Tchad, 3 février 2008 : Ibni Oumar Mahamat Saleh est enlevé par les forces de sécurité, à l'issue de l'attaque rebelle sur Ndjamena. Depuis, sa famille est sans nouvelle de celui qui était alors le porte-parole de l'opposition tchadienne, et secrétaire général du Parti pour les libertés et le développement. Au Tchad, la justice a rendu un non-lieu, mais en juin 2013, à la suite d’une plainte déposée par les enfants de l'opposant, une enquête a été ouverte en France. « On sait que ça va prendre du temps et qu’il y a des contraintes politiques, la France étant un allié stratégique du Tchad en ce moment, explique Hicham Ibni Oumar Mahamat, le fils aîné de l'opposant tchadien. Mais on sait qu’à un moment ou un autre, on pourra basculer et nous dire la vérité. »
Hicham Ibni Oumar Mahamat espère qu’après les nombreux échanges entre l’armée française, le Quai d’Orsay, et l’ambassadeur de France au Tchad de l’époque, des documents ou des écoutes pourraient ressortir, qui puissent apporter un début de réponse à ses questions. « Le député Gaëtan Gorce et Jean-Pierre Sueur ont demandé en 2011 une déclassification des documents diplomatiques », ajoute-t-il,. Mais, pour le moment, il n’y a «pas de réponse du gouvernement […] On pensait que le vent tournerait en 2012, mais ça n’a pas été le cas. Mais nous sommes patients, et on attend. Nous sommes encore jeunes. Ces choses-là prennent des vingtaines d’années. On le sait et on attendra. Nous, ce qui nous intéresse vraiment, c’est faire notre deuil. »
Osange Silou-Kieffer: « Comme oiseau arrêté en plein vol »
Alors qu'il enquêtait sur la filière cacao en Côte d'Ivoire, le journaliste Guy-André Kieffer a été kidnappé le 16 avril 2004. Onze après, rien n’a bougé côté français. À Abidjan, la justice a inscrit le dossier à la cellule spéciale d'enquête sur des crimes de la crise post-électorale. Depuis cet enlèvement Osange Silou-Kieffer, sa femme se dit « complètement possédée par cette disparition, et les questions qu’on se pose, et le désir de savoir ce qui lui est arrivé, et où il est passé. Je prends souvent l’image où l’on est comme oiseau arrêté en plein vol. On fait du sur place parce que cette histoire vous empoisonne la vie. »
Osange Silou-Kieffer refuse toujours de croire que son mari est mort tant qu'elle n'a pas de preuves. « Vous ne pouvez pas faire le deuil, affirme-t-elle, elle aussi, parce que vous n’avez pas la certitude qu’il a été tué, vous n’avez pas de corps, pour lui rendre les hommages qu’il mérite. Et puis vous êtes aussi […] possédée par une grande colère. Guy André n’était pas l’ennemi de l’Afrique, il n’y avait aucune raison que des Africains aient attenté à sa vie, ou en tout cas à sa liberté. Il y a un manque, quelque chose qui s’est cassé, et c’est très compliqué à gérer. »
Augustin Cyiza, un cas emblématique au Rwanda
Au Rwanda, les cas de disparitions forcées ne sont pas rares. L’un des cas les plus emblématiques est celui de l'ancien président de la Cour de cassation, Augustin Cyiza. Le 23 avril 2003, il est enlevé à Kigali et plus personne n’entend parler de lui. Dix ans plus tard, juste avant la prescription de ce crime, la famille d'Augustin Cyiza en exil avait déposé plainte contre X au Rwanda pour enlèvement, assassinat et torture attribuée aux services de sécurité rwandais. Une plainte restée depuis sans suite.
« C’était quelqu’un de vraiment important, de vraiment indépendant, se souvient Carina Tersakian chercheuse pour HRW, qui a bien connu Augustin Cyiza. Il avait fait plusieurs carrières, militaire, juge, et défenseur des droits humains. Il n’avait pas eu peur de dénoncer des exactions au Rwanda. » La chercheuse se souvient du retentissement de sa disparition, « très choquante ». « Beaucoup de gens ont été bouleversés par cette nouvelle et surtout par le silence qui a suivi pendant des années […] Tout le monde suppose qu’il est mort, mais il n’y a pas d’information sur ce qui s’est réellement passé. » Mais Carina Tersakian rappelle que des dizaines de cas plus récents, en 2014, ont été signalés à l’organisation. Un rapport a été publié alors, et « peu de temps après un certain nombre de ces personnes sont réapparues, mais en détention. D’autres n’ont toujours pas réapparu. » HRW rappelle régulièrement aux autorités rwandaises qu'elles ont l'obligation d'enquêter, ce qui le plus souvent n'est pas le cas aujourd'hui.
Banjul : un journaliste disparaît
En 2006, lors d'un sommet de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest organisé à Banjul, le journaliste gambien Ibrahima Mané disparaît. Il venait de donner une interview dans laquelle il dénonçait les violations des droits de l'homme dans son pays. Depuis, personne n'a jamais revu le journaliste. Selon Aboubacry Mbodj, président de la la Rencontre africaine pour la défense des droits de l'homme, « diverses sources d’information font état de son enlèvement par des éléments supposés appartenir au régime de Yahya Jammeh parce qu’il a été pris chez lui pour aller répondre à un interrogatoire avec un véhicule 4x4 qui est venu le prendre. Et depuis qu’il a été pris, il n’est jamais retourné sur son lieu de travail et dans sa famille. Jusqu’au moment où je vous parle, tout le monde s’interroge sur sa disparition. J’appelle la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest, l’Union africaine et les Nations unies, pour exercer la pression sur le pouvoir de Yahya Jammeh afin que la lumière soit faite sur cette affaire-là. Il y a d’autres cas, il n’est pas le seul. On risque d’assister à de graves violations des droits humains qui risquent de compromettre aujourd’hui la stabilité et la paix en Gambie ».
Le 21 décembre 2010, l'Assemblée générale des Nations unies, dans une résolution, s’est dite profondément préoccupée par la multiplication dans diverses régions du monde des disparitions forcées ou involontaires, y compris les arrestations, détentions et enlèvements, lorsque ces actes s’inscrivent dans le cadre de disparitions forcées ou pouvant y être assimilés. Elle souligne également le nombre croissant d’informations faisant état de cas de harcèlement, de mauvais traitements et d’intimidation des témoins de disparitions ou des familles de personnes disparues. Dans la même résolution, l’Assemblée a décidé de proclamer le 30 août Journée internationale des victimes de disparition forcée, célébrée depuis 2011.
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