Les coups pleuvent à en fendre le cuir. Le sac de frappe plie. Le grincement de ses chaînes s’amplifie à mesure que se déchaînent les poings d’Idrissa Gueye, 24 ans. Des coups exténuants qui arrachent au jeune homme des cris d’épuisement mêlés à de la rage. « Allez encore, pas de temps mort ! », répète Souleymane Mbaye, son coach. Les deux boxeurs dégoulinent. Nous sommes en pleine saison des pluies au Sénégal et la touffeur de cette fin de septembre rend chaque geste difficile.
C’est cette intensité que recherchait Souleymane Mbaye quand il a inauguré, en février 2018 à Dakar, Keur of Champions, une salle de boxe unique en son genre. Cette « Maison des champions » veut forger l’élite des boxeurs africains de demain et offrir aux jeunes une autre voie. « Leur éviter de prendre la pirogue », assène-t-il en référence à ceux qui tentent de gagner clandestinement l’Europe, souvent au péril de leur vie.
Français d’origine sénégalaise, Souleymane Mbaye a un joli palmarès. Trois fois champion du monde de boxe en vingt ans de carrière, 49 combats et 42 victoires dont 22 par K.-O. En 2017, à 40 ans, il raccroche les gants, sort un livre, Le Sénégaulois (éd. Budo), et tient l’affiche du film Sparring de Samuel Jouy avec Mathieu Kassovitz. En plein succès, il se rappelle une promesse faite à un ami, Mbaye Jacques Diop, ancien maire de la commune de Rufisque en banlieue de Dakar : créer une salle de boxe au Sénégal afin de professionnaliser un vivier de talents jusqu’alors inexploités.
« La boxe, c’est ma vie ! »
« Ici, le sport favori, devant tous les autres même le foot, c’est la lutte avec frappe », explique Souleymane Mbaye. Un terrain traditionnel propice au développement de la boxe anglaise qui n’a connu qu’un champion sénégalais, le Saint-Louisien Battling Siki (qui a battu Georges Carpentier dans un combat mythique à Montrouge en 1922, devenant champion du monde à la surprise générale). « En Afrique, il n’y a jamais eu de grand combat à part celui de Mohamed Ali contre George Foreman à Kinshasa en 1974, rappelle-t-il. Mais aujourd’hui, le Sénégal a toutes les infrastructures pour accueillir et organiser de tels événements. La Dakar Arena vient d’être achevée ainsi que le nouvel aéroport international. J’aimerais faire de Dakar un temple de la boxe comme Las Vegas. »
Dans sa salle, quinze boxeurs s’entraînent sur les deux rings, du matin au soir. « On s’assure d’abord de la solidité des bases, avance l’entraîneur, surnommé “Souly” par ses amis. Ils travaillent les appuis, les déplacements, après viendra la technique propre à chacun. Mais si les bases font défaut, on perd. » Parmi ces jeunes, trois bénéficient d’un traitement particulier. Du fait de leur haut potentiel et parfois de leurs origines défavorisées, ils sont logés, nourris et rémunérés par le club, suivis par un kinésithérapeute et un diététicien.
« Je veux les avoir à 100 %, savoir ce qu’ils mangent et quand ils dorment », clame Souleymane Mbaye, qui a en ligne de mire les Jeux olympiques de la jeunesse à Dakar en 2022. Il souhaite y envoyer quatre ou cinq jeunes pour rapporter « au moins une médaille », ce qui serait une première pour des boxeurs sénégalais.
Dans ce trio, Idrissa Gueye, 1,78 m pour 61 kg, est le plus visible. Il s’agite près du ring, encourage ses camarades en criant, lance des vannes, tombe à la renverse quand une action l’ébahit ou lui déplaît. Il ne peut s’empêcher de réagir comme lorsqu’il était enfant et qu’il préférait analyser les vidéos de K.-O. spectaculaires au cybercafé plutôt que de jouer au foot avec ses copains. « La boxe, c’est ma vie ! Je ne fais que ça », martèle-t-il. Idrissa attend avec impatience le 12 octobre où, à Paris, il combattra lors de son premier match professionnel.
« On peut briller chez nous »
Raison pour laquelle Souleymane le presse autant et pour laquelle le jeune boxeur lui obéit jusqu’à l’épuisement. Il veut tout donner à celui qui l’a « sauvé ». Il y a quelques années, alors qu’il venait d’être disqualifié du Championnat d’Afrique à cause d’une différence de poids de 200 grammes, le coach lui a écrit sur Facebook : « Courage champion ! Le premier adversaire, c’est le poids ». Un message qui a redonné à Idrissa « la force d’y croire », lui qui était prêt à tout abandonner.
Depuis, il a été titré deux fois vice-champion d’Afrique, meilleur boxeur sénégalais des moins de 60 kg, a remporté l’argent au Championnat d’Afrique zone 2. Il y a huit mois, il a rejoint l’écurie de « Souly ». « C’est un boxeur technique, longiligne et orgueilleux. Il sait qu’il peut réussir, assure Souleymane. S’il gagne son premier combat, il obtiendra peut-être un contrat en France, mais continuera à s’entraîner ici. Si on veut éviter de faire croire que l’eldorado est ailleurs, il faut leur montrer qu’on peut briller chez nous. »
Pour se préparer au combat, Idrissa Gueye s’entraîne parfois avec la seule femme de cette écurie masculine, Khadija Timera, 34 ans, Franco-Sénégalaise brillante qui partage sa vie entre le ring et sa société de conseil en investissement où elle officie en tant que juriste. Après une enfance à Levallois-Perret en banlieue parisienne et un diplôme de l’université de Berkeley aux Etats-Unis, elle se met à la boxe. Dans son milieu, boxe et femmes, « ça matche pas trop », confie-t-elle. Elle s’y essaie quand même au 50 Foch, le club d’Abdoulaye Fadiga sur les Champs-Elysées, à Paris.
« Ici, c’est pour les mecs »
Impressionné, le coach lui dit qu’elle est faite pour ça. Suivra une ascension fulgurante, pour cette touche-à-tout, formée en droit et en médecine. En affaires comme sur le ring, « la gestion du stress est indispensable », assure-t-elle. Si elle a toujours évolué dans un milieu masculin, elle a dû jouer des poings pour se faire accepter sur le ring. « A Levallois, des boxeurs de 40 ans me disaient : “T’es bien mignonne, mais ici c’est pour les mecs” ». Une poignée de compétitions remportées et une sélection en équipe nationale sénégalaise plus tard, le respect est forcé.
Prochain objectif, une sélection aux Jeux olympiques de Tokyo en 2020. Les qualifications auront lieu à Dakar en février 2019. En attendant, elle subit l’exigence féroce mais nécessaire de « Souly » et fait une démonstration sur le ring pour Roxana Maracineanu, la ministre française des sports le 19 septembre. En visite au Sénégal, la ministre souhaite tisser une collaboration entre les JO 2024 à Paris et ceux de la jeunesse à Dakar en 2022.
Pour Souleymane Mbaye, ce fut aussi l’occasion de montrer à la ministre le pont sportif établi entre les deux pays. « J’ai créé ce club sur fonds propres, pas que pour le sport, mais aussi pour sauver des vies, appuie-t-il. Donner un but, une éducation et un cadre à des jeunes en difficulté qui pensent que rien de positif ne les retient en Afrique. J’attends aujourd’hui que le gouvernement français nous aide financièrement ».
Pour le boxeur de Levallois, la France devrait comprendre que c’est « dans l’intérêt de tous d’aider ici les jeunes Africains (…) Si on éclaire leur avenir, ils ne prendront pas le risque de migrer ». Tous ne deviendront pas champions. Il le sait, mais « ils ouvriront peut-être une salle dans leur village, donneront à d’autres un but, un défi à relever. Comme moi, j’ai été fier de défendre la France. J’aimerais qu’ils soient fiers de défendre le Sénégal ».
C’est cette intensité que recherchait Souleymane Mbaye quand il a inauguré, en février 2018 à Dakar, Keur of Champions, une salle de boxe unique en son genre. Cette « Maison des champions » veut forger l’élite des boxeurs africains de demain et offrir aux jeunes une autre voie. « Leur éviter de prendre la pirogue », assène-t-il en référence à ceux qui tentent de gagner clandestinement l’Europe, souvent au péril de leur vie.
Français d’origine sénégalaise, Souleymane Mbaye a un joli palmarès. Trois fois champion du monde de boxe en vingt ans de carrière, 49 combats et 42 victoires dont 22 par K.-O. En 2017, à 40 ans, il raccroche les gants, sort un livre, Le Sénégaulois (éd. Budo), et tient l’affiche du film Sparring de Samuel Jouy avec Mathieu Kassovitz. En plein succès, il se rappelle une promesse faite à un ami, Mbaye Jacques Diop, ancien maire de la commune de Rufisque en banlieue de Dakar : créer une salle de boxe au Sénégal afin de professionnaliser un vivier de talents jusqu’alors inexploités.
« La boxe, c’est ma vie ! »
« Ici, le sport favori, devant tous les autres même le foot, c’est la lutte avec frappe », explique Souleymane Mbaye. Un terrain traditionnel propice au développement de la boxe anglaise qui n’a connu qu’un champion sénégalais, le Saint-Louisien Battling Siki (qui a battu Georges Carpentier dans un combat mythique à Montrouge en 1922, devenant champion du monde à la surprise générale). « En Afrique, il n’y a jamais eu de grand combat à part celui de Mohamed Ali contre George Foreman à Kinshasa en 1974, rappelle-t-il. Mais aujourd’hui, le Sénégal a toutes les infrastructures pour accueillir et organiser de tels événements. La Dakar Arena vient d’être achevée ainsi que le nouvel aéroport international. J’aimerais faire de Dakar un temple de la boxe comme Las Vegas. »
Dans sa salle, quinze boxeurs s’entraînent sur les deux rings, du matin au soir. « On s’assure d’abord de la solidité des bases, avance l’entraîneur, surnommé “Souly” par ses amis. Ils travaillent les appuis, les déplacements, après viendra la technique propre à chacun. Mais si les bases font défaut, on perd. » Parmi ces jeunes, trois bénéficient d’un traitement particulier. Du fait de leur haut potentiel et parfois de leurs origines défavorisées, ils sont logés, nourris et rémunérés par le club, suivis par un kinésithérapeute et un diététicien.
« Je veux les avoir à 100 %, savoir ce qu’ils mangent et quand ils dorment », clame Souleymane Mbaye, qui a en ligne de mire les Jeux olympiques de la jeunesse à Dakar en 2022. Il souhaite y envoyer quatre ou cinq jeunes pour rapporter « au moins une médaille », ce qui serait une première pour des boxeurs sénégalais.
Dans ce trio, Idrissa Gueye, 1,78 m pour 61 kg, est le plus visible. Il s’agite près du ring, encourage ses camarades en criant, lance des vannes, tombe à la renverse quand une action l’ébahit ou lui déplaît. Il ne peut s’empêcher de réagir comme lorsqu’il était enfant et qu’il préférait analyser les vidéos de K.-O. spectaculaires au cybercafé plutôt que de jouer au foot avec ses copains. « La boxe, c’est ma vie ! Je ne fais que ça », martèle-t-il. Idrissa attend avec impatience le 12 octobre où, à Paris, il combattra lors de son premier match professionnel.
« On peut briller chez nous »
Raison pour laquelle Souleymane le presse autant et pour laquelle le jeune boxeur lui obéit jusqu’à l’épuisement. Il veut tout donner à celui qui l’a « sauvé ». Il y a quelques années, alors qu’il venait d’être disqualifié du Championnat d’Afrique à cause d’une différence de poids de 200 grammes, le coach lui a écrit sur Facebook : « Courage champion ! Le premier adversaire, c’est le poids ». Un message qui a redonné à Idrissa « la force d’y croire », lui qui était prêt à tout abandonner.
Depuis, il a été titré deux fois vice-champion d’Afrique, meilleur boxeur sénégalais des moins de 60 kg, a remporté l’argent au Championnat d’Afrique zone 2. Il y a huit mois, il a rejoint l’écurie de « Souly ». « C’est un boxeur technique, longiligne et orgueilleux. Il sait qu’il peut réussir, assure Souleymane. S’il gagne son premier combat, il obtiendra peut-être un contrat en France, mais continuera à s’entraîner ici. Si on veut éviter de faire croire que l’eldorado est ailleurs, il faut leur montrer qu’on peut briller chez nous. »
Pour se préparer au combat, Idrissa Gueye s’entraîne parfois avec la seule femme de cette écurie masculine, Khadija Timera, 34 ans, Franco-Sénégalaise brillante qui partage sa vie entre le ring et sa société de conseil en investissement où elle officie en tant que juriste. Après une enfance à Levallois-Perret en banlieue parisienne et un diplôme de l’université de Berkeley aux Etats-Unis, elle se met à la boxe. Dans son milieu, boxe et femmes, « ça matche pas trop », confie-t-elle. Elle s’y essaie quand même au 50 Foch, le club d’Abdoulaye Fadiga sur les Champs-Elysées, à Paris.
« Ici, c’est pour les mecs »
Impressionné, le coach lui dit qu’elle est faite pour ça. Suivra une ascension fulgurante, pour cette touche-à-tout, formée en droit et en médecine. En affaires comme sur le ring, « la gestion du stress est indispensable », assure-t-elle. Si elle a toujours évolué dans un milieu masculin, elle a dû jouer des poings pour se faire accepter sur le ring. « A Levallois, des boxeurs de 40 ans me disaient : “T’es bien mignonne, mais ici c’est pour les mecs” ». Une poignée de compétitions remportées et une sélection en équipe nationale sénégalaise plus tard, le respect est forcé.
Prochain objectif, une sélection aux Jeux olympiques de Tokyo en 2020. Les qualifications auront lieu à Dakar en février 2019. En attendant, elle subit l’exigence féroce mais nécessaire de « Souly » et fait une démonstration sur le ring pour Roxana Maracineanu, la ministre française des sports le 19 septembre. En visite au Sénégal, la ministre souhaite tisser une collaboration entre les JO 2024 à Paris et ceux de la jeunesse à Dakar en 2022.
Pour Souleymane Mbaye, ce fut aussi l’occasion de montrer à la ministre le pont sportif établi entre les deux pays. « J’ai créé ce club sur fonds propres, pas que pour le sport, mais aussi pour sauver des vies, appuie-t-il. Donner un but, une éducation et un cadre à des jeunes en difficulté qui pensent que rien de positif ne les retient en Afrique. J’attends aujourd’hui que le gouvernement français nous aide financièrement ».
Pour le boxeur de Levallois, la France devrait comprendre que c’est « dans l’intérêt de tous d’aider ici les jeunes Africains (…) Si on éclaire leur avenir, ils ne prendront pas le risque de migrer ». Tous ne deviendront pas champions. Il le sait, mais « ils ouvriront peut-être une salle dans leur village, donneront à d’autres un but, un défi à relever. Comme moi, j’ai été fier de défendre la France. J’aimerais qu’ils soient fiers de défendre le Sénégal ».
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