Pierre Pinto : Les consultations populaires à la base se sont achevées. Que retenez-vous des doléances que les Centrafricains ont exprimées ?
Catherine Samba-Panza : Ce processus de consultation populaire, à la base, est une véritable innovation, car j’ai voulu sortir des sentiers battus en me disant que le processus du dialogue de réconciliation ne concerne pas que l’élite et qu’il fallait, pour une fois, obtenir leur ressenti de la situation véritable, leurs préoccupations et surtout leurs solutions de sortie de crise.
Cela a été un véritable succès, car toute la population a adhéré. Et dans les 16 préfectures, ce qu’il en est ressorti concerne vraiment leur vécu. C'est-à-dire les problèmes de sécurité, les problèmes humanitaires, les problèmes de justice, de développement, de pauvreté et surtout les problèmes de réconciliation. Cela est très important parce que c’est en fait la base nourricière de ce qui va être dit au Forum national de Bangui.
Tout le monde attend ici, en Centrafrique, ce Forum, mais dans l’esprit de beaucoup c’est assez flou. Comment concevez-vous ce Forum ?
D’abord, le Forum ne sera pas une occasion pour remettre en cause les institutions de la transition. Au cours de ce Forum, les Centrafricains vont ensemble regarder derrière eux pour savoir comment ils ont fait pour arriver à cette difficile cohabitation, mais surtout avoir une vision pour l’avenir. Qu’est-ce que nous voulons faire de notre pays ? Comment voyons-nous notre pays dans les 20-25 ans qui vont venir ? Comment allons-nous faire pour réapprendre à vivre ensemble ? Comment éviter les erreurs du passé en terme de gouvernance et en terme politique ?
Les Centrafricains attendent beaucoup de ce Forum parce que ce sera l’occasion, pour eux, de se dire la vérité, de donner des explications de ce qui les a amenés où ils sont arrivés aujourd’hui, les raisons qui les ont poussés à commettre des exactions. Mais par-dessus tout, il sera question de la justice et de la réparation pour pouvoir faire le deuil de tout ce qui s’est passé.
Le groupe international de contact (GIC) s’est réuni la semaine dernière et a donné globalement un « satisfecit » à la transition, mais il a aussi plaidé pour une accélération de la feuille de route.
Le groupe de contact a raison. Effectivement, beaucoup reste encore à faire. Ensemble, nous avons surtout relevé qu’il était important d’accélérer le rythme de mise en œuvre de la transition, notamment en ce qui concerne le Forum de Bangui qui aurait dû se tenir déjà depuis fin janvier, début février. Cela a pris du retard. Ensuite, il y a avait les élections qui devaient être organisées, au plus tard, au mois de février puisque la fin de la transition était prévue pour le 15 février 2015.
Nous avons eu la possibilité d’obtenir une prolongation de six mois de cette transition avec un chronogramme précis. Il nous faut absolument tenir ce chronogramme. Le groupe international de contact a fort opportunément attiré notre attention sur l’obligation de tenir le pari des élections en juin et juillet et surtout la fin de la transition au mois d’août 2015. Est-ce que ce chronogramme est tenable ? Pour le moment, nous avons l’obligation de tout faire et de tout mettre en œuvre. C’est un pari. Il nous faut absolument tenir ce pari.
Et si le pari n’est pas tenu, une nouvelle prorogation de la transition est-elle envisageable ?
Il nous faut, ensemble, voir avec les partenaires techniques et financiers, la communauté internationale et les forces vives de la nation, quelles solutions envisager.
Parmi les grands chantiers de la transition, il y a la restauration de l’autorité de l’Etat et notamment sur le plan sécuritaire, ce qui passe par la montée en puissance des forces de sécurité intérieure (police et gendarmerie) et par la réhabilitation des forces armées centrafricaines (FACA). Sur ce point des FACA, dans quelle mesure la communauté internationale vous soutient-elle ?
En fait, quand on regarde les diverses résolutions des Nations unies, tout l’accent est mis sur la police et la gendarmerie. Quand on voit les mesures de confiance signées avecSangaris, il faut absolument appuyer et renforcer la police et la gendarmerie. Pourquoi cela ? Simplement parce qu’on a estimé que les FACA ne répondaient pas aux standards professionnels, que c’était une armée très ethnicisée qui ne répondait pas aux critères de compétence, qu’elle n’était pas républicaine, qu’elle a vécu beaucoup de chocs et qu’il fallait la restructurer. Seulement, nous avons 7 500 hommes, en attendant, qui sont là, qui ne sont pas utilisés et qui sont prêts à apporter leur contribution à la pacification du pays.
