"J'ai toujours vécu ici, mes enfants sont nés ici... on ne comprend pas", dit effondré Abdoulaye Saken, Tchadien de Bangui, au milieu des pleurs de ses enfants paniqués par les injures d'une centaine de badauds menaçants.
"Je voulais mettre ma famille en sécurité à l'aéroport (où se trouvent les bases des forces françaises et africaines)... maintenant je suis bloqué", souligne ce père de famille qui a eu l'infortune de tomber en panne juste devant la foule en colère, et la chance que cela se passe devant l'armée française qui a mis sa famille à l'abri derrière un blindé.
Il fait partie de l'un des nombreux convois de Tchadiens qui, à bord de centaines de taxis, camions ou minibus lourdement chargés, quittent la capitale centrafricaine en direction du nord, vers le Tchad.
Comme beaucoup d'autres avant eux, ils fuient les représailles de milices d'autodéfense locales chrétiennes ou de foules en colère qui les accusent de connivence avec les ex-rebelles, majoritairement musulmans, de la Séléka qui ont pris le pouvoir en mars 2013.
C'est sur l'un des gros carrefours de Bangui, au 4ème arrondissement, qu'Abdoulaye est tombé en panne. Massés aux abords des rues, des centaines de civils huent le convoi, criant "Tchadiens assassins" ou "On vous tuera tous!".
Quelques instants plus tôt, avec son unité du 1er régiment de chasseurs parachutistes (RCP), le capitaine Arnaud, de sortie de patrouille, s'organisait pour contenir la foule et éviter les violences.
Soudain, des tirs d'armes automatiques retentissent. Dans la foulée, les Français, à bord de blindés, ripostent d'un tir de semonce de mitrailleuse. "Ce sont des Séléka qui ont tiré sur la foule!", assure un riverain. La tension monte.
"Les Séléka nous ont tout volé! Maintenant, on récupère!"
Soudainement, des centaines de personnes surgissent de l'autre bout de la rue, les bras chargés de tables, chaises, phares, calandres et radiateurs de voitures.
"Les Séléka nous ont tout volé! Maintenant, on récupère!", explique d'un ton joyeux un jeune homme en courant, une voiture jouet dans les bras.
"Mon fils n'a pas eu de Noël cette année, voilà son cadeau!", lance-t-il de loin.
C'est la maison et le garage d'un responsable de l'ex-rébellion qui est en train de se faire piller. Impuissant à bord d'un tout-terrain, un "général" de l'ex-Séléka observe la scène, contrarié. "Salauds! Vous nous avez volés, on vous vole!", crie un pillard à son adresse.
"Vous imaginez ? Avant on n'aurait jamais pu dire quoi que ce soit à un Séléka sans se faire tuer ou emprisonner... Maintenant, ils n'ont qu'à se taire!", commente, hilare, un autre.
Dans la cohue, les camions de civils tchadiens continuent de passer, essuyant quelques injures. Certains, plus préoccupés par leur haine des musulmans que par les pillages, ne retiennent pas leur colère: "Ils sont venus détruire le régime chrétien, nous on va détruire le régime islamique ! On va les tuer, tous!".
Dans ce brouhaha de cris, d'injures, d'armes et de violence, un petit cercueil de bois clair se fraie un chemin. Posé sur une petite charrette, il est poussé par quelques personnes, qui fredonnent doucement un chant religieux, comme si de rien n'était.
Un bref moment de calme. La procession en miniature passe parmi des soldats français, des réfugiés tchadiens, des pillards, des ex-rebelles, et s'en va.
A nouveau, des tirs. Un ex-rebelle passant par là tire vers la foule pour couvrir sa fuite après avoir été pris à partie. Chacun fuit, court, se jette à terre, rampe vers les blindés français.
Aussitôt, les paras français se mettent en position de combat. La rue est déjà vide.
"Tu y comprends quelque chose toi?", lance un soldat à un camarade. "Cherche pas trop va...", répond simplement l'autre.
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