L’histoire industrielle de notre pays aura été fortement marquée par la mise de l’économie sous « ajustement structurel » par le tandem FMI/Banque Mondiale. Les mesures prises pour assainir les finances publiques, éprouvées par des charges de trésorerie souvent improductives, ont eu pour effet collatéral la désindustrialisation du Sénégal.
L’ajustement structurel consista donc à expurger des dépenses publiques celles considérées comme improductives, de façon à dégager un surplus permettant de payer la dette. Au-delà, une politique à moyen terme d’ouverture de l’économie fût mise en place qui avait pour objectif d’asseoir les bases d’une stratégie d’exportations afin de rétablir les équilibres du commerce extérieur. Cet objectif n’aura pas été atteint dans la mesure où l’économie nationale reste encore, près de 40 ans après, essentiellement basée sur l’exportation brute de matières premières, et dominée par un secteur tertiaire représentant près de 60 % de contribution au PIB.
En vertu de quoi, nous estimons que caractériser la situation actuelle de notre économie par le terme de désindustrialisation ne saurait être exagéré. Cette désindustrialisation s’est opérée via des fermetures d’entreprises publiques et privées (bénéficiant de protections diverses) avec comme conséquences des destructions d’emplois et des pertes en savoir-faire, des pertes fiscales nettes, des suppléments de crédits bancaires contentieux ayant entraîné des fermetures de banques.
Si l’objectif de redressement des finances publiques aux fins de rembourser la dette a été atteint à ce prix, il reste que le volet “ouverture de l’économie” au marché mondial, accompagnée de libéralisation (pas d’intervention de l’Etat) et de privatisations, censé ouvrir nos entreprises au marché international et notre marché intérieur à la concurrence étrangère a fini de nous installer dans une fatale désindustrialisation. A titre d’exemple, le textile a subi la concurrence chinoise et les fripes ; exit le secteur de la bonneterie, du textile en général.
Le secteur de la confection est tombé et se relève périodiquement par à-coups (Sotexca), et des entreprises comme Sotiba et autres usines de fabrication de tissus ont disparu face à la concurrence chinoise. L’ouverture du marché, présentée comme un bol d’air, aura ainsi fini d’asphyxier ce qui restait du dispositif industriel, emportant avec lui les emplois, les savoirs acquis(et non transmis aux générations futures) et laissant sur le carreau des banques déjà affaiblies par la mal gouvernance, du fait de crédit devenus compromis dans leur remboursement.
Les importations en provenance de pays plus compétitifs en valeur absolue et relative (taux de change) se sont accrues et le marché intérieur a été accaparé par l’offre extérieure. Tous ces éléments ont sonné le glas du tissu industriel local constitué d’entreprises françaises déjà présentes au temps colonial, mais aussi de PME inscrites dans la stratégie d’ « import substitution », trop tôt sevrées de l’accompagnement institutionnel et de la protection de l’Etat.
Les entreprises publiques d’encadrement évoluant en particulier dans l’agriculture, comme l’ONCAD, qui fût d’un poids très lourd dans l’actif bancaire contentieux de l’époque, à l’origine de fermetures ou de restructuration coûteuses de banques, furent brutalement supprimées, souvent sans discernement. A la décharge de ces partenaires financiers, il faut dire convenir que si les finances publiques « avant ajustement » avaient été bien gérées, leur appui n’aurait pas été sollicité, ce qui met en cause la responsabilité des gouvernants de l’époque. Cette période d’ajustement a été durement ressentie par les agents économiques, mais aussi par ces gouvernants.
Les propos du président Abdou Diouf ne laissent planer aucun doute sur la dureté des mesures alors prises sur les populations. Rappelons à ce propos que l’expression “ajustement à visage humain” a été créée par lui en personne. L’ancien président socialiste dira d’ailleurs, dans une interview, avoir passé tous ses mandats présidentiels à « ajuster ». En écho, Alpha Oumar Konaré, président du Mali, avait insisté, quant à lui, sur le démantèlement industriel occasionné par les mesures d’ajustement structurel.
