« Diversité ». C’est le maître mot présent dans toutes les bouches lors du sommet de la Human Genome Organisation (HUGO) qui s’est tenu, ce mois-ci, à Durban en Afrique du Sud. Un concept essentiel, pour faire progresser la science génomique. Et pourtant, le continent africain reste sous-étudié, puisque sa population représente moins de 2% des séquençages de génomes humains réalisés dans le monde.
Pour le chercheur camerounais Ambroise Wonkam, cela engendre un grave manque d’équité : « Si nous ne connaissons pas les gènes qui sont les plus importants en termes de diagnostic des maladies génétiques des populations africaines, il est impossible pour moi, en tant que médecin généticien, de soigner un enfant africain de la même façon que je soigne un enfant européen » précise-t-il. Il se souvient que, lorsqu’il travaillait en Suisse, l’étude d’un seul gène lui permettait d’expliquer l’origine d’une surdité chez un enfant dans 50 % des cas. « Lorsque je suis retourné sur le continent africain, j’ai testé des enfants camerounais, ou des enfants sud-africains noirs, 0 % d'entre eux n’avaient de mutations dans ces gènes » a observé celui qui occupe aussi le poste de président de la Société africaine de génétique humaine (AfSHG).
« Le pourcentage des patients chez qui nous pouvons atteindre un diagnostic définitif est plus faible que le pourcentage qui peut en obtenir un en Europe ou en Amérique du Nord, en raison du manque de données chez nous, renchérit Aimé Lumaka, professeur de génétique à l’université de Kinshasa. ous comparons le profil de l’individu qui est venu chez nous, au profil génétique existant dans les bases de données, et comme nous ne retrouvons pas certains profils, nous ne connaissons pas la signification de certains profils génétiques africains. »
Des variants inconnus et des gènes plus diversifiés
L’absence de données freine, de plus, le développement de traitements pour les maladies génétiques qui touchent particulièrement le continent, comme la drépanocytose. Et elle est aussi une entrave à la recherche mondiale, puisque l’identification de variants peut avoir un intérêt, non seulement pour les diasporas africaines, mais aussi pour le reste des habitants. L’exemple le plus connu est celui de ce médicament anti-cholestérol développé grâce à l’étude de mutations génétiques chez certaines populations africaines qui présentaient un taux de cholestérol naturellement bas.
Car même si les êtres humains partagent à plus de 99,9 % un matériel génétique identique, les quelques variations restantes, qui ont eu lieu au cours des millénaires, peuvent avoir une grande influence sur notre santé. Et comme les indices des découvertes paléontologiques suggèrent que les premiers hommes étaient originaires d’Afrique, et que seule une partie d’entre eux ont ensuite peuplé le reste du monde, les gènes des différentes populations restées sur le continent sont plus diversifiés et renferment encore beaucoup de secrets, pour l’ensemble de l’humanité. « On aurait, en fait, besoin d’avoir plus de données africaines que de données du reste du monde », précise la généticienne sud-africaine Michele Ramsay. Parce que si on regarde l’évolution de notre espèce et les branches de notre lignée, quelqu’un d’Afrique de l’Ouest a plus de différences génétiques avec quelqu’un d’Afrique de l’Est, que quelqu’un d’Europe a avec quelqu’un d’Afrique de l’Est. Donc, on ne peut pas se contenter d’étudier, pour le continent, des données générales sur les personnes d’ascendance africaine, il faut des données beaucoup plus détaillées et régionales. »
Malgré ces besoins, les séquençages « ont été historiquement réalisés sur des populations d’origine européenne, regrette le scientifique ougandais Christopher Kintu, de l’université Queen Mary de Londres. Ce n’est pas surprenant, car cela demande beaucoup de temps, d’argent et de ressources, que l’on n’a pas forcément à disposition en Afrique. »
Cependant, depuis le tout premier décryptage d’un génome humain en 2001, la technologie a bien évolué. Alors que le premier séquençage complet avait exigé, à l’époque, 10 ans de travail et plus de 2 milliards de dollars, à l’heure actuelle, il suffit d’une poignée de jours et de moins de 1 000 dollars pour déchiffrer les lettres composant notre ADN, ce long filament qui forme nos 23 paires de chromosomes. Chacun de ces chromosomes porte des gènes, véritables manuels d’instruction cachés au cœur de nos cellules, afin que le corps puisse se développer et fonctionner.
