Alors que la situation évolue d'heure en heure en Libye, l’ancien ambassadeur français en Libye, Patrick Haimzadeh, nous éclaire sur les difficultés qui peuvent se poser maintenant aux rebelles dans la capitale et sur les soutiens dont ils peuvent bénéficier. Dans un entretien à RFI, Patrick Haimzadeh qui a été en poste à Tripoli de 2001 à 2004, aborde aussi les raisons pour lesquelles Mouammar Kadhafi s'accroche et de quelles protections il bénéficie encore. Patrick Haimzadeh a publié il y a quelques mois Au coeur de la Libye de Kadhafi aux éditions JC Lattès.
RFI : Patrick Haimzadeh, les insurgés sont entrés hier soir à Tripoli par l’ouest. Est-ce que le soutien de l’Otan a été décisif ?
Patrick Haimzadeh : C’est toujours difficile à dire. En tout cas, ce que l’on peut dire, c’est que les zones qui ont été quand même les plus bombardées par l’Otan, c’est la région de Brega et de Misrata. Et en fait, la percée n’est pas venue de ces deux zones, parce que je pense que tout simplement, ce que j’ai dit d’ailleurs depuis longtemps, il revenait à des gens vraiment de l’Ouest, de prendre Tripoli. Et donc c’est le cas pour la tribu des Zintan, qui a pris soin de recruter un certain nombre de gens originaires des trois villes de l’ouest de Tripoli, et également de Tripoli, qui sont ces gens qui en fait ont constitué les avant-gardes, des unités qui sont entrées dans les villes respectives pour les libérer.
RFI : Alors, même si ce sont des gens de l’ouest qui sont entrés dans Tripoli, ils ne l’ont fait qu’au bout de six mois, sept mois. Comment expliquer aujourd’hui la rapidité de leur progression ?
PH : Ce qu’il faut voir d’abord, c’est un processus assez long. Il faut savoir que la grande tribu qui est à l’origine de cette offensive déterminante, c’est une tribu arabe, de la montagne berbère, qui s’appelle les Zintan, qui au départ était dans un processus, je dirais, de négociation avec Kadhafi. Ils ne sont pas entrés tout de suite en rébellion. Il y a eu d’abord une phase de neutralité, puis d’opposition non armée, comme c’est souvent le cas dans le système bédouin, où finalement on ne prend les armes que quand toutes les autres voies de négociations et de discussion ont été écartées.
Et donc, cette tribu des Zintan est vraiment entrée dans la lutte armée au mois d’avril, début avril. Donc il aura fallu le temps, effectivement, pour avoir un rapport de force en leur faveur, d’abord dans la montagne qu’on appelle improprement « montagne berbère », puisqu’il n’y a pas que des Berbères. Et ensuite, ce que je disais aussi, c’est qu’ils ont recruté des gens des villes côtières et aussi de la ville de Garyane qu’ils ont armés, équipés et constitués en unités, pour ensuite les renvoyer dans leur ville d’origine, pour justement les libérer.
RFI : Mouammar Kadhafi a dit hier soir qu’il ne se rendrait pas, une nouvelle fois… Cela ne vous étonne pas ?
PH : Non, je pense que Kadhafi c’est quelqu’un qui se reconnaît dans les révolutionnaires des années 60. Ces modèles, des gens comme Che Guevara ou Fidel Castro, qui effectivement, ont fait la preuve de leur jusqu’au-boutisme. Donc de ce côté-là ce n’est guère surprenant.
Maintenant s’agissant des prochaines heures, on peut imaginer le scénario. Le premier ce serait qu’il se cache effectivement, quelque part dans Tripoli. Là, il ne manque pas de cachettes, y compris souterraines, pour organiser la bataille de Tripoli – entre guillemets – ou alors, si ne n’est déjà fait, qu’il quitte Tripoli pour se cacher dans des zones qui lui sont restées fidèles jusqu’à présent dans le centre et dans le sud de la Libye. Auquel cas, effectivement, ça compliquerait la tâche de l’insurrection, puisque symboliquement, tant que l’image, disons, du régime kadhafiste, c'est-à-dire Kadhafi lui-même, ne serait ni prisonnier ni éventuellement décédé, l’inconnu demeurerait et ça voudrait dire qu’il pourrait y avoir encore des partisans qui se battent pour lui.
RFI : Comment peut-il concrètement encore résister aujourd’hui ? Est-ce qu’on sait qui est toujours avec lui ? Est-ce qu’il y a encore un premier cercle qui le protège ?
PH : A priori, il y a eu effectivement des défections, mais les plus grandes défections se sont faites les premières semaines. Là, ces derniers jours, c’était principalement des technocrates. Par exemple l’adjoint du ministre de l’Intérieur. Maintenant, les figures emblématiques de son régime et son premier cercle, c'est-à-dire les amitiés historiques, qui datent de la Révolution de 1969, ne l’ont pas lâché. Et a priori, leur sort est tellement intimement lié à Kadhafi qu’il y a peu de chance qu’ils le lâchent maintenant.
RFI : Qu’est qui va être décisif alors pour la victoire des insurgés ? Cela va être vraiment la fin, le départ ou l’arrestation de Mouammar Kadhafi ? C’est ça, qui sonnera la victoire ?
PH : Oui, je pense que ça pourrait être le signal de la victoire, puisque c’était quand même l’objectif de cette insurrection. Maintenant, on peut craindre aussi que, même une fois qu’il y ait ce signal annoncé, il continue à y avoir la population en armes, qui les garde et qui ne voit pas d’un bon œil, bien sûr, le changement de régime. Donc il se peut qu’il y ait un niveau de violence résiduelle qui subsiste encore pendant plusieurs semaines…
RFI : Les insurgés ont annoncé avoir capturé Seif al-Islam, le fils de Mouammar Kadhafi. Est-ce que cela ne veut pas dire que le compte à rebours est vraiment lancé, que c’est la fin du régime actuel ?
PH : C’est une partie de l’équation. De toutes façons, la capture de Seif ne remplacera pas la capture du colonel Kadhafi lui-même, puisque c’est quand même lui, le symbole le plus emblématique de ce régime.
Entretien RFI réalisé par Marie-Pierre Olphand
RFI : Patrick Haimzadeh, les insurgés sont entrés hier soir à Tripoli par l’ouest. Est-ce que le soutien de l’Otan a été décisif ?
Patrick Haimzadeh : C’est toujours difficile à dire. En tout cas, ce que l’on peut dire, c’est que les zones qui ont été quand même les plus bombardées par l’Otan, c’est la région de Brega et de Misrata. Et en fait, la percée n’est pas venue de ces deux zones, parce que je pense que tout simplement, ce que j’ai dit d’ailleurs depuis longtemps, il revenait à des gens vraiment de l’Ouest, de prendre Tripoli. Et donc c’est le cas pour la tribu des Zintan, qui a pris soin de recruter un certain nombre de gens originaires des trois villes de l’ouest de Tripoli, et également de Tripoli, qui sont ces gens qui en fait ont constitué les avant-gardes, des unités qui sont entrées dans les villes respectives pour les libérer.
RFI : Alors, même si ce sont des gens de l’ouest qui sont entrés dans Tripoli, ils ne l’ont fait qu’au bout de six mois, sept mois. Comment expliquer aujourd’hui la rapidité de leur progression ?
PH : Ce qu’il faut voir d’abord, c’est un processus assez long. Il faut savoir que la grande tribu qui est à l’origine de cette offensive déterminante, c’est une tribu arabe, de la montagne berbère, qui s’appelle les Zintan, qui au départ était dans un processus, je dirais, de négociation avec Kadhafi. Ils ne sont pas entrés tout de suite en rébellion. Il y a eu d’abord une phase de neutralité, puis d’opposition non armée, comme c’est souvent le cas dans le système bédouin, où finalement on ne prend les armes que quand toutes les autres voies de négociations et de discussion ont été écartées.
Et donc, cette tribu des Zintan est vraiment entrée dans la lutte armée au mois d’avril, début avril. Donc il aura fallu le temps, effectivement, pour avoir un rapport de force en leur faveur, d’abord dans la montagne qu’on appelle improprement « montagne berbère », puisqu’il n’y a pas que des Berbères. Et ensuite, ce que je disais aussi, c’est qu’ils ont recruté des gens des villes côtières et aussi de la ville de Garyane qu’ils ont armés, équipés et constitués en unités, pour ensuite les renvoyer dans leur ville d’origine, pour justement les libérer.
RFI : Mouammar Kadhafi a dit hier soir qu’il ne se rendrait pas, une nouvelle fois… Cela ne vous étonne pas ?
PH : Non, je pense que Kadhafi c’est quelqu’un qui se reconnaît dans les révolutionnaires des années 60. Ces modèles, des gens comme Che Guevara ou Fidel Castro, qui effectivement, ont fait la preuve de leur jusqu’au-boutisme. Donc de ce côté-là ce n’est guère surprenant.
Maintenant s’agissant des prochaines heures, on peut imaginer le scénario. Le premier ce serait qu’il se cache effectivement, quelque part dans Tripoli. Là, il ne manque pas de cachettes, y compris souterraines, pour organiser la bataille de Tripoli – entre guillemets – ou alors, si ne n’est déjà fait, qu’il quitte Tripoli pour se cacher dans des zones qui lui sont restées fidèles jusqu’à présent dans le centre et dans le sud de la Libye. Auquel cas, effectivement, ça compliquerait la tâche de l’insurrection, puisque symboliquement, tant que l’image, disons, du régime kadhafiste, c'est-à-dire Kadhafi lui-même, ne serait ni prisonnier ni éventuellement décédé, l’inconnu demeurerait et ça voudrait dire qu’il pourrait y avoir encore des partisans qui se battent pour lui.
RFI : Comment peut-il concrètement encore résister aujourd’hui ? Est-ce qu’on sait qui est toujours avec lui ? Est-ce qu’il y a encore un premier cercle qui le protège ?
PH : A priori, il y a eu effectivement des défections, mais les plus grandes défections se sont faites les premières semaines. Là, ces derniers jours, c’était principalement des technocrates. Par exemple l’adjoint du ministre de l’Intérieur. Maintenant, les figures emblématiques de son régime et son premier cercle, c'est-à-dire les amitiés historiques, qui datent de la Révolution de 1969, ne l’ont pas lâché. Et a priori, leur sort est tellement intimement lié à Kadhafi qu’il y a peu de chance qu’ils le lâchent maintenant.
RFI : Qu’est qui va être décisif alors pour la victoire des insurgés ? Cela va être vraiment la fin, le départ ou l’arrestation de Mouammar Kadhafi ? C’est ça, qui sonnera la victoire ?
PH : Oui, je pense que ça pourrait être le signal de la victoire, puisque c’était quand même l’objectif de cette insurrection. Maintenant, on peut craindre aussi que, même une fois qu’il y ait ce signal annoncé, il continue à y avoir la population en armes, qui les garde et qui ne voit pas d’un bon œil, bien sûr, le changement de régime. Donc il se peut qu’il y ait un niveau de violence résiduelle qui subsiste encore pendant plusieurs semaines…
RFI : Les insurgés ont annoncé avoir capturé Seif al-Islam, le fils de Mouammar Kadhafi. Est-ce que cela ne veut pas dire que le compte à rebours est vraiment lancé, que c’est la fin du régime actuel ?
PH : C’est une partie de l’équation. De toutes façons, la capture de Seif ne remplacera pas la capture du colonel Kadhafi lui-même, puisque c’est quand même lui, le symbole le plus emblématique de ce régime.
Entretien RFI réalisé par Marie-Pierre Olphand
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