A partir des années 2000, suite à une dévaluation du FCFA, qui n’aura pas eu les effets escomptés en termes de rebond des exportations, faute d’une base industrielle pré existante et du fait d’une faible diversification de l’offre de produits, l’initiative fût laissée aux pays sous ajustement de proposer leurs propres plans de développement économique, dans un contexte de dégradation du pouvoir d’achat des populations du fait du chômage et de la perte de pouvoir d’achat induite par la dévaluation.
Des programmes sectoriels ont été proposés aux partenaires financiers, accompagnés de sous-programmes de lutte contre la pauvreté, c’est dire que les effets sociaux de ces politiques d’ajustement furent très rudes pour les populations. Dans le cadre de la gouvernance du président Macky Sall, le ministère du Développement industriel et des Petites et moyennes industries a tenu, courant juin 2021, avec la Banque Africaine de Développement, une réunion de validation d’une nouvelle stratégie d’industrialisation du Sénégal pour la période 2021-2035.Cette nouvelle politique industrielle, en voie d’opérationnalisation, s’appuie sans doute sur les conclusions de l’étude du cabinet Dalberg chargé d’en définir les contours et le contenu.
Le contexte pandémique, dont les leçons semblent avoir été tirées, a donné un surcroît d’élan à l’Etat du Sénégal pour revêtir son manteau d’Etat planificateur, interventionniste, ne laissant pas le marché dicter l’évolution des choses, contrairement à la période d’ajustement durant laquelle il lui était demandé de rester dans ses fonctions régaliennes. Les ressorts identifiés par l’étude en question sont plus particulièrement : la transformation des ressources agro-sylvo-pastorales et de la pêche, la transformation des ressources minérales et des hydrocarbures, le développement d’une industrie pharmaceutique et le développement des industries à haute intensité technologique et l’innovation.
Les leviers permettant de démarrer la machine ont également été définis. Il s’agit de l’amélioration de l’environnement des affaires, du renforcement des capacités techniques, technologiques et commerciales des unités industrielles, du développement du capital humain et de l’innovation industrielle, du développement du réseau d’infrastructures et l’accès au financement et à l’investissement au secteur privé. De ce rapport du cabinet Dalberg transparaît la volonté de ne plus exporter les matières premières du sol et du sous-sol sans qu’elles n’aient subi au préalable une transformation industrielle.
Le développement du capital humain est un levier essentiel duquel il est attendu l’amélioration des capacités techniques et technologiques. La transformation des matières premières agricoles a été identifiée comme un élément clé de l’industrialisation qui permettra d’assurer la souveraineté alimentaire du pays et contribuer à la transformation structurelle de l’économie par « l’émergence de produits à forte valeur ajoutée sur le marché local et à l’exportation ».
Sur la transformation agricole
La transformation agricole est attendue des Agropoles (Zone de Transformation Agro-industrielle) pour l’accélération de l’industrialisation régionale. La BAD est le partenaire financier chef de file de ce projet qui porte sur la création de trois pôles au nord, au sud et au centre du pays. Des financements ont déjà annoncés. Ainsi, 15 milliards de FCFA auraient déjà été « sécurisés » sous forme de don du royaume de Belgique, et la Banque africaine de développement (BAD) et la Banque européenne d’investissement (BEI) se seraient engagées pour des montants respectifs de 60 millions USD (environ 32 milliards de FCFA) et 50 millions d’euros (près de 33 milliards de FCFA).Le volet commercialisation est peu évoqué dans ce rapport et semble adossé à la réalisation de la Zone Economique de Libre Echange continentale africaine (ZLECAf).
En matière de réalisation, on en est à la recherche de partenaires techniques et financiers pour le financement, la réalisation et l’exploitation de l’Agropole Sud, pilotée par le FONSIS. La question de l’exportation des produits valorisés reste encore source d’interrogations lorsqu’on sait qu’à l’export la concurrence est âpre, du fait d’un déficit de compétitivité tant pour les facteurs de production qu’au niveau change. Dès lors, s’en remettre à la ZLECAF suppose la résolution au préalable de la question de la règle de l’origine africaine des biens et marchandises échangées dans la Zone, qui permettrait de leur faire bénéficier des concessions tarifaires et autres avantages.