Refléter pleinement la diversité africaine
Une initiative nommée « Hérédité et santé humaine en Afrique » (H3Africa), financée à hauteur de 176 millions de dollars par des fonds américains et britanniques, a permis de soutenir pendant 10 ans une cinquantaine de projets sur le continent. Mais maintenant que le programme a pris fin, certains scientifiques africains continuent de coordonner des travaux dans leur pays, pour combler le fossé en termes de données. En Afrique du Sud, un projet entend séquencer les génomes de quelque 110 000 individus. « On va d’abord commencer à séquencer environ 10 000 génomes d’un groupe de patients que l’on suit déjà sur le long terme, en guise de phase pilote, pour étudier la faisabilité »détaille Rizwana Mia qui coordonne cet effort. Cette première étape est financée par le gouvernement sud-africain.
Le Nigeria a des ambitions similaires et a commencé à collecter des échantillons, dans l’attente de financements pour lancer les séquençages. Le tout réalisé par des spécialistes locaux, afin de développer des compétences sur place et mettre un terme aux recherches « hélicoptère », où des scientifiques de pays occidentaux viennent quelques mois, réalisent leurs travaux, puis repartent. « Cela laisse l’impression aux chercheurs africains d’avoir été utilisés, et aussi aux participants, dont les échantillons et les données ont été collectés, souligne Deborah Ekusai Sebatta, de l’université ougandaise de Makerere. Or la recherche génomique est basée sur la confiance. »
Ambroise Wonkam aspire à aller plus loin, en créant, avec ses collègues Nicola Mulder, de l’université du Cap, et Christian Happi, de l’université nigériane Redeemer, des pôles de séquençage sur le continent : « Dix centres d’excellence sur les dix prochaines années, précise-t-il, Et chaque centre d’excellence sera équipé avec des ressources financières d’environ 10 millions de dollars par année. » Le projet prévoit, pour l'instant, de séquencer 300 000 génomes, même si, à terme, le professeur de l’université Johns Hopkins estime qu’il faudrait une base de données de 3 millions de participants afin de refléter pleinement la diversité africaine. Le lieu d’implantation du centre de coordination, qui devrait être soutenu par une fondation mondiale, pourrait toutefois provoquer des blocages politiques et des levées de boucliers : il devrait s’agir du Rwanda, accusé d'être impliqué dans le conflit à l'est de la République démocratique du Congo, notamment.
Quoi qu'il en soit, les généticiens locaux veulent dorénavant être à l’avant-garde de la recherche. Alors que les études progressent pour créer un pangénome, soit une sorte de grande cartographie des variations possibles, afin d’avoir une référence universelle, ils entendent bien y voir figurer les génomes africains, à la hauteur de leur diversité.
Et ce, même si la science génomique n’a pas encore tenu toutes ses promesses. Malgré les progrès significatifs réalisés ces dernières années, il reste encore un long chemin avant de comprendre les interactions très compliquées entre différentes mutations combinées ou avec des facteurs environnementaux. Les tests prédictifs, censés détecter des prédispositions pour des maladies, ont d’ailleurs, jusqu’à présent, montré leurs limites, et plus particulièrement dans le cas des populations africaines. De plus, « on fait des centaines, voire des milliers de découvertes génétiques, mais c’est beaucoup plus lent, après, pour en comprendre les conséquences et puis arriver jusqu’à un médicament »,tempère Philippe Froguel. Le professeur de l’Imperial College de Londres et de l’université de Lille en sait quelque chose : en 1998, il avait identifié un gène fréquent dans l’obésité, mais un médicament découlant de ces découvertes n’est arrivé sur le marché qu’il y a trois ans.
Alors est-ce la peine de développer ce champ en Afrique, tandis que le continent ploie déjà sous le poids des maladies infectieuses et que l’accès à de simples soins est inégalitaire et limité ? La réponse est oui pour les différents chercheurs interrogés, car les maladies chroniques comme le diabète ou les cancers y progressent aussi, et leur prévention ou traitement pourront bénéficier des avancées de la génomique. De nouvelles études tentent également de comprendre comment les variations du génome peuvent interférer avec des virus, comme ces recherches menées par le scientifique sud-africain Veron Ramsuran : « Nous avons découvert qu’il existe des groupes d’individus capables de contrôler la progression du VIH et de garder une charge virale faible, sans être sous antirétroviraux. Donc, nous essayons d’identifier quelle mutation ou gène peuvent jouer un rôle chez ces individus. »
L’étude des variants des populations africaines ne révélera donc sans doute pas ses secrets tout de suite, mais il s’agit de ne pas rester en arrière, alors que la médecine de précision progresse. Sans compter que les techniques et le matériel utilisés permettent aussi de séquencer les virus - ce qui a été salutaire lors de la crise du Covid-19 - ou encore la biodiversité. Malgré la disparition des aides publiques américaines dans le domaine de la santé et l’aversion du président Donald Trump pour le mot « diversité », les chercheurs africains veulent continuer à être ambitieux et approfondir un peu plus notre connaissance du génome humain, dans sa globalité.
