Touchée par balle à trois reprises alors qu’elle tente de s’enfuir, une femme s’écroule à l’entrée de son village. Laissée pour morte par ses agresseurs, elle est repérée par un chauffeur de mototaxi avant d'être finalement conduite à l’hôpital. Ce récit glaçant est celui de l’une des rares survivantes du massacre de Karma, dans le nord du Burkina Faso. Plusieurs victimes ont partagé des témoignages similaires, samedi 29 avril, lors d’une conférence de presse dans la ville voisine de Ouahigouya. Leur porte-parole, Daouda Belem, qui a perdu son frère dans l’attaque, a fustigé une "barbarie injuste" et exigé la poursuite de "ses auteurs, commanditaires et complices".
Neuf jours plus tôt, plus de 130 personnes ont été exécutées dans ce village de la province du Yatenga par des hommes en uniforme militaire. Ce raid meurtrier s’est ensuite poursuivi dans plusieurs villages environnants, faisant de nouvelles victimes.
Les photos prises à Karma révèlent l’ampleur de l’horreur : des dizaines de corps d'hommes, de femmes et d'enfants jonchent le sol, parfois devant des murs criblés de balles.
Alors qu’une enquête a été ouverte, le gouvernement a publié un communiqué condamnant des "actes ignobles et barbares". De leur côté, les rescapés de l’attaque dénoncent une opération de représailles, conduite par l’armée contre les villageois, accusés de soutenir les terroristes, dans cette région en proie à une insécurité grandissante.
Un bilan qui ne cesse de s’alourdir
Jeudi 20 avril, en fin d’après-midi, des rescapés transportant des blessés arrivent à l’hôpital de Ouahigouya, la capitale régionale située à une quinzaine de kilomètres de Karma, et alertent sur les tragiques événements de la journée. Tôt le matin, un important groupe d’hommes portant des uniformes de l’armée, arrivés à bord de pick-up, de motos et de blindés, se sont introduits dans le village et ont tiré des coups de feu, suscitant la panique. Ils ont ensuite réuni des habitants par groupes à travers le village pour les exécuter, avant de quitter les lieux vers 14 h.
"Nous avons pu obtenir ces témoignages en interrogeant des sources directes, dont des survivants, des blessés et des proches des victimes. En effet, un groupe de 19 villageois ayant assisté aux exécutions a finalement été épargné par des soldats. Une dizaine de victimes laissées pour mortes ont également survécu et ont été conduites à l'hôpital de Ouahigouya", explique le Dr Daouda Diallo, secrétaire général du Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (Cisc).
Depuis plus d'une semaine, cette organisation burkinabè de défense des droits humains mène des investigations pour documenter ce massacre tout en accompagnant les victimes, réfugiées à Ouahigouya.
"Jusqu’au 24 avril, l’armée quadrillait les routes, bloquant les accès. C’est seulement à partir de cette date que certains, par des voies de contournement, ont pu retourner dans Karma et les villages environnants, où avaient eu lieu des exactions, pour relever l’identité des victimes et aider les familles à enterrer leurs proches", raconte le Dr Diallo.
Le 27 avril, le Cisc publie un premier communiqué faisant état de 136 corps retrouvés à Karma dont "50 femmes et 21 enfants", parmi lesquels "des bébés de moins de trente jours tués sur le dos de leurs mères". Depuis, le bilan continue de s’alourdir. Plus de 150 morts ont désormais été recensés dans cette localité ainsi que dans les villages voisins de Dinguiri, Ramdolah, Kerga et Ménè.
Les forces d’intervention rapide pointées du doigt
Alerté par la gendarmerie de Ouahigouya le 21 avril, le procureur du Faso a annoncé deux jours plus tard l’ouverture d’une enquête et lancé un appel à témoin. Le 27 avril, le gouvernement de transition s’est à son tour exprimé, se disant "particulièrement préoccupé par des informations faisant état de tueries" par des "hommes armés habillés dans des tenues de forces armées burkinabè".
Le porte-parole du gouvernement a présenté ses condoléances aux familles, tout en indiquant que les circonstances n’étaient pas encore "élucidées".
Pour le Cisc, les témoignages sont clairs. Les victimes affirment avec insistance que la responsabilité de membres des Forces de défense et de sécurité (FDS) ne fait aucun doute. "Cela semble très pertinent car seuls les soldats sont capables de déployer une telle logistique avec des chars de combat", souligne le Dr Daouda Diallo. "Par ailleurs, les témoins affirment de manière formelle qu’il s’agirait d’éléments d'un bataillon d’intervention rapide. Certains auraient pu identifier l’inscription "BIR 3" sur les uniformes, qui correspond à la troisième unité de cette force."
Au nombre de six, ces unités, intégrées aux forces armées et stationnées à Ouagadougou, ont été créées en novembre 2022 par le président de la transition, le capitaine Ibrahim Traoré. Elles ont vocation à agir sur tout le territoire, privilégiant la mobilité et la puissance de feu.