Sur la mise en place des plateformes industrielles et zones économiques spéciales
Les zones économiques spéciales sont des espaces d’accueil d’activités économiques susceptibles d’offrir aux entreprises un ensemble d’infrastructures et de services afin de leur assurer les meilleures conditions d’exercice de leurs activités. La plateforme de Diamniadio, créée en 2018 et érigée en Zone Economique Spéciale, est prévue pour accueillir de nouveaux sites industriels pour accompagner le privé dans l’installation de petites et moyennes industries.
Cette formule a un goût de déjà vu avec la Zone franche industrielle, créée à l’époque du pouvoir socialiste pour les grandes entreprises à vocation exportatrice, et qui fît long feu. Avec aussi la SODIDA pour la promotion des PME/PMI, dont le succès se résuma aux réalisations infrastructurelles d’accueil de la première phase. L’accès aux marchés d’exportation, faute de compétitivité imputable au coût des facteurs, et au marché local, « dumpé » par des importations sauvages, a été le principal fossoyeur de ces tentatives de développement industriel.
Ces questions n’étant pas fondamentalement résolues face à une concurrence asiatique (Inde et Chine) très compétitive, il reste à prouver que cette politique d’industrialisation que l’Etat envisage de mettre en place durant la période 2021-2035 sera efficiente.
Sur la transformation des ressources minières
La Vision minière pour l’Afrique, adoptée en 2009 par les chefs d’Etat de l’Union Africaine, incite à l’abandon du modèle économique d’exportation à l’état brut des ressources extractives sans une transformation préalable, source de valeur ajoutée. Cette vision, qui inclut l’implication du secteur privé national dans le secteur, se heurte à l’absence de surface financière des opérateurs privés locaux, mais également aux difficultés d’accès au crédit bancaire.
C’est pourquoi, l’Etat devrait initier cette politique en prenant une plus grande part au capital des sociétés minières attributaires de concessions et à la rétrocession partielle de ses actions au privé sous forme de prêts participatifs. Cela supposerait que l’Etat ne se limite pas aux taux de participation habituel de 10 %.
Sur l’établissement des mécanismes de financement des Petites et Moyennes Industries (PMI)
Pour l’instant, seule la DER (Délégation à l’Entreprenariat Rapide des femmes et des jeunes) peut être considérée comme assumant le risque PME sans prise de garanties réelles, puisque n’utilisant pas les dépôts de clients pour faire du crédit.
Cependant, au-delà du financement, il s’agit d’assurer la promotion et l’encadrement des PME/PMI. Dans une précédente contribution, nous avions fait remarquer que la faiblesse du taux de bancarisation était liée à la politique sélective des banques en matière d’ouverture de comptes, et à l’absence d’informations comptables fiables pour l’octroi de crédits.
Ces écueils, difficilement surmontables par des PME n’ayant pas la surface financière pour supporter les coûts de tenue d’une comptabilité fiable, devraient au préalable être supprimés avec la création de structures idoines de soutien financées par l’Etat. En définitive, le contexte mondial d’un commerce extérieur dominé par les pays émergents, en particulier la Chine et l’Inde, rend mal aisée toute politique d’industrialisation basée sur des produits « standard ».
La question du coût des facteurs de production est un élément important dans la prise de décision d’investissement. Les délocalisations d’entreprises, dans une stratégie plus large de « transnationalisation » du capital, induisent une circulation des investissements étrangers au gré des pays, en fonction de la rentabilité optimale attendue par les détenteurs de capitaux. Des matières premières acquises à moindre coût sur le continent seront transformées dans des pays où les coûts de production sont moindres, ce qui transfèrerait l’emploi dans ces pays.
Au regard de l’importance des volumes de ressources financières à mobiliser, il est à craindre que les infrastructures ne profitent pas au secteur privé fort dont l’émergence est souhaitée par les pouvoirs publics. Par conséquent, la transformation industrielle devrait d’abord privilégier la matière première dont le traitement ne requiert pas de techniques complexes et porter sur des techniques davantage utilisatrices de main d’œuvre.
Les produits de cette « petite transformation » basée au départ sur la matière agricole, alimenteraient le commerce régional moins coercitif en matière de standardisation, par conséquent plus accessible. Dans cette perspective, l’opérationnalisation de la ZLECAf s’avère être une bouée de sauvetage pour l’industrie africaine en général, et l’industrie du Sénégal en particulier.