Pour le chercheur camerounais Ambroise Wonkam, cela engendre un grave manque d’équité : « Si nous ne connaissons pas les gènes qui sont les plus importants en termes de diagnostic des maladies génétiques des populations africaines, il est impossible pour moi, en tant que médecin généticien, de soigner un enfant africain de la même façon que je soigne un enfant européen » précise-t-il. Il se souvient que, lorsqu’il travaillait en Suisse, l’étude d’un seul gène lui permettait d’expliquer l’origine d’une surdité chez un enfant dans 50 % des cas. « Lorsque je suis retourné sur le continent africain, j’ai testé des enfants camerounais, ou des enfants sud-africains noirs, 0 % d'entre eux n’avaient de mutations dans ces gènes » a observé celui qui occupe aussi le poste de président de la Société africaine de génétique humaine (AfSHG).
« Le pourcentage des patients chez qui nous pouvons atteindre un diagnostic définitif est plus faible que le pourcentage qui peut en obtenir un en Europe ou en Amérique du Nord, en raison du manque de données chez nous, renchérit Aimé Lumaka, professeur de génétique à l’université de Kinshasa. ous comparons le profil de l’individu qui est venu chez nous, au profil génétique existant dans les bases de données, et comme nous ne retrouvons pas certains profils, nous ne connaissons pas la signification de certains profils génétiques africains. »
Des variants inconnus et des gènes plus diversifiés
L’absence de données freine, de plus, le développement de traitements pour les maladies génétiques qui touchent particulièrement le continent, comme la drépanocytose. Et elle est aussi une entrave à la recherche mondiale, puisque l’identification de variants peut avoir un intérêt, non seulement pour les diasporas africaines, mais aussi pour le reste des habitants. L’exemple le plus connu est celui de ce médicament anti-cholestérol développé grâce à l’étude de mutations génétiques chez certaines populations africaines qui présentaient un taux de cholestérol naturellement bas.
Car même si les êtres humains partagent à plus de 99,9 % un matériel génétique identique, les quelques variations restantes, qui ont eu lieu au cours des millénaires, peuvent avoir une grande influence sur notre santé. Et comme les indices des découvertes paléontologiques suggèrent que les premiers hommes étaient originaires d’Afrique, et que seule une partie d’entre eux ont ensuite peuplé le reste du monde, les gènes des différentes populations restées sur le continent sont plus diversifiés et renferment encore beaucoup de secrets, pour l’ensemble de l’humanité. « On aurait, en fait, besoin d’avoir plus de données africaines que de données du reste du monde », précise la généticienne sud-africaine Michele Ramsay. Parce que si on regarde l’évolution de notre espèce et les branches de notre lignée, quelqu’un d’Afrique de l’Ouest a plus de différences génétiques avec quelqu’un d’Afrique de l’Est, que quelqu’un d’Europe a avec quelqu’un d’Afrique de l’Est. Donc, on ne peut pas se contenter d’étudier, pour le continent, des données générales sur les personnes d’ascendance africaine, il faut des données beaucoup plus détaillées et régionales. »
Malgré ces besoins, les séquençages « ont été historiquement réalisés sur des populations d’origine européenne, regrette le scientifique ougandais Christopher Kintu, de l’université Queen Mary de Londres. Ce n’est pas surprenant, car cela demande beaucoup de temps, d’argent et de ressources, que l’on n’a pas forcément à disposition en Afrique. »
Cependant, depuis le tout premier décryptage d’un génome humain en 2001, la technologie a bien évolué. Alors que le premier séquençage complet avait exigé, à l’époque, 10 ans de travail et plus de 2 milliards de dollars, à l’heure actuelle, il suffit d’une poignée de jours et de moins de 1 000 dollars pour déchiffrer les lettres composant notre ADN, ce long filament qui forme nos 23 paires de chromosomes. Chacun de ces chromosomes porte des gènes, véritables manuels d’instruction cachés au cœur de nos cellules, afin que le corps puisse se développer et fonctionner.
Refléter pleinement la diversité africaine
Une initiative nommée « Hérédité et santé humaine en Afrique » (H3Africa), financée à hauteur de 176 millions de dollars par des fonds américains et britanniques, a permis de soutenir pendant 10 ans une cinquantaine de projets sur le continent. Mais maintenant que le programme a pris fin, certains scientifiques africains continuent de coordonner des travaux dans leur pays, pour combler le fossé en termes de données. En Afrique du Sud, un projet entend séquencer les génomes de quelque 110 000 individus. « On va d’abord commencer à séquencer environ 10 000 génomes d’un groupe de patients que l’on suit déjà sur le long terme, en guise de phase pilote, pour étudier la faisabilité »détaille Rizwana Mia qui coordonne cet effort. Cette première étape est financée par le gouvernement sud-africain.
