Bonjour, Amandine Gnanguênon. L’opération « Barkhane » est lancée. Les forces françaises sont repositionnées dans cinq pays de la région sahélienne pour une meilleure réactivité face à la menace terroriste. Ce dispositif est-il novateur ?
Amandine Gnanguênon : Oui, je pense que c’est un dispositif qui est novateur au-delà d’être nouveau. Il prend en compte en fait un certain nombre de réalités aujourd’hui, dans cette bande sahélo-saharienne, la BSS comme on l’appelle: à la fois la nécessité de répondre à des menaces qui sont essentiellement transnationales, et également la nécessité d’avoir des points d’appui. Ces derniers reprennent les anciennes bases françaises et les réadaptent complètement pour pouvoir justement faire face à ces défis-là.
Avec 3 000 soldats, la France déploie-elle assez de moyens par rapport à la menace ?
Le problème, c’est que sur un espace aussi vaste que la bande sahélo-saharienne, il n’y aura jamais assez de soldats. Je pense que c’est plutôt le fait d’être présent, de bien connaître le terrain qui fera la différence. Plus que de déployer des soldats dans un chiffre considérable. De toute manière, la France n’en a pas les moyens.
Y-a-t-il des bases juridiques au redéploiement de l’armée français, au-delà des accords donnés par les chefs d’Etat africains concernés ?
Oui, dans la bande sahélo-saharienne les accords juridiques ce sont les accords de coopération et les accords de défense. D’un point de vue assez simple, l’accord de coopération définit les modalités, les formalités de la présence des forces françaises ou du transit des forces françaises dans ces différents pays.
Aujourd’hui, la clause d’automaticité d’intervention de la France en cas d’agression extérieure, qui était dans les accords de défense depuis les années 1960, a complètement disparu. Donc aujourd’hui, la limite entre accord de défense et de coopération est finalement très ténue, étant donné que dans la plupart des pays où il y a des accords de défense il y a aussi de la coopération.
D’ailleurs on parle, dans le cadre de la Côte d’Ivoire, d’un partenariat de défense bien plus qu’un accord de défense. Les bases juridiques, ce sont ces accords qui sont signés. On a aujourd’hui huit accords de défense et seize accords de coopération. Donc, vous voyez que la France a vraiment déjà un dispositif à la fois juridique et politique qui est très verrouillé.
Mais avec ce dispositif « Barkhane », la France ne s’est-elle pas encore plus lié les mains avec des régimes parfois autoritaires ?
Non, je ne crois pas qu’elle se lie les mains. Je crois qu’elle essaie surtout justement de donner une dimension juridique à ses actions. En tout cas, il y a cette volonté d’essayer de poser un cadre qui est un cadre sur la durée. L’accord sert à cela. Maintenant, une fois de plus, la réactivité et la nécessité d’intervenir dans des conditions qui sont parfois, je dirais, un peu à la marge, comme le montre le cas du Mali, n’empêche pas, du moment qu’il y a un accord d’entente entre les deux parties, de pouvoir intervenir.
L’opération « Barkhane » est-elle appelée à s’inscrire dans la durée d’après vous ?
Je pense que, de fait, elle va s’inscrire dans la durée. Pour le moment, personne, dans la bande sahélo-saharienne, ne fait de lutte contre le terrorisme comme la France peut et sait le faire. Donc, même si on peut annoncer que le dispositif est un dispositif qui n’a pas vocation à être permanent, il le sera de fait. Il n’y a pas d’armée africaine qui est aujourd’hui capable de le faire. On est déjà en train d’essayer de voir comment elles peuvent répondre à des menaces qui sont des menaces, je dirais, beaucoup plus basiques, d’essayer de gérer les groupes armés. Comment voulez-vous qu’elles prennent en charge toute cette question du renseignement et de lutte contre les groupes jihadistes et terroristes ?
Cette prise en charge par la France de la lutte contre le jihadisme illustre en creux l’absence de politique africaine de défense commune ?
Oui, elle l'illustre dans la matérialisation. Parce que dans la volonté, tous les différends, les derniers sommets ont vraiment montré cette volonté des pays africains de renforcer les capacités de leurs armées, d’avoir une action régionale, régionalisée contre les menaces. Mais à côté de ça, on se rend bien compte qu’aujourd’hui ce qui limite l’action des Etats, ce n’est pas seulement la volonté, c’est aussi la question des capacités. On ne peut pas se cacher constamment derrière des discours, sans véritablement avoir les moyens opérationnels de pouvoir agir sur le terrain.
La lutte contre le terrorisme au Sahel pourrait-elle se faire sans les Etats-Unis ?
Non, je ne pense pas. Je ne pense pas qu’elle puisse se faire sans les Etats-Unis, parce qu’une fois de plus, si on réinscrit ça dans un contexte plus général, qui est finalement le manque de moyens de la part de l’armée française, et puis toute la nécessité aujourd’hui d’agir de manière commune, je dirais que les deux parties sont gagnantes. Parce que les Etats-Unis ont besoin de la connaissance du terrain qu’ont les Français. Maintenant ils ont des moyens logistiques que la France n’a pas. La question du terrorisme et du contre-terrorisme est centrale dans la politique américaine.
Ce dispositif « Barkhane », est-ce une façon pour la France de sanctuariser son pré-carré africain ?
Non. Je pense qu’il faut sortir de ces logiques-là. Je pense que, politiquement et financièrement, cela coûte très cher à la France. Donc ce n’est pas une volonté de sanctuariser. Je pense qu'elle est dans une brèche où personne ne veut s’insérer. Et pour le moment, tant que d’autres acteurs ne prennent pas le relais, elle sera là pour faire cette continuité. En attendant justement de passer le relais à quelqu’un d’autre.
Source : Rfi.fr
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