Par Abdoul Aly Kane, chroniqueur économique
L’ajustement structurel consista donc à expurger des dépenses publiques celles considérées comme improductives, de façon à dégager un surplus permettant de payer la dette. Au-delà, une politique à moyen terme d’ouverture de l’économie fût mise en place qui avait pour objectif d’asseoir les bases d’une stratégie d’exportations afin de rétablir les équilibres du commerce extérieur. Cet objectif n’aura pas été atteint dans la mesure où l’économie nationale reste encore, près de 40 ans après, essentiellement basée sur l’exportation brute de matières premières, et dominée par un secteur tertiaire représentant près de 60 % de contribution au PIB.
En vertu de quoi, nous estimons que caractériser la situation actuelle de notre économie par le terme de désindustrialisation ne saurait être exagéré. Cette désindustrialisation s’est opérée via des fermetures d’entreprises publiques et privées (bénéficiant de protections diverses) avec comme conséquences des destructions d’emplois et des pertes en savoir-faire, des pertes fiscales nettes, des suppléments de crédits bancaires contentieux ayant entraîné des fermetures de banques.
Si l’objectif de redressement des finances publiques aux fins de rembourser la dette a été atteint à ce prix, il reste que le volet “ouverture de l’économie” au marché mondial, accompagnée de libéralisation (pas d’intervention de l’Etat) et de privatisations, censé ouvrir nos entreprises au marché international et notre marché intérieur à la concurrence étrangère a fini de nous installer dans une fatale désindustrialisation. A titre d’exemple, le textile a subi la concurrence chinoise et les fripes ; exit le secteur de la bonneterie, du textile en général.
Le secteur de la confection est tombé et se relève périodiquement par à-coups (Sotexca), et des entreprises comme Sotiba et autres usines de fabrication de tissus ont disparu face à la concurrence chinoise. L’ouverture du marché, présentée comme un bol d’air, aura ainsi fini d’asphyxier ce qui restait du dispositif industriel, emportant avec lui les emplois, les savoirs acquis(et non transmis aux générations futures) et laissant sur le carreau des banques déjà affaiblies par la mal gouvernance, du fait de crédit devenus compromis dans leur remboursement.
Les importations en provenance de pays plus compétitifs en valeur absolue et relative (taux de change) se sont accrues et le marché intérieur a été accaparé par l’offre extérieure. Tous ces éléments ont sonné le glas du tissu industriel local constitué d’entreprises françaises déjà présentes au temps colonial, mais aussi de PME inscrites dans la stratégie d’ « import substitution », trop tôt sevrées de l’accompagnement institutionnel et de la protection de l’Etat.
Les entreprises publiques d’encadrement évoluant en particulier dans l’agriculture, comme l’ONCAD, qui fût d’un poids très lourd dans l’actif bancaire contentieux de l’époque, à l’origine de fermetures ou de restructuration coûteuses de banques, furent brutalement supprimées, souvent sans discernement. A la décharge de ces partenaires financiers, il faut dire convenir que si les finances publiques « avant ajustement » avaient été bien gérées, leur appui n’aurait pas été sollicité, ce qui met en cause la responsabilité des gouvernants de l’époque. Cette période d’ajustement a été durement ressentie par les agents économiques, mais aussi par ces gouvernants.
Les propos du président Abdou Diouf ne laissent planer aucun doute sur la dureté des mesures alors prises sur les populations. Rappelons à ce propos que l’expression “ajustement à visage humain” a été créée par lui en personne. L’ancien président socialiste dira d’ailleurs, dans une interview, avoir passé tous ses mandats présidentiels à « ajuster ». En écho, Alpha Oumar Konaré, président du Mali, avait insisté, quant à lui, sur le démantèlement industriel occasionné par les mesures d’ajustement structurel.
A partir des années 2000, suite à une dévaluation du FCFA, qui n’aura pas eu les effets escomptés en termes de rebond des exportations, faute d’une base industrielle pré existante et du fait d’une faible diversification de l’offre de produits, l’initiative fût laissée aux pays sous ajustement de proposer leurs propres plans de développement économique, dans un contexte de dégradation du pouvoir d’achat des populations du fait du chômage et de la perte de pouvoir d’achat induite par la dévaluation.
