Les diamants rares traversent les âges, charriant avec eux moult anecdotes qui racontent la petite histoire, et parfois aussi la grande, comme le célèbre diamant maudit « Hope », ancienne possession des rois de France et actuelle pièce phare du Smithsonian Museum de Washington. Les diamants rares, et notamment les bleus, sont également un matériau majeur pour la science. La couleur bleue est par exemple due à la présence d'un élément chimique, le bore. « Les géologues adorent étudier ces diamants, parce qu'ils racontent l'histoire de notre Terre », rappelle sur la chaine américaine CBS Suzette Gomes, directrice du tailleur et revendeur américain de pierres précieuses Cora International.
Si Suzette Gomes a récemment fait le tour des plateaux télévisés, c'est qu'elle a précisément sous sa coupe un caillou de cette nature, vieux d'un milliard d'années, mais fraîchement sorti de terre et aussitôt taillé. Sa propre histoire hors-sol débute tout juste, mais déjà les superlatifs extravagants sont pléthore à son sujet. Son nom ? « Blue Moon Diamond », « la Lune bleue ». Caractéristiques : 12 carats seulement, mais un caillou d'une couleur hors norme ; un bijou sorti d'un diamant brut de 29,62 carats, et classé par le Gemological Institute of America (GIA) dans la catégorie IIb bleu « fancy vivid » sans défaut interne (IF).
Comprendre que le « Blue Moon », c'est la « crème de la crème » du monde des diamants, « une découverte extrêmement importante », et même « l'une des plus rares pierres découvertes récemment », selon un communiqué du Musée d'histoire naturelle de Los Angeles, qui a dévoilé vendredi 12 septembre le produit fini et l'exposera jusqu'en janvier 2015, avant qu'il ne soit vendu par Cora.
Plus original que le prestigieux « Hope » ?
La Française Eloïse Gaillou, conservatrice au département de minéraux et pierres précieuses du Musée d'histoire naturelle de Los Angeles, fait partie de ceux qui ont étudié le « Blue Moon » après sa taille. A l'Agence France-Presse (AFP), elle confirme qu'il s'agit ni plus ni moins d'une des pierres les plus importantes que l'on ait découvertes depuis 100 ans.
Dans un post de blog en anglais, elle relate photos à l'appui qu'à la lumière ultraviolette, « elle émet une lueur phosphorescente rouge-orange d'environ 20 secondes, alors que la plupart des diamants bleus montrent une phosphorescence bleuâtre courte. Seuls quelques autres diamants ont un tel éclat rougeâtre : citons le diamant " Hope "et le " Wittelsbach-Graff ", dont la phosphorescence dure une minute ! » Autrement dit, le « Blue Moon » se positionne au Panthéon des diamants, rien de moins.
Dans l'espoir de le revendre cher - assurément plusieurs dizaines de millions de dollars -, Suzette Gomes ne mâche pas ses mots. Pour elle, ce diamant est tout bonnement « historique ». C'est ce qu'elle explique à Bloomberg TV : « Son nom traduit combien son bleu est rare. Je n'avais jamais vu de pierre de cette couleur de ma vie. Je me sens privilégiée ; c'est le point culminant de ma carrière. » Auprès de l'AFP, Eloïse Gailloula confirme : la rareté du « Blue Moon » provient de sa couleur bleue, perçue comme pure, intense, d'une vivacité exceptionnelle, beaucoup plus saturée que le bleu gris du « Hope ». Pour tout dire, plus attrayante ? « Désolé de le dire, mais c'est le cas », lâche Mme Gomes.
