La junte nigérienne vient de procéder aux premières arrestations de barons de l’ancien régime. Motif : des actes de subversion contre le nouveau pouvoir. Il y aurait aussi des fautes de gestion puisque de l’avis même du nouveau ministre de l’Intérieur, ces personnalités "traînent des casseroles". Mais, selon Ousmane Cissé, "s’il s’avère qu’il n’y a rien à leur reprocher, ils seront libérés". Des propos qui confirment que depuis son avènement au pouvoir, la junte manie avec habileté la carotte et le bâton.
La méthode d’approche adoptée par la junte est remarquable. En effet, le commandant Salou Djibo et ses compagnons évoluent avec tact, sans empressement, en s’appuyant sur des rapports d’enquêtes minutieuses. Avec précaution, ils avancent, sans amateurisme. Sachant qu’ils jouent leur crédibilité, les nouveaux dirigeants nigériens ne laissent rien au hasard. Jusque-là, ils auront en tout cas fait preuve de beaucoup de maturité dans la gestion des affaires publiques. Cela est à l’honneur de l’armée nigérienne qui montre qu’elle a bien tiré leçon du passé. La stratégie militaire aidant, la junte se dévoile progressivement, tout en évitant de prêter le flanc. En attendant que les structures envisagées se mettent en place, elle tisse sa toile, opère sans grand bruit, rassurant les uns mais alarmant les autres.
Ainsi, les jeunes prétoriens de Niamey ne voudraient pas donner le sentiment qu’ils se livrent à une chasse aux sorcières. Aussi le ministre de l’Intérieur et de la sécurité, a-t-il tenu à préciser que c’est après plusieurs rapports concordants que la police a décidé de passer à la vitesse supérieure. Parmi la dizaine de personnes détenues, figurent deux anciens ministres : ceux des Finances, Ali Mahamane Lamine Zène, et de la Justice, Garba Lompo. Egalement, deux puissants responsables de sociétés d’Etat et d’économie mixte : le directeur général de la Société générale d’électricité (Nigelec), Ibrahim Foukori, et Seyni Salou de la Société des patrimoines des eaux du Niger (SPEN). D’autres interpellations sont attendues.
Il reste qu’à propos des tentatives de subversion, l’on ignore encore ce qui est reproché exactement aux personnes détenues dans les locaux de l’école de police de Niamey. Y aurait-il des liens entre les personnalités compromises et des éléments de l’armée nigérienne ou même des personnes séjournant à l’extérieur du pays ? S’agissant aussi des problèmes de gestion, serait-il question de détournements de deniers publics ? De blanchiment d’argent ? De contrats douteux, de marchés frauduleux ou de virements suspects ? Serait-on en présence d’un réseau de faussaires ou de trafiquants de tous genres ? Il appartient à la junte de faire vite afin que la justice situe mieux l’opinion. Dans l’intervalle, il est bon de rappeler que les intéressés bénéficient de la présomption d’innocence jusqu’à preuve du contraire. En les maintenant dans les locaux de l’école de police, la junte voudrait peut-être signifier par là qu’elle ménage ces puissants d’hier, en attendant que leur sort soit définitivement scellé.
Par ailleurs, la junte a opté pour la dépénalisation de la presse. Celle-ci se limitera donc à payer des amendes lorsqu’elle sera prise à défaut. A nos confrères de savoir faire preuve de responsabilité et de professionnalisme, et d’éviter les abus qui conduisent inévitablement aux excès dont sont coutumiers les pouvoirs africains. Autre geste de magnanimité, le traitement accordé jusque-là à l’ex-président Mamadou Tandja. Celui-ci vit dans d’excellentes conditions, comparativement à ce qui se passe ailleurs. Il ne croupit pas dans les geôles d’une prison misérabiliste. C’est pourtant le sort qu’il se plaisait à réserver à ses adversaires ou à ceux qui osaient critiquer son régime, du temps où il gérait le Niger sans partage. Qu’on se souvienne du harcèlement dont ses opposants et des membres de la société civile ont fait l’objet sous son règne. Nul n’était épargné, y compris ses anciens premiers ministres et députés. On ne saurait oublier les mesures privatives de liberté dont a été victime pendant si longtemps notre confrère Moussa Kaka que le régime vouait aux gémonies. Correspondant de Radio France Internationale, il a subi les foudres de Tandja parce qu’il faisait son travail de journaliste avec rigueur, sans calcul et sans état d’âme.
En dépit des appels incessants de la communauté internationale, des négociations puis des dénonciations de la presse mondiale, le dictateur nigérien, gagné par la boulimie du pouvoir, était demeuré inflexible et imperturbable. Le hic c’est que lorsque vient leur tour de payer pour leur forfaiture, des individus sans pitié comme Tandja, cherchent à bénéficier de la clémence des juges et de l’opinion. Mais on finit toujours par payer. Et il est fort probable, vu l’évolution de la situation, qu’un jour on épingle Tandja. Après tout, il est le premier responsable de la situation pourrie dont a hérité la junte, laquelle se préoccupe sans doute d’accumuler les preuves pour mieux le confondre.
Ainsi donc, après une période marquée par une certaine magnanimité, le Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD) se fait de plus en plus ferme. Désormais, certains auront le sommeil léger : les délinquants à col blanc, à l’image de ceux qui, lors des changements de régime, n’hésitent pas à tourner promptement la veste.
Malgré tout, il faut espérer que la junte saura bien faire la différence entre les critiques de sa gestion du pouvoir d’Etat par les médias et la société civile, et les intrigues et propos délictueux de ceux qui, hier encore, encensaient le régime de Mamadou Tandja. Ceux-là, à aucun moment, n’avaient eu pitié du mouvement démocratique alors en lutte contre les excès du régime.
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