Des programmes sectoriels ont été proposés aux partenaires financiers, accompagnés de sous-programmes de lutte contre la pauvreté, c’est dire que les effets sociaux de ces politiques d’ajustement furent très rudes pour les populations. Dans le cadre de la gouvernance du président Macky Sall, le ministère du Développement industriel et des Petites et moyennes industries a tenu, courant juin 2021, avec la Banque Africaine de Développement, une réunion de validation d’une nouvelle stratégie d’industrialisation du Sénégal pour la période 2021-2035.Cette nouvelle politique industrielle, en voie d’opérationnalisation, s’appuie sans doute sur les conclusions de l’étude du cabinet Dalberg chargé d’en définir les contours et le contenu.
Le contexte pandémique, dont les leçons semblent avoir été tirées, a donné un surcroît d’élan à l’Etat du Sénégal pour revêtir son manteau d’Etat planificateur, interventionniste, ne laissant pas le marché dicter l’évolution des choses, contrairement à la période d’ajustement durant laquelle il lui était demandé de rester dans ses fonctions régaliennes. Les ressorts identifiés par l’étude en question sont plus particulièrement : la transformation des ressources agro-sylvo-pastorales et de la pêche, la transformation des ressources minérales et des hydrocarbures, le développement d’une industrie pharmaceutique et le développement des industries à haute intensité technologique et l’innovation.
Les leviers permettant de démarrer la machine ont également été définis. Il s’agit de l’amélioration de l’environnement des affaires, du renforcement des capacités techniques, technologiques et commerciales des unités industrielles, du développement du capital humain et de l’innovation industrielle, du développement du réseau d’infrastructures et l’accès au financement et à l’investissement au secteur privé. De ce rapport du cabinet Dalberg transparaît la volonté de ne plus exporter les matières premières du sol et du sous-sol sans qu’elles n’aient subi au préalable une transformation industrielle.
Le développement du capital humain est un levier essentiel duquel il est attendu l’amélioration des capacités techniques et technologiques. La transformation des matières premières agricoles a été identifiée comme un élément clé de l’industrialisation qui permettra d’assurer la souveraineté alimentaire du pays et contribuer à la transformation structurelle de l’économie par « l’émergence de produits à forte valeur ajoutée sur le marché local et à l’exportation ».
Sur la transformation agricole
La transformation agricole est attendue des Agropoles (Zone de Transformation Agro-industrielle) pour l’accélération de l’industrialisation régionale. La BAD est le partenaire financier chef de file de ce projet qui porte sur la création de trois pôles au nord, au sud et au centre du pays. Des financements ont déjà annoncés. Ainsi, 15 milliards de FCFA auraient déjà été « sécurisés » sous forme de don du royaume de Belgique, et la Banque africaine de développement (BAD) et la Banque européenne d’investissement (BEI) se seraient engagées pour des montants respectifs de 60 millions USD (environ 32 milliards de FCFA) et 50 millions d’euros (près de 33 milliards de FCFA).Le volet commercialisation est peu évoqué dans ce rapport et semble adossé à la réalisation de la Zone Economique de Libre Echange continentale africaine (ZLECAf).
En matière de réalisation, on en est à la recherche de partenaires techniques et financiers pour le financement, la réalisation et l’exploitation de l’Agropole Sud, pilotée par le FONSIS. La question de l’exportation des produits valorisés reste encore source d’interrogations lorsqu’on sait qu’à l’export la concurrence est âpre, du fait d’un déficit de compétitivité tant pour les facteurs de production qu’au niveau change. Dès lors, s’en remettre à la ZLECAF suppose la résolution au préalable de la question de la règle de l’origine africaine des biens et marchandises échangées dans la Zone, qui permettrait de leur faire bénéficier des concessions tarifaires et autres avantages.