Selon plusieurs témoins, des soldats présents à Karma auraient affirmé que le village était une "passoire pour les groupes armés", que les habitants étaient "tous complices" et qu’ils seraient "traités comme tels".
Une semaine plus tôt, une attaque près d'Aoréma, à une quarantaine de kilomètres de Karma, par des hommes armés non identifiés avait causé la mort de six soldats et de 34 Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), des supplétifs civils de l'armée.
Indignation grandissante
Alors que le bilan se précise, de nombreuses voix s’élèvent pour condamner ce massacre de civils, désormais considéré comme le plus meurtrier dans le pays depuis le début de l’insurrection terroriste en 2015.
"Les responsables de ces tueries seront identifiés et jugés par la Cour pénale internationale", a déclaré la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao), qualifiant ces événements de "génocide". Au Burkina, où la colère ne cesse de grandir, les critiques fusent désormais contre les autorités, accusées de faire la sourde oreille.
"À ces événements d’une gravité presque sans précédent [...], le gouvernement a opposé l’évitement", a dénoncé vendredi dans un communiqué "Le balai citoyen", mouvement de la société civile qui avait contribué, en 2014, à chasser Blaise Compaoré du pouvoir. "Le gouvernement laisse entendre qu’il n’est pas sûr de l’effectivité des tueries. Il n’aurait donc pas ses propres sources pour être affirmatif sur les événements de Karma", a-t-il souligné, insistant sur l’importance de "rendre justice aux Burkinabè victimes de ce massacre".
Samedi, le porte-parole des victimes, Daouda Belem, a lui aussi fustigé la réaction du gouvernement. "Ce communiqué frise l’indifférence et le mépris vis-à-vis des populations de Karma et des villages environnants. Pire, il sème la confusion quant à la responsabilité des FDS sur ce massacre. Nous, populations et rescapés des événements, n’avons aucun doute", a-t-il réagi lors de la conférence de presse.
Contacté par France 24, le porte-parole du gouvernement n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien.
Ces accusations visant des militaires burkinabè tombent au plus mal pour les autorités, qui tentent tant bien que mal de contenir la progression des groupes jihadistes. Après avoir lancé une campagne de recrutement massive de Volontaires pour la défense de la patrie, l’État a décrété, le 13 avril, la mobilisation générale pour faire face à la recrudescence d’attaques qui frappent le pays. Pour Daouda Belem, il est essentiel que le gouvernement reconnaisse la responsabilité des soldats, "non pas pour discréditer l’armée mais pour éviter qu’un nouveau massacre de ce type ne se produise".
"Nous soutenons notre gouvernement dans cette crise sécuritaire, le Burkina est un et indivisible ; des habitants de Karma se sont eux-mêmes engagés en tant que VDP. Mais nous avons besoin d’enquêtes crédibles, y compris sur les agissements de notre propre armée, sans quoi nous ne parviendrons pas à vaincre nos véritables ennemis : ces groupes terroristes qui menacent l’intégrité de notre pays."
Neuf jours plus tôt, plus de 130 personnes ont été exécutées dans ce village de la province du Yatenga par des hommes en uniforme militaire. Ce raid meurtrier s’est ensuite poursuivi dans plusieurs villages environnants, faisant de nouvelles victimes.
Les photos prises à Karma révèlent l’ampleur de l’horreur : des dizaines de corps d'hommes, de femmes et d'enfants jonchent le sol, parfois devant des murs criblés de balles.
Alors qu’une enquête a été ouverte, le gouvernement a publié un communiqué condamnant des "actes ignobles et barbares". De leur côté, les rescapés de l’attaque dénoncent une opération de représailles, conduite par l’armée contre les villageois, accusés de soutenir les terroristes, dans cette région en proie à une insécurité grandissante.
Un bilan qui ne cesse de s’alourdir
Jeudi 20 avril, en fin d’après-midi, des rescapés transportant des blessés arrivent à l’hôpital de Ouahigouya, la capitale régionale située à une quinzaine de kilomètres de Karma, et alertent sur les tragiques événements de la journée. Tôt le matin, un important groupe d’hommes portant des uniformes de l’armée, arrivés à bord de pick-up, de motos et de blindés, se sont introduits dans le village et ont tiré des coups de feu, suscitant la panique. Ils ont ensuite réuni des habitants par groupes à travers le village pour les exécuter, avant de quitter les lieux vers 14 h.
"Nous avons pu obtenir ces témoignages en interrogeant des sources directes, dont des survivants, des blessés et des proches des victimes. En effet, un groupe de 19 villageois ayant assisté aux exécutions a finalement été épargné par des soldats. Une dizaine de victimes laissées pour mortes ont également survécu et ont été conduites à l'hôpital de Ouahigouya", explique le Dr Daouda Diallo, secrétaire général du Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (Cisc).
Depuis plus d'une semaine, cette organisation burkinabè de défense des droits humains mène des investigations pour documenter ce massacre tout en accompagnant les victimes, réfugiées à Ouahigouya.
