Connectez-vous S'inscrire
PRESSAFRIK.COM , L'info dans toute sa diversité (Liberté - Professionnalisme - Crédibilité)

Analyse du phénomène des chroniqueurs au Sénégal (Par Dr Souleymane LÔ)



Un journaliste m'a interrogé au sujet du phénomène des Chroniqueurs au Sénégal, cherchant à comprendre les raisons pour lesquelles ces derniers adoptent un comportement pouvant compromettre leur propre métier, ainsi que celui des journalistes. J'ai considéré cette question comme une approche hypothético-déductive et j'y ai répondu avec soin.

En effet, le paysage médiatique sénégalais connaît depuis plusieurs années une transformation notable, marquée par l’émergence et la forte visibilité des chroniqueurs. Ces derniers, tout en s’exprimant dans l’espace public, adoptent parfois des postures qui peuvent compromettre la crédibilité de leur propre métier, mais aussi celle du journalisme en général. Dans une tentative de compréhension rationnelle de ce phénomène, nous adoptons ici une démarche hypothético-déductive, c’est-à-dire un raisonnement partant d’une hypothèse générale, que nous allons confronter à des réalités observables pour en tirer des conclusions plausibles.

Sous ce rapport, nous posons cette hypothèse générale selon laquelle: Le comportement de certains chroniqueurs sénégalais, souvent jugé problématique, résulte d’un ensemble de facteurs économiques, sociopolitiques et médiatiques qui redéfinissent les frontières entre journalisme, opinion et engagement. Répondre à cette hypothèse revient à l'éclater en hypothèses spécifiques dont : 

1. La motivation économique dominante explique le comportement de ces chroniqueurs.
La quête de notoriété et de revenus s'affirme comme un élément moteur essentiel. Dans un cadre où les plateformes numériques offrent des opportunités de monétisation des contenus (YouTube, Facebook, TikTok, groupes WhatsApp, etc.), un certain nombre de chroniqueurs optent pour des discours polarisants ou sensationnalistes pour susciter l'intérêt du public, générer un trafic intense et attirer des sponsors ou des mécènes politiques, qui sont souvent des adversaires du pouvoir établi.

2. La confusion volontaire des rôles professionnels est source des dérives constatées chez les chroniqueurs.
On observe une tendance à confondre les rôles de journaliste, chroniqueur, analyste et militant. De nombreux intervenants ne sont pas formés aux normes éthiques et déontologiques du journalisme, et revendiquent un droit à l'expression basé sur leurs opinions personnelles, ce qui détériore le cadre traditionnel de la vérification des faits. De plus, certains choisissent délibérément de se présenter comme une gueule de victimes pour apaiser leur conscience meurtrie face aux attentes déçues liées à leur engagement dans un autre parti politique, défait lors d'une compétition électorale. D'autres demeurent dans l'erreur tant que leur dignité, mise à mal, soit vindiquée, qu'il s'agisse d'avoir été révélés en tant que tricheurs ou menteurs de faits largement connus.

3. La recherche d’influence sociale et politique poussent tout le monde à vouloir devenir chroniqueur.
Certains chroniqueurs, même de renom, car dépourvus de science en la matière, aspirent à jouer un rôle dans la sphère politique ou à orienter le débat public. Cette posture les conduit parfois à adopter des discours partisans ou à entretenir des proximités avec des figures politiques, au détriment de l’objectivité attendue dans le traitement de l’information. Et comme on dit, ils ne peuvent avoir dans leur bouche de victimes qu'une langue de vipère à faire claquer pour se faire remarquer, non pas pour la pertinence du discours, mais plutôt pour la niaiserie de leur parcours. Ce sont eux qu'on entend toujours dire : « Je dis tout ce que je pense. » Oui, parce que l'intelligence ne recommande pas cette attitude chez une personne censée. Elle lui recommande de toujours penser à tout ce qu'elle a à dire.

4. La crise de légitimité des médias traditionnels est un facteur favorisant à l'émergence des chroniqueurs.
Le succès peu honorable des chroniqueurs peut également s’expliquer par une perte de confiance du public envers les médias dits traditionnels, souvent perçus comme trop inféodés à leur cupidité coupable ou en connivence avec le pouvoir. Les chroniqueurs remplissent alors un vide perçu, en incarnant une parole plus libre, plus directe, et toujours populiste. Ce sont les journalistes qui ont fait le métier qui acceptent de scier la branche sur laquelle ils se sont assis en préférant se couvrir de langues de vipère, l'arme dont usent de tels chroniqueurs pour détruire leur image. Il en est de même pour les organes de presse qui ont recours à ces gens de seconde main pour couvrir leur faiblesse dont ces chroniqueurs semblent détenir le secret.

À la lumière de ces hypothèses, il est possible de dégager plusieurs conséquences :
-Le journalisme professionnel est fragilisé, car la distinction entre faits et opinions s’estompe.
-Le public devient vulnérable à la désinformation ou à la manipulation émotionnelle.
-Les chroniqueurs deviennent des figures d’influence, contribuant parfois à une polarisation accrue du débat public.
-L’espace médiatique sénégalais se reconfigure autour de nouvelles dynamiques, où le spectacle et l’engagement priment souvent sur la rigueur et l’impartialité.

Conclusion
Le phénomène des chroniqueurs au Sénégal ne peut être réduit à une simple dérive individuelle. Il s’inscrit dans une dynamique plus vaste de reconfiguration de l’espace public, portée par les mutations technologiques, la crise des institutions médiatiques classiques, et le besoin d’expression sociale. Comprendre ce phénomène implique donc d’adopter une lecture systémique et nuancée, qui interroge à la fois les pratiques médiatiques, les enjeux économiques, et les aspirations des nouvelles figures de la parole publique.

Babou Diallo

Samedi 12 Avril 2025 - 01:40


div id="taboola-below-article-thumbnails">

Nouveau commentaire :
Facebook Twitter