Sur la mise en place des plateformes industrielles et zones économiques spéciales
Les zones économiques spéciales sont des espaces d’accueil d’activités économiques susceptibles d’offrir aux entreprises un ensemble d’infrastructures et de services afin de leur assurer les meilleures conditions d’exercice de leurs activités. La plateforme de Diamniadio, créée en 2018 et érigée en Zone Economique Spéciale, est prévue pour accueillir de nouveaux sites industriels pour accompagner le privé dans l’installation de petites et moyennes industries.
Cette formule a un goût de déjà vu avec la Zone franche industrielle, créée à l’époque du pouvoir socialiste pour les grandes entreprises à vocation exportatrice, et qui fît long feu. Avec aussi la SODIDA pour la promotion des PME/PMI, dont le succès se résuma aux réalisations infrastructurelles d’accueil de la première phase. L’accès aux marchés d’exportation, faute de compétitivité imputable au coût des facteurs, et au marché local, « dumpé » par des importations sauvages, a été le principal fossoyeur de ces tentatives de développement industriel.
Ces questions n’étant pas fondamentalement résolues face à une concurrence asiatique (Inde et Chine) très compétitive, il reste à prouver que cette politique d’industrialisation que l’Etat envisage de mettre en place durant la période 2021-2035 sera efficiente.
Sur la transformation des ressources minières
La Vision minière pour l’Afrique, adoptée en 2009 par les chefs d’Etat de l’Union Africaine, incite à l’abandon du modèle économique d’exportation à l’état brut des ressources extractives sans une transformation préalable, source de valeur ajoutée. Cette vision, qui inclut l’implication du secteur privé national dans le secteur, se heurte à l’absence de surface financière des opérateurs privés locaux, mais également aux difficultés d’accès au crédit bancaire.
C’est pourquoi, l’Etat devrait initier cette politique en prenant une plus grande part au capital des sociétés minières attributaires de concessions et à la rétrocession partielle de ses actions au privé sous forme de prêts participatifs. Cela supposerait que l’Etat ne se limite pas aux taux de participation habituel de 10 %.
Sur l’établissement des mécanismes de financement des Petites et Moyennes Industries (PMI)
Pour l’instant, seule la DER (Délégation à l’Entreprenariat Rapide des femmes et des jeunes) peut être considérée comme assumant le risque PME sans prise de garanties réelles, puisque n’utilisant pas les dépôts de clients pour faire du crédit.
Cependant, au-delà du financement, il s’agit d’assurer la promotion et l’encadrement des PME/PMI. Dans une précédente contribution, nous avions fait remarquer que la faiblesse du taux de bancarisation était liée à la politique sélective des banques en matière d’ouverture de comptes, et à l’absence d’informations comptables fiables pour l’octroi de crédits.
Ces écueils, difficilement surmontables par des PME n’ayant pas la surface financière pour supporter les coûts de tenue d’une comptabilité fiable, devraient au préalable être supprimés avec la création de structures idoines de soutien financées par l’Etat. En définitive, le contexte mondial d’un commerce extérieur dominé par les pays émergents, en particulier la Chine et l’Inde, rend mal aisée toute politique d’industrialisation basée sur des produits « standard ».
La question du coût des facteurs de production est un élément important dans la prise de décision d’investissement. Les délocalisations d’entreprises, dans une stratégie plus large de « transnationalisation » du capital, induisent une circulation des investissements étrangers au gré des pays, en fonction de la rentabilité optimale attendue par les détenteurs de capitaux. Des matières premières acquises à moindre coût sur le continent seront transformées dans des pays où les coûts de production sont moindres, ce qui transfèrerait l’emploi dans ces pays.
Au regard de l’importance des volumes de ressources financières à mobiliser, il est à craindre que les infrastructures ne profitent pas au secteur privé fort dont l’émergence est souhaitée par les pouvoirs publics. Par conséquent, la transformation industrielle devrait d’abord privilégier la matière première dont le traitement ne requiert pas de techniques complexes et porter sur des techniques davantage utilisatrices de main d’œuvre.
Les produits de cette « petite transformation » basée au départ sur la matière agricole, alimenteraient le commerce régional moins coercitif en matière de standardisation, par conséquent plus accessible. Dans cette perspective, l’opérationnalisation de la ZLECAf s’avère être une bouée de sauvetage pour l’industrie africaine en général, et l’industrie du Sénégal en particulier.
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