"Jusqu’au 24 avril, l’armée quadrillait les routes, bloquant les accès. C’est seulement à partir de cette date que certains, par des voies de contournement, ont pu retourner dans Karma et les villages environnants, où avaient eu lieu des exactions, pour relever l’identité des victimes et aider les familles à enterrer leurs proches", raconte le Dr Diallo.
Le 27 avril, le Cisc publie un premier communiqué faisant état de 136 corps retrouvés à Karma dont "50 femmes et 21 enfants", parmi lesquels "des bébés de moins de trente jours tués sur le dos de leurs mères". Depuis, le bilan continue de s’alourdir. Plus de 150 morts ont désormais été recensés dans cette localité ainsi que dans les villages voisins de Dinguiri, Ramdolah, Kerga et Ménè.
Les forces d’intervention rapide pointées du doigt
Alerté par la gendarmerie de Ouahigouya le 21 avril, le procureur du Faso a annoncé deux jours plus tard l’ouverture d’une enquête et lancé un appel à témoin. Le 27 avril, le gouvernement de transition s’est à son tour exprimé, se disant "particulièrement préoccupé par des informations faisant état de tueries" par des "hommes armés habillés dans des tenues de forces armées burkinabè".
Le porte-parole du gouvernement a présenté ses condoléances aux familles, tout en indiquant que les circonstances n’étaient pas encore "élucidées".
Pour le Cisc, les témoignages sont clairs. Les victimes affirment avec insistance que la responsabilité de membres des Forces de défense et de sécurité (FDS) ne fait aucun doute. "Cela semble très pertinent car seuls les soldats sont capables de déployer une telle logistique avec des chars de combat", souligne le Dr Daouda Diallo. "Par ailleurs, les témoins affirment de manière formelle qu’il s’agirait d’éléments d'un bataillon d’intervention rapide. Certains auraient pu identifier l’inscription "BIR 3" sur les uniformes, qui correspond à la troisième unité de cette force."
Au nombre de six, ces unités, intégrées aux forces armées et stationnées à Ouagadougou, ont été créées en novembre 2022 par le président de la transition, le capitaine Ibrahim Traoré. Elles ont vocation à agir sur tout le territoire, privilégiant la mobilité et la puissance de feu.
Selon plusieurs témoins, des soldats présents à Karma auraient affirmé que le village était une "passoire pour les groupes armés", que les habitants étaient "tous complices" et qu’ils seraient "traités comme tels".
Une semaine plus tôt, une attaque près d'Aoréma, à une quarantaine de kilomètres de Karma, par des hommes armés non identifiés avait causé la mort de six soldats et de 34 Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), des supplétifs civils de l'armée.
Indignation grandissante
Alors que le bilan se précise, de nombreuses voix s’élèvent pour condamner ce massacre de civils, désormais considéré comme le plus meurtrier dans le pays depuis le début de l’insurrection terroriste en 2015.
"Les responsables de ces tueries seront identifiés et jugés par la Cour pénale internationale", a déclaré la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao), qualifiant ces événements de "génocide". Au Burkina, où la colère ne cesse de grandir, les critiques fusent désormais contre les autorités, accusées de faire la sourde oreille.
"À ces événements d’une gravité presque sans précédent [...], le gouvernement a opposé l’évitement", a dénoncé vendredi dans un communiqué "Le balai citoyen", mouvement de la société civile qui avait contribué, en 2014, à chasser Blaise Compaoré du pouvoir. "Le gouvernement laisse entendre qu’il n’est pas sûr de l’effectivité des tueries. Il n’aurait donc pas ses propres sources pour être affirmatif sur les événements de Karma", a-t-il souligné, insistant sur l’importance de "rendre justice aux Burkinabè victimes de ce massacre".
Samedi, le porte-parole des victimes, Daouda Belem, a lui aussi fustigé la réaction du gouvernement. "Ce communiqué frise l’indifférence et le mépris vis-à-vis des populations de Karma et des villages environnants. Pire, il sème la confusion quant à la responsabilité des FDS sur ce massacre. Nous, populations et rescapés des événements, n’avons aucun doute", a-t-il réagi lors de la conférence de presse.
Contacté par France 24, le porte-parole du gouvernement n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien.
Ces accusations visant des militaires burkinabè tombent au plus mal pour les autorités, qui tentent tant bien que mal de contenir la progression des groupes jihadistes. Après avoir lancé une campagne de recrutement massive de Volontaires pour la défense de la patrie, l’État a décrété, le 13 avril, la mobilisation générale pour faire face à la recrudescence d’attaques qui frappent le pays. Pour Daouda Belem, il est essentiel que le gouvernement reconnaisse la responsabilité des soldats, "non pas pour discréditer l’armée mais pour éviter qu’un nouveau massacre de ce type ne se produise".
"Nous soutenons notre gouvernement dans cette crise sécuritaire, le Burkina est un et indivisible ; des habitants de Karma se sont eux-mêmes engagés en tant que VDP. Mais nous avons besoin d’enquêtes crédibles, y compris sur les agissements de notre propre armée, sans quoi nous ne parviendrons pas à vaincre nos véritables ennemis : ces groupes terroristes qui menacent l’intégrité de notre pays."
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