détournements en assurant une meilleure comptabilité des matériels et la traçabilité de la consommation des crédits budgétaires et des deniers au sein de tous les organes étatiques par la tenue de documents comptables authentifiés ;
– Mettre fin aux pertes injustifiées de recettes fiscales du fait des annulations de dettes fiscales ou des exonérations accordées indûment à des personnes morales, mais aussi à l’usage abusif du « secret » ou du « secret-défense » pour les passations de marchés par entente directe qui induisent la persistance des surcoûts dans les marchés publics du fait notamment des commissions.
En espérant que le prochain remaniement du gouvernement et l’abrogation du décret du 05 avril 2024 susmentionné sera mis à profit pour concrétiser les indispensables changements dans l’architecture gouvernementale, nous allons conclure en affirmant que : « Pour que la réduction du train de vie de l’État, qui inclut d’ailleurs la fin de « l’agencialisation », soit porteuse d’une « croissance économique enrichissante » parce que non extravertie et d’une concrète amélioration des conditions de vie des populations, il faudrait que parallèlement l’État se dote d’une politique de développement tournée vers les activités inductrices d’autosuffisance alimentaire et vers l’industrialisation qui pourra générer d’autres « souverainetés » non alimentaires et fournir assez d’emplois pour redonner espoir à la jeunesse, réduire la pauvreté et optimiser le bonheur des populations qui doit être l’objectif final (« end state ») de toutes les politiques publiques.
Cette politique de développement socioéconomique accompagnée du développement du « sentiment patriotique », surtout des jeunes, qui requiert une positive exemplarité des leaders dans toutes les sphères de la société, permettra assurément de propulser le pays dans la voie de la construction du « Meilleur Sénégal possible » pour les vivants et les générations futures.
Tabasky Diouf, Colonel de Gendarmerie (er)
Membre fondateur de l’Initiative citoyenne Jog Ngir Senegaal
Grand officier de l’Ordre national du Lion et Commandeur de l’Ordre du mérite.
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