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Dette intérieure au Sénégal: les entreprises BTP crient leur ras-le-bol

On croyait ce dossier définitivement clos du moins depuis que l’AFD a consenti au gouvernement un prêt de 82 milliards de francs Cfa destiné à éponger la dette intérieure qui a fait l’objet de moult contradictions et autres polémiques. Les entreprises du Btp remettent le dossier sur le tapis et réclament toujours les sous. Lorsque le Cde (Consortium d’entreprise) parle de 10 milliards de F Cfa que l’Etat lui devrait, la CNES (Confédération nationale des employeurs du Sénégal) souligne que 14 entreprises membres courent derrière 28 milliards de F Cfa dont l’entreprise GEAUR qui réclame 300 millions de F Cfa depuis 2005.



Dette intérieure au Sénégal: les entreprises BTP crient leur ras-le-bol
« Je n’ai aucune crainte. C’est une certitude que je vais être payé. Mon argent me sera payé avec des intérêts. Je vous le garantis. » Le patron de l’Entreprise Jean Lefebvre Sénégal (Ejls), Bara Tall, s’exprimait ainsi le 22 juillet dernier à l’occasion d’une conférence de presse de la Cnes (Confédération nationale des employeurs du Sénégal), qui faisait suite à une sortie du ministre de l’Economie et des Finances qui affirmait que l’Etat ne doit plus rien aux entreprises de Btp. Aujourd’hui encore, le syndicat patronal persiste et signe. 14 entreprises du secteur du Bâtiment et des Travaux Publiques (Btp) courraient toujours derrière 28 milliards de F Cfa. Le Secrétaire Permanent du Snbtp à qui nous avons posé la question, a tenu à préciser que « cette somme réclamée fait partie de la dette légale du moment que les entreprises ont participé à des appels d’offre qu’elles ont gagné ». Ce qui leur a permis de « réaliser, et exécuter des travaux qui ont été réceptionnés ». Cette précision doit faire allusion à la dette dite « hors budget » que le cabinet d’audit Mamina Camara a estimé à 45 milliards de F Cfa.

Entretemps, rappelons-le, le patron de Jean Lefebvre Bara Tall qui a refusé de se laisser enterrer vivant et a multiplié les sorties dans la presse, a reçu deux milliards de F Cfa de l’Apix, sur les douze milliards de F Cfa que lui devrait l’Etat sénégalais à travers ses démembrements.

Dans ce même contexte, le cas de l’entreprise Cde (Consortium d’entreprise) apparaît autrement plus délicat de sorte que l’entreprise tente de se redéployer en Mauritanie, en Guinée, en Guinée-Bissau, au Bénin. Hors Tva, l’Etat et ses démembrements lui devraient une dizaine de milliards de F Cfa. Les retards de paiements seraient constatés dans la construction du Palais de justice de Dakar entamée en 1997, l’édification des hôpitaux Dalal Diam à Guédiawaye, de Ziguinchor et Fatick, du stade Amadou Barry et de la Direction de l’automatisation du fichier (Daf).

Interpellé sur le cas de Cde, M. Kader Ndiaye, président du Snbtp, affirme que le dossier concernant le reste d’argent que l’État doit aux entreprises n’a pas beaucoup évolué. M. Ndiaye de rappeller que la dernière estimation de cette manne s’élevait à 30 milliards de F Cfa. Il informe que : « selon les dernières informations reçues, seule l’Apix a remis deux milliards de F Cfa à l’Entreprise Jean Lefebvre sur les 12 milliards de F Cfa qu’elle lui doit ».

Ces mêmes informations sont confirmées par M. Oscar Badji, Secrétaire Permanent du Snbtp qui a en charge ce dossier au niveau de son organisation. Selon lui, depuis le mois d’août dernier, la situation n’a pas évolué. « Il ya peut être des entreprises qui ne sont pas affiliées à notre organisation qui ont été payées. A notre niveau, à part l’entreprise Jean Lefebvre qui a reçu deux milliards de l’Apix sur une dette de 12 milliards, rien n’a changé ». Ce qui, à son avis, « confirme que l’État doit toujours de l’argent au secteur privé ».

Si pour Jean Lefebvre Sénégal son patron s’est largement exprimé à travers la presse sur le détail de ses créances vis-à-vis de l’Etat, une visite au niveau des chantiers de Cde nous a permis de rencontrer les différents responsables qui ont tenu à nous faire le compte.

Palais de Justice, une créance d’un milliard veille d’un an

Sur le marché pour l’édification du nouveau palais de justice de Dakar, gagné en 1997 sous le régime socialiste et exécuté progressivement depuis cette date, l’Etat du Sénégal resterait devoir à Cde environ un milliard de F Cfa. Une vieille créance, précise Fourzoli Souheil, directeur général adjoint, chargé des finances et de l’administration. En définitive la Cde subit, avec cette dette impayée, un préjudice financier plus important avec les frais financiers et les frais généraux relatifs à l’immobilisation de matériel, le gardiennage etc., qu’elle a payés pendant dix ans. “Quelle est l’entreprise qui peut sortir bénéficiaire d’une telle opération ?“, s’interroge Moctar Diaw, directeur du marketing et des ressources humaines. Et de répondre : “ça n’existe pas“. “Il n’y a que la banque qui a gagné“, renchérit Fourzoli Souheil.

Par ailleurs, concernant la Direction de l’automatisation des fichiers(Daf), la Cde qui avait été appelée à la rescousse suite à la défaillance de l’entreprise initialement choisie, a exécuté les travaux. A ce jour, elle n’aurait reçu qu’un montant de 107 millions de F Cfa sur les 900 millions de F Cfa du contrat. Selon Fourzoli Souheil, « Il n’ y avait pas de crédits. Malgré les écrits, les engagements pris par le ministