Le chef de la délégation nigérienne s’est rendu récemment à Paris. Il a déclaré sur RFI, il y a quelques jours, que les discussions achoppaient sur un problème d’interprétation de l’application de la loi minière nigériene de 2006, concernant en particulier le régime fiscal d’Areva au Niger. De quoi s’agit-il et quel est le problème ?
Anne-Sophie Simpère :
En fait, aujourd'hui, le problème principal, apparemment, serait qu’Areva ne veut pas se voir appliquer la loi minière de 2006, qui alourdirait sa charge fiscale.
Jusque-là, Areva était soumis à la loi en vigueur au moment de la signature des conventions, qui était la loi de 1993. Et, grâce aux conventions, il bénéficiait d’une stabilité fiscale. Ces conventions sont arrivées à terme au 31 décembre 2013, donc l’Etat du Niger considère que pour les prochaines, la loi de 2006 peut s’appliquer.
Sauf qu'Areva invoque le code minier communautaire de l’UMOA [Union Monétaire Ouest Africaine, ndlr], qui est entré en vigueur en 2003 et instaurait une stabilité fiscale sur la durée des titres miniers. Areva met donc en avant, non pas cette convention minière, mais son titre minier, qui est un document qui a été signé en 1968 pour une période de 75 ans. Et Areva considère qu’il bénéficie d’une stabilité fiscale jusqu’en 2043 et qu’à ce titre, on ne peut pas lui appliquer, la nouvelle loi minière de 2006.
Stabilité fiscale, cela veut dire qu'Areva ne veut pas changer de régime fiscal actuellement ?
Tout à fait. Ce qui est un énorme problème pour le Niger, puisque non seulement la loi minière de 2006 lui permettrait de bénéficier de davantage de revenus fiscaux, mais parce qu’en plus, Areva bénéficie aujourd’hui d’un nombre d’exonérations fiscales qui fait perdre au Niger 15 à 20 milliards de francs CFA, selon le ministre des Mines. Or, ce sont des ressources dont le pays a besoin pour son développement.
Quel est ce régime fiscal, précisément ?
Il y a des exonérations sur les droits de douane, de TVA, sur les taxes sur les carburants. Il y a une provision pour reconstitution de gisements, qui permet à la société que 20 % de ses bénéfices ne soit pas soumis à l’impôt sur les revenus. Il y a donc toute une série de mesures qui permettent de réduire la charge fiscale d’Areva.
Et Areva, de son côté, dit que la répartition des revenus de l’exploitation de l’uranium - 70 % pour l’Etat du Niger, 30 % pour Areva - est juste.
Oui. C’est très difficile de se lancer dans une discussion sur les chiffres avec Areva, puisque la société donne assez peu d’informations. Je pense que le chiffre de 70 % qu’ils invoquent est un chiffre qui se base sur ces dernières années, quand, il est vrai, les revenus pour le Niger ont plutôt augmenté. Mais ce qui est important, c’est qu'il s'agit d'un chiffre en rapport au bénéfice des sociétés.
Or, il est possible que les bénéfices des sociétés soient assez bas. Il y a eu une augmentation des charges, qui ont doublé ces cinq dernières années. On aimerait bien comprendre pourquoi l’exploitation est devenue aussi chère. Pour un groupe international, il est possible de faire baisser les bénéfices dans un pays ou de les faire augmenter dans un autre. Et c'est vrai que le manque de transparence de l’exploitation des sociétés ne permet pas de dire aujourd’hui pourquoi la Somaïr et la Cominak sont aussi peu rentables.
Du côté de l’Etat du Niger, les revenus de l’uranium ont augmenté récemment.
Les revenus de l’uranium pour le Niger ont augmenté depuis 2007, puisqu’il y a eu une revalorisation du prix de l’uranium et des modifications dans la répartition du produit. C’est quand même beaucoup lié au fait que le président Tandja a mis une énorme pression sur Areva, en distribuant des permis d’exploration, en menaçant de laisser le gisement d'Imouraren aux Chinois. Cela s’est passé de manière absolument spontanée. Mais c’est vrai que depuis 2007, les revenus ont augmenté. Il faut quand même savoir qu’avant, ils étaient extrêmement faibles.
La production des mines d’Areva est toujours arrêtée dans la région d’Arlit. Areva parle de maintenance depuis quelques semaines, sans lien avec les négociations en cours. Quelles pourraient être les conséquences d’un arrêt prolongé de ces mines ?
Je n’ai pas d’information sur la situation des salariés pendant la maintenance. Mais on se pose des questions sur leur statut. Par ailleurs, c’est quand même un instrument de pression. C’est-à-dire que, faire des opérations de maintenance, alors qu’on est en plein dans des renégociations, c’est perçu par la société civile et, je pense, par certains décideurs nigériens, comme un moyen de pression sur le gouvernement.
Les conventions qui liaient Areva et l’Etat du Niger sont arrivées à échéance. Y a-t-il une forme de vide juridique dans les relations entre Areva et le Niger depuis ?
Non, il n’y a pas de vide juridique dans les relations entre Areva et le Niger, puisque le 27 décembre 2013, le Conseil des ministres nigérien a adopté un décret pour faire face à cette situation, par lequel ils ont donc décidé que, dans le cas d’un vide entre deux conventions – en tout cas où il n’y aurait pas une convention suivant directement à une autre – ce serait la loi générale qui s’appliquerait, en l’occurrence la loi de 2006.
A Oxfam, vous dénoncez l’opacité de ces négociations, de ces renégociations. Mais n’est-il pas normal que des négociations se déroulent porte close ?
Si c’était des négociations purement commerciales éventuellement. Mais là, en l’occurrence, ce sont quand même des négociations sur un régime fiscal. C'est-à-dire que n’importe quelle entreprise, citoyen, se voit appliquer un régime fiscal qui est une loi qui est débattue par le Parlement et qui est ensuite est disponible dans un code des impôts.
Donc, on se demande pourquoi une société minière aurait le droit de négocier ses impôts, une prérogative souveraine, sans aucun contrôle citoyen, sans aucun contrôle des parlementaires, par exemple.
Source : Rfi.fr
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