A Soumbédioune, les histoires varient d’une table à une autre, d’un lieu à un autre ou même d’une personne à une autre. Il faut se frayer un chemin entre les pirogues et les moutons bêlant bruyamment. “Ils appartiennent à des pêcheurs”, rétorque cette dame. A qui nous demandions d’où sortent ces animaux. Un chemin tortueux et brusquement c’est l’impasse deux pirogues amarrées côte à côte obstruent le passage. “Il faut faire un détourne ou sauter par dessus”, renseigne ce jeune pêcheur, torse nu gambadant à vive allure pour prêter main à son oncle qui vient juste d’accoster. “Une pêche abondante n’est-ce pas?”, nous demandâmes. “Oui”, répond le piroguier d’un ton sec. La pirogue est remplie de poissons de toutes sortes. De gros poissons. Ainsi, commence la décharge. Les revendeuses accourent voulant s’arracher le poisson frais. Une ambiance indescriptible! “Je pense que c’est une bonne chose d’avoir publié la liste des bateaux autorisés à pêcher dans nos eaux. C’est une décision courageuse. Nous, les pêcheurs artisanaux, sommes les plus touchés par cette surpêche des navires étrangers. Et nous faisons confiance à notre ministre de tutelle”, répond le propriétaire de la pirogue prise d’assaut.
Soumbédioune, un endroit avec des fortunes diverses
Notre itinéraire initial dévié et détourné. Nous tombons juste dans une cuisine de fortune en plein milieu de la plage de Soumbédioune. Ici officie la dame Lalia. Comme on l’appelle. Dans cette cuisine, une vieille table aux pieds disproportionnés qui chancelle à chaque mouvement de la personne qui y pose sa main. Des bancs de deux mètres de long tout autour, laissant un petit espace où se tient la maîtresse des lieux. “Pour manger du bon poisson frit, je viens ici. Je te la présente, c’est Lalia”, renseigne ce jeune pêcheur et d’un air taquin. Lalia souriant mais riant rarement. Elle n'est pas d'humeur à s’amuser avec ces jeunes, pourtant ce sont ses fidèles clients. “ Ils ne respectent personne c’est pourquoi. Je m’en tiens à les vendre du poisson et c’est tout”, nous dit Lalia.
Lalia, prèsque la cinquantaine, un teint tantôt jaune et noir certainement, dû à la fumée. Puisqu’elle travaille 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Debout, la poêle sur le feu, le poisson est en train de frire. Avant de le mettre dans l'huile, elle le roule dans la farine. Elle a devant elle un bocal rempli de farine. Après une quinzaine d'années dans les mêmes gestes et rituels, Lalia est rompue à la tâche. La cuisine, faite de vieux zincs et de débris de pirogues, est noircie par la fumée. Elle noue un foulard bleu autour de sa taille. Un foulard qui commence à perdre sa couleur. Tant il est tacheté. “Alors madame à combien se vend le poisson? Et vous avez quel genre de poisson”, nous demandâmes. “ Il y a du dorade, du lotte, du sompate, thiof. Il y en a à partir de 1000 FCFA”, renseigne-t-elle. Alors une pause s’imposait chez Lalia. C’était irrésistible.
Dans la foulée, une vendeuse et écailleuse de poisson nous interpelle. Elle est dynamique et pleine d’entrain. D’un physique frêle et d’un débit de parole saccadé, Nabou la trentaine jouit d’une popularité à Soumbédioune. En témoignent les incessantes sollicitations des clients venus s’approvisionner en poisson. “ je vous vois faire des photos et parler aux gens qu’est-ce que vous faites. C’est le ministre qui vous envoie. Si c’est lui, dites que nous l’encourageons à aller de l’avant. Mais nous les vendeuses de Soumbédioune avons besoin de soutien. Au fait, parmi les pirogues des pêcheurs traditionnels il y’en a qui n’ont pas de licence. Et nous interpellons à ce propos madame Diouf, notre ministre, s'adresse-t-elle à nous.
17 milles pirogues bénéficiaires de licence de pêche
Justement, les licences de pêche font jaser chez certains pêcheurs traditionnels. Ce sont 17 milles pirogues qui en bénéficient, laissant en rade plus de la moitié du parc piroguier. Une incongruité! Selon, Isseu Guèye, de l’Unapas de Ouakam. Tout en jaune habillée, la cinquantaine sonnée, elle s’inquiète beaucoup à ce propos. C’est d’ailleurs l’une des raisons de sa présence à cette rencontre. “Ceci m’inquiète. Comment nous autres allons faire. Du moment que toutes nos activités tournent autour de la pêche. Nos pirogues seront elles considérées comme frauduleuses lorsqu’elles passeront dans nos eaux ou même au-delà. Ce sont mes inquiétudes. Même si par ailleurs, il faut se réjouir des décisions courageuses du ministre de la pêche madame Diouf”, souffle madame Guèye.
“Les licences de pêche ont toujours été gérés dans une totale opacité. Cela fait des décennies que l’on cherchait à avoir la liste des bateaux autorisés chaque année. Mais c’est la première fois qu’on la met à notre disposition. C’est quand même un pas en avant”, reconnaît, le président de l’Unapas, Macoumba Guèye. Pour Biram Mbengue, ce jeune pêcheur, c'est rassurant de publier une liste de bateaux étrangers autorisés à pêcher dans les eaux sénégalaises. “Mais la vraie question est : à qui appartiennent ces navires. Puisque la plupart des noms Sénégalais figurant sur la liste ne disposent pas de bateaux de pêche. C’est opaque. Et tout cela mérite des éclaircissements”, fulmine-t-il. “Bref”, poursuit-il, “ en ce qui me concerne, je ne dispose que d’une pirogue et qui ne fait pas partie des 17 mille autorisées à pêcher. Et je ne suis pas le seul dans cette position”. Comme Biram, Mbaye est lui aussi propriétaire d’une pirogue. N’ayant pas encore obtenu sa licence de pêche.
L’aire marine de Soumbédioune constamment agressée
Soumbédioune est l’un des plus vieux sites traditionnels de pêcheurs de Dakar. Ce qui faisait sa réputation d’antan sont l’abondance et la variété de poissons que l’on y capturait. Aujourd'hui, tout semble conjugué au passé. Les plus vieux s'accrochent encore aux souvenirs. La belle époque! Comme on dit. Et c’est avec un regard lointain fixant droit à l'îlot Sarpan que le vieux Diop, pêcheur, nous narre cette belle époque. “J’ai 70 ans. A mes 20 ans, Soumbédioune était encore ce qu’il était. Je veux dire qu’à l’époque la pêche nourrissait le pêcheur. On pêchait juste après l’île et l’on revenait la pirogue remplie de poisson de toutes sortes. L'île que vous apercevez servait de lieu de reproduction aux poissons.En ces temps, elle n’était pas aussi agressée”. Le vieux Diop d’une taille imposante, le regard vif. Un nez et des yeux justement bien posés sur son visage. Un grand boubou gris lui couvrant tout le corps. Ses gros bras renseignent bien sur sa force de jeunesse. Ces mains tendues, l'index pointant du doigt le grand bleu. Il continue, d’une voix chevrotante, “les temps ont changé, les temps ont changé et tout a changé”.
Mamadou Guèye de l’Unapas Soumbédioune ne tempère pas sa colère contre ses collègues pêcheurs. “ Nous, pêcheurs, sommes les principaux fossoyeurs de notre milieu marin. Nous avons détruit l’îlot Sarpan. Ce lieu servait d’espace de reproduction. Mais il y a des pêcheurs qui allaient poser leur filets dans les grottes où se reproduisent les poissons et les capturer. Ce qui fait que l’espèce ne peut plus se reproduire. Aujourd’hui, à Soumbédioune nous sommes confrontés à la rareté de poisson”. Babacar Diop, jeune pêcheur, abonde dans le même sens.
“ Il faut qu’on se dise la vérité entre nous. Il y a de ces pratiques dans la pêche qui sont à bannir. Ici, il y a des pêcheurs qui utilisent des mines, des filets non conventionnels avec de petites mailles (des filets que nous appelons félé félé). C’est strictement interdit. De telles pratiques doivent désormais être conjuguées au passé”, fait-il savoir. Cet îlot était à l’époque sous la surveillance du service des eaux et forêts. Leur présence dissuade les pêcheurs mais depuis leur départ suite à des incidents malheureux entre eux et les pêcheurs de Soumbédioune. L’îlot Sarpan est devenu une zone de non loi. “Nous en sommes conscients. Nous sommes en train de remuer ciel et terre pour qu'ils reviennent”, a dit Mamadou Guèye de l’Unapas de Soumbédioune.
Soumbédioune, situé sur la Corniche Ouest est de par sa position un lieu très fréquenté. Ce site traditionnel de pêcheurs est un endroit au milieu de la modernité de Dakar. Même avec la raréfaction du poisson due à plusieurs facteurs, Soumbédioune continue de jouer son rôle de marché au poisson dans la capitale sénégalaise. Après s’être prononcés sur les différents problèmes de leur secteur, les pêcheurs de Soumbédioune ,sollicitent la livraison de leur nouveau quai de pêche. Ce joyau qui devait être livré en février 2018 est toujours en attente.
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