Son groupe, Cora, est si sûr de son fait qu'il a déboursé la bagatelle de 25,6 millions de dollars pour récupérer le brut du « Blue Moon » en février dernier, avant de passer six mois à le tailler. Un travail ayant nécessité la confection d'environ trente répliques pour appréhender chaque inclusion - chaque imperfection - et parvenir au résultat le plus pur. « Je crois que c'est notre plus gros investissement jusqu'ici, explique Mme Gomes. Nous avions taillé des pierres plus grosses par le passé, mais nous n'avions jamais taillé de pierre de cette valeur. »
Vidéo : Sur Bloomberg TV, le «Blue Moon» décrypté (anglais)
Encore une pierre sortie du sol de Cullinan
Le caractère incontestable de la provenance du diamant « Blue Moon », à savoir la mine sud-africaine Cullinan, non loin de Pretoria, achève de rendre ce caillou « unique » en son genre. Car cette mine est tout simplement le sanctuaire mondial des diamants bleus, l'ancienne mine Premier ouverte en 1902 du temps du Transvaal. D'où sont sortis quelques-uns des joyeux les plus importants de l'histoire. Sur place, on trouve encore « un diamant bleu par an, en général une pierre beaucoup plus petite, de 2, 3 ou 4 carats », assure Mme Gomes à l'AFP.
« " Blue Moon " est le seul diamant connu venant d'Afrique du Sud qui montre une lueur rouge (à la lumière ultraviolette, NDLR),écrit Eloïse Gaillou. Les autres diamants dont l'origine géographique est connue et qui offrent une telle lueur venaient d'Inde (c'est le cas du diamant " Hope " ou du " Wittelsbach-Graff "). »
En février dernier, au moment de la vente du brut, Johan Dippenaar, directeur de Petra Diamond - mine Cullinan -, lançait : « Cette pierre est l’un des diamants bleus les plus importants jamais extraits. Elle marque un chapitre supplémentaire dans l’histoire de la mine Cullinan, qui est bien connue pour être la source de la plupart des diamants les plus spectaculaires du monde, y compris les deux diamants principaux des joyaux de la Couronne britannique (issus du diamant Cullinan, 3 106 carats, plus gros brut jamais découvert, NDLR), et qui est la plus importante source de diamants bleus très rares. »
Prochaine étape : la vente
Après son passage à Los Angeles, le « Blue Moon » sera vendu. Combien Cora peut-il en espérer ? En principe, un diamant gagne en valeur lorsqu'il est totalement incolore, nous apprend l'AFP, « sauf dans le cas d'une teinte exceptionnelle rose, jaune, rouge et surtout, bleue, la couleur la plus rare et la plus recherchée ». Dans cette dernière catégorie, seuls quelques diamants dépassent la taille du « Blue Moon ». Outre le « Hope » (hors catégorie), on dénombre par exemple également le « Heart of Eternity », estimé à 16 millions de dollars. Probablement insuffisant pour Cora, compte tenu de l'investissement de départ.
Mme Gomes ne donne pas d'estimation, mais elle assure que des diamants bleus moitié moins gros se sont déjà vendus pour 2 millions de dollars par carat. Si l'on multiplie par douze, cela donne 24 millions de dollars, auxquels il faut ajouter qu'en principe, plus une pierre est grosse, plus le carat vaut cher. Tout l'enjeu, pour Cora, est donc de faire monter les enchères pour espérer tirer profit de l'opération. Ensuite, la loterie décidera.
A titre indicatif, le site de la radio française RTL relate qu'en novembre 2013, le plus gros diamant orange au monde a été vendu pour 35,54 millions de dollars. Dans cet autre article, on apprend que le 13 mai 2014 à Genève, un diamant jaune de 100,09 carats, appelé « Graff Vivid Yellow », s'est vendu pour 14,5 millions de francs suisses (15,5 millions de dollars), commission comprise. Mais le même jour, un autre lot phare, le « Diamant de la Victoire » (31,34 carats), découvert en 1945 en Afrique du Sud, n'avait pas trouvé preneur.
Le lendemain, le 14 mai 2014, toujours à Genève, un diamant « bleu vivid sans défaut » un peu plus gros que le « Blue Moon » (et sobrement appelé « The Blue »), est parti pour la maison de haute joaillerie Harry Winston, propriété du groupe horloger Swatch, pour 21,4 millions de francs, soit près de 23 millions de dollars. Pour le « Blue Moon », verdict après janvier 2015, lorsque le caillou quittera la Californie pour tracer son propre chemin.
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