S’ils devaient venir acclamer les Eléphants de Côte d’Ivoire, ils ne se prépareraient sans doute pas autrement. Plusieurs centaines de partisans de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé devraient battre le pavé devant la Cour pour l’ouverture de ce procès-fleuve. Pour l’occasion, de nouveaux tee-shirts à l’effigie des deux accusés ont été imprimés, des hashtags ont été créés pour relayer l’audience sur les réseaux sociaux, et un écran sera installé sur le parvis de la Cour pour regarder l’ouverture du procès à laquelle seule une poignée d’Ivoiriens pourra assister depuis la galerie publique.
Prudente, la police néerlandaise avait bien proposé aux militants de s’installer sur un terre-plein du centre-ville, avant de céder. « On vient apporter un soutien, on ne vient pas faire la guerre, on n’a pas besoin de grabuge », est parvenu à convaincre Ben Gneba, professeur ivoirien installé aux Pays-Bas depuis vingt ans. « Avec des amis, on se cotise pour pouvoir louer un petit mégaphone », raconte-t-il. Les supporters des deux accusés espèrent que leurs slogans s’envoleront jusqu’à la salle d’audience.
Le « plan commun
Longtemps exilé au Ghana, Charles Blé Goudé était à son tour livré à la Cour en mars 2014. Un an plus tard, le procureur décidait de juger ensemble les deux accusés de crimes contre l’humanité commis lors des violences qui avaient suivi la présidentielle de novembre 2010, faisant, selon l’ONU, plus de 3 000 morts.
Pour l’accusation, les deux hommes auraient planifié et organisé, avec d’autres, « un plan commun » visant à maintenir Laurent Gbagbo au pouvoir « par tous les moyens, y compris en commettant des crimes ». Entre le 27 novembre 2010 et le 12 avril 2011, des centaines de civils auraient été attaqués, blessés, tués, violés et persécutés par les forces régulières ivoiriennes, appuyées par des milices et des mercenaires.
Plus de cent témoins pour le procureur
Au cours du procès qui s’annonce, le procureur entend appeler à la barre plus de cent témoins, et se concentrera sur cinq événements : la répression de la marche vers la Radio-Télévision ivoirienne (RTI), celle d’une manifestation au quartier d’Abobo, par la suite bombardé, et des crimes commis à Yopougon. C’est « un puzzle de 5 000 pièces » à conviction, avait un jour dit maître Emmanuel Altit aux juges, demandant inlassablement plus de temps pour préparer la défense de Laurent Gbagbo. L’ancien chef d’Etat a laissé à son équipe de défenseurs le soin de conduire la bataille procédurale. C’est l’Histoire qui l’intéresse, estiment des proches. L’un des experts-psychiatres de la Cour avait établi le même diagnostic. Laurent Gbagbo est soucieux de l’image qu’il laissera.
Me Emmanuel Altit, avocat principal de Laurent Gbagbo
Sans surprise, l’ancien chef d’Etat passe le temps en cellule en lisant, beaucoup, des livres d’histoire et des biographies, le Coran, la Bible et la Torah. « Quand je lui rends visite, raconte Guy Labertit, longtemps « Monsieur Afrique » à Solferino, et ami du détenu, c’est de cela dont nous parlons, pas du procès ». En prison, Laurent Gbagbo n’est pas considéré comme le chef, mais comme le sage. Et pèse encore sur la politique ivoirienne. A l’approche de la présidentielle d’octobre 2015, les visites au parloir se sont succédé, certains cherchant l’adoubement du chef. Et même depuis Scheveningen, sa présence pèse comme une ombre sur le pouvoir ivoirien.
Laurent Gbagbo n’a néanmoins jamais reçu le soutien de l’Union africaine dont ont bénéficié le Soudanais Omar el-Béchir et le Kényan Uhuru Kenyatta, poursuivis eux aussi par la Cour. « En Afrique francophone, avoir un geste pour Gbagbo, c’est prendre des risques », analyse Guy Labertit, « les pays du Sahel pensent d’abord à leur sécurité. » Chef de l’Union des jeunes générations et gendre de Laurent Gbagbo, Stéphane Kipré estime que « tout le monde n’est pas obligé de crier haut et fort son soutien. Les chefs d’Etat en service ne peuvent pas s’immiscer dans des questions qui concernent un ancien chef d’Etat ». Lors de son arrestation, l’Afrique du Sud et l’Angola l’avaient soutenu et d’anciens chefs d’Etat anglophones ont depuis signifié leur soutien, comme le Mozambicain Joaquim Chissano.
Charles Blé Goudé choisit la campagne médiatique
Son co-accusé semble, lui, incessamment en campagne. Charles Blé Goudé ne cache pas ses ambitions pour la présidence. Depuis sa cellule, il suit des cours de sciences politiques d’une université européenne par correspondance, et s’est attaché les soins d’une équipe d’avocats, des amis de lycée, pour conduire la bataille médiatique. « Notre présence est d’abord une forme de sacerdoce », explique Simplice Seri Zokou.
Me Alexander Knoops, avocat de Charles Blé Goudé
Détenu, le chef des Jeunes patriotes se voit en nouveau Mandela, « diabolisé » comme lui dans ses jeunes années. Pense-t-il être à la hauteur de la « réconciliation », prônée par son mentor ? « Comment pourrait-il avoir un jour un rôle en Côte d’Ivoire si ce n’est pas pour la réconciliation alors qu’il aspire à jouer sa partition ? », assure illico maître Seri Zokou. En attendant, il s’illustre lors de matchs entre « les détenus africains et le reste du monde », les accusés du tribunal pour l’ex-Yougoslavie qui résident dans une aile attenante. « Les Serbes le prennent souvent dans leur équipe. Ça, ça leur permet vraiment d’oublier qu’ils sont en prison », dit l’avocat.
Charles Blé Goudé serait très « offensif », plus encore « sur tout ce qui touche à sa responsabilité » dans les crimes de 2010-2011. Le « général de la rue » s’apprête à publier un livre. Son co-détenu, Laurent Gbagbo, préfère s’abstenir, d’autant que les fouilles-surprise des cellules sont régulières. Les deux hommes devront patienter encore longtemps avant de connaître l’issue de ce procès prévu pour durer plusieurs années. D’autant que les avocats de Laurent Gbagbo souhaitent alléger le rythme des audiences. Présent mi-janvier à la Cour, l’ex-chef d’Etat est apparu fatigué. « Il a 70 ans et l’univers carcéral, pour quelqu’un de 70 ans, est quelque chose de très difficile », explique Stéphane Kipré.
Source: Rfi.fr
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