Nous avons ensemble convenu, avec la communauté internationale, qu’il ne fallait peut-être pas réhabiliter ces FACA avec ses insuffisances, qu’il fallait, certes restructurer dorénavant une nouvelle armée républicaine professionnelle, mais en attendant, utiliser quand même ces hommes qui sont payés et qui ne demandent qu’à travailler.
La population centrafricaine a fortement demandé le retour des FACA mais nous, nous avons des engagements. Nous sommes tenus par les résolutions des Nations unies. Alors, nous avons demandé de commencer progressivement à reconstituer une nouvelle armée. Nous sommes arrivés à ce qu’on a appelé un Bataillon d’intervention territoriale (450 éléments) en attendant qu’au Forum de Bangui, on définisse la vision, le format que nous voulons de notre armée et les critères pour le recrutement dans la nouvelle armée.
Vous plaidez, régulièrement, pour la levée de l’embargo sur les armes qui pèse sur la Centrafrique. Que vous ont dit les ambassadeurs du Conseil de sécurité qui sont venus vous rendre visite, il y a quinze jours ?
Je me suis tout d’abord réjouie quevingt-cinq ambassadeurs du Conseil de sécurité soient venus en République centrafricaine. Pour nous, cela a été un honneur parce que d’abord cela a attiré l’attention du monde. Cela veut dire qu’il y a un intérêt manifesté par la communauté internationale pour ce pays-là. Cela a été l’occasion pour nous, d’expliquer les avancées et les efforts déployés. Nous avons également profité de leur séjour pour attirer leur attention sur nos attentes et notamment sur l’embargo.
Il n’y a pas que l’embargo sur les armes, il y a l’embargo économique, il y a également le processus de Kimberley (les diamants) qui nous crée quelques préoccupations. Et sans une levée, au moins partielle, de l’embargo sur ce processus, nous avons des ressources qui seraient difficilement mobilisables pour nous permettre de faire face à nos obligations régaliennes.
S’agissant de l’embargo sur les armes, nous avons expliqué qu’il est inadmissible de renforcer nos forces de défense et de sécurité intérieure sans leur donner un armement. En les envoyant ainsi sans armes, ils constituent, en fait, de la chair à canon. Nous pensons qu’il n’est pas indiqué, si nous voulons restaurer l’autorité de l’Etat sur le terrain, de les envoyer sans armement. Je pense que la dernière résolution 2196 a laissé une porte ouverte pour obtenir un allègement de cet embargo puisque dans les zones où nous avons pu dégager les groupes armés dans les bâtiments administratifs, nous avons ensemble convenu de donner quelques moyens en armes aux forces de défense et de sécurité.
Parmi les défis de la transition, il y a également la lutte contre l’impunité et l’arme choisie notamment, c’est une Cour pénale spéciale, une juridiction mixte composée de juges internationaux et centrafricains. Pourquoi avoir choisi cette formule ?
C’est une formule qui vient seulement après. Notre volonté de lutter contre l’impunité s’est manifestée d’abord par la réhabilitation des commissariats, des brigades de gendarmerie, des prisons, des palais de justice... C’était très important, car pour respecter la loi, il faut commencer par avoir peur du gendarme. Ainsi, avec l’appui de la communauté internationale, nous avons vraiment équipé la police et la gendarmerie en moyens de travail, en moyens mobiles pour leur permettre d’être davantage présents sur le terrain pour lutter efficacement contre le banditisme.
Cela dit, nous avons également des crimes graves commis à grande échelle et qui relèvent du droit international humanitaire. Dans le cadre des accords avec les Nations unies, nous avions signé un mémorandum pour que, en cas d’insuffisance des capacités des autorités centrafricaines à faire face à la lutte contre l’impunité, la communauté internationale devait être à ses côtés, en appui. Nous avons pensé que la mise en place d’une structure pénale mixte était importante pour connaître les crimes les plus graves qui se commettraient en République centrafricaine puisque la mise en place d’un tribunal pénal spécial pour la République centrafricaine était compliquée.