Le Nigeria a des ambitions similaires et a commencé à collecter des échantillons, dans l’attente de financements pour lancer les séquençages. Le tout réalisé par des spécialistes locaux, afin de développer des compétences sur place et mettre un terme aux recherches « hélicoptère », où des scientifiques de pays occidentaux viennent quelques mois, réalisent leurs travaux, puis repartent. « Cela laisse l’impression aux chercheurs africains d’avoir été utilisés, et aussi aux participants, dont les échantillons et les données ont été collectés, souligne Deborah Ekusai Sebatta, de l’université ougandaise de Makerere. Or la recherche génomique est basée sur la confiance. »
Ambroise Wonkam aspire à aller plus loin, en créant, avec ses collègues Nicola Mulder, de l’université du Cap, et Christian Happi, de l’université nigériane Redeemer, des pôles de séquençage sur le continent : « Dix centres d’excellence sur les dix prochaines années, précise-t-il, Et chaque centre d’excellence sera équipé avec des ressources financières d’environ 10 millions de dollars par année. » Le projet prévoit, pour l'instant, de séquencer 300 000 génomes, même si, à terme, le professeur de l’université Johns Hopkins estime qu’il faudrait une base de données de 3 millions de participants afin de refléter pleinement la diversité africaine. Le lieu d’implantation du centre de coordination, qui devrait être soutenu par une fondation mondiale, pourrait toutefois provoquer des blocages politiques et des levées de boucliers : il devrait s’agir du Rwanda, accusé d'être impliqué dans le conflit à l'est de la République démocratique du Congo, notamment.
Quoi qu'il en soit, les généticiens locaux veulent dorénavant être à l’avant-garde de la recherche. Alors que les études progressent pour créer un pangénome, soit une sorte de grande cartographie des variations possibles, afin d’avoir une référence universelle, ils entendent bien y voir figurer les génomes africains, à la hauteur de leur diversité.
Et ce, même si la science génomique n’a pas encore tenu toutes ses promesses. Malgré les progrès significatifs réalisés ces dernières années, il reste encore un long chemin avant de comprendre les interactions très compliquées entre différentes mutations combinées ou avec des facteurs environnementaux. Les tests prédictifs, censés détecter des prédispositions pour des maladies, ont d’ailleurs, jusqu’à présent, montré leurs limites, et plus particulièrement dans le cas des populations africaines. De plus, « on fait des centaines, voire des milliers de découvertes génétiques, mais c’est beaucoup plus lent, après, pour en comprendre les conséquences et puis arriver jusqu’à un médicament »,tempère Philippe Froguel. Le professeur de l’Imperial College de Londres et de l’université de Lille en sait quelque chose : en 1998, il avait identifié un gène fréquent dans l’obésité, mais un médicament découlant de ces découvertes n’est arrivé sur le marché qu’il y a trois ans.
Alors est-ce la peine de développer ce champ en Afrique, tandis que le continent ploie déjà sous le poids des maladies infectieuses et que l’accès à de simples soins est inégalitaire et limité ? La réponse est oui pour les différents chercheurs interrogés, car les maladies chroniques comme le diabète ou les cancers y progressent aussi, et leur prévention ou traitement pourront bénéficier des avancées de la génomique. De nouvelles études tentent également de comprendre comment les variations du génome peuvent interférer avec des virus, comme ces recherches menées par le scientifique sud-africain Veron Ramsuran : « Nous avons découvert qu’il existe des groupes d’individus capables de contrôler la progression du VIH et de garder une charge virale faible, sans être sous antirétroviraux. Donc, nous essayons d’identifier quelle mutation ou gène peuvent jouer un rôle chez ces individus. »
L’étude des variants des populations africaines ne révélera donc sans doute pas ses secrets tout de suite, mais il s’agit de ne pas rester en arrière, alors que la médecine de précision progresse. Sans compter que les techniques et le matériel utilisés permettent aussi de séquencer les virus - ce qui a été salutaire lors de la crise du Covid-19 - ou encore la biodiversité. Malgré la disparition des aides publiques américaines dans le domaine de la santé et l’aversion du président Donald Trump pour le mot « diversité », les chercheurs africains veulent continuer à être ambitieux et approfondir un peu plus notre connaissance du génome humain, dans sa globalité.
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