Est-ce que les amnisties sont totalement à exclure ?
A chaque processus de réconciliation, nous avons toujours commencé par prendre des mesures d’amnistie générale. Cela fait vingt ans que le cycle de violence ne s’est pas arrêté. Ce sont des initiatives, en fait, qui ne payent pas, mais, par contre, qui frustrent les victimes. C’est vrai, nous voulons aller vers le dialogue, nous voulons aller vers la réconciliation, mais pas au prix de l’impunité.
Au sein des groupes armés, beaucoup attendent un programme de désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR) avant de déposer les armes. Quand aura-t-il lieu ?
L’ancienne stratégie DDR qui avait été mise en place n’a pas atteint ses objectifs. Nous avons pensé qu’il fallait repenser la nouvelle stratégie DDR qui a d’ailleurs déjà bien avancé. Nous l’avons élaborée. Il nous appartient maintenant de voir ensemble, avec les groupes armés et avec la communauté internationale, si la nouvelle stratégie élaborée correspond bien aux attentes et à la nouvelle situation sécuritaire. Vous avez raison de dire que les groupes armés attendent cela impatiemment. Il faut leur donner des opportunités. Il faut que ces groupes armés se rendent compte qu’il y a un avenir, après avoir déposé les armes. Donc, je pense que dans les jours à venir, nous allons réfléchir sur cette nouvelle stratégie DDR en amont du Forum.
Comment la transition peut-elle aider à relancer la machine économique ?
Pour commencer, la moitié des salariés sont des agents et des fonctionnaires de l’Etat. Chaque agent et chaque fonctionnaire de l’Etat nourrit à peu près dix personnes. Quand nous sommes arrivés à la tête de la transition, notre défi était d’assurer le paiement régulier des salaires, pensions et bourses.
Cela dit, nous avons également du personnel employé par le secteur privé. Ce dernier a beaucoup souffert. Beaucoup d’entreprises ont perdu leur outil de travail. Maintenant, nous essayons d’accompagner ces entreprises pour reconstituer leur outil de travail. Ce n’est pas facile.
Nous essayons également de ramener la sécurité, mais il faut reconnaître qu’il y a une très, très grande pauvreté dans le pays. Et si nous sommes arrivés à ce niveau de crise, c’est parce qu’en fait, la moitié de la population centrafricaine vit dans la détresse, vit dans une grande pauvreté parce qu’il n’y a pas suffisamment d’emplois. Nous nous battons avec la communauté internationale pour essayer de mettre en place des travaux à haute intensité de main d’œuvre.
Plus de 400 000 Centrafricains vivent toujours réfugiés à l’étranger, à peu près autant de déplacés à l’intérieur du pays. Quel message avez-vous pour eux ?
A l’occasion des consultations populaires à la base, nous avons envoyé des équipes pour aller auprès de ces populations et leur apporter un message de soutien, d’espoir et leur dire notre compassion, mais aussi notre fierté de les voir résister autant face à cette crise. Et c’est pour cela que sur le plan humanitaire, nous lançons souvent un appel aux humanitaires pour leur dire de dépasser le stade de l’urgence alimentaire pour dorénavant organiser véritablement le retour des personnes déplacées et réfugiées, mais avec un appui pour leur réinstallation. Qu’on essaye plutôt de réfléchir à des kits pour leur permettre de se reconstruire.
Est-ce que Michel Djotodia et François Bozizé peuvent revenir en Centrafrique ?
Il y a eu des réactions et des positions par rapport à cette question. Une fois qu’on aura vu quelle est la tendance généralement exprimée pour la participation – ou pas – de ces personnalités, nous en tirerons toutes les conséquences. Cela dit, je rappelle simplement que la résolution 2196 et le dernier GIC ont insisté sur la nécessité de respecter le régime des sanctions imposé par le Conseil de sécurité qui a prévu un déplacement limité ou surveillé de certaines personnes, ainsi que la restriction de leurs biens. Nous allons tenir compte de tout cela. Nous sommes en train d’exploiter les résultats de ces consultations populaires qui vont définir les critères de participation. Nous verrons, à ce moment-là, qui participera ou qui ne participera pas au Forum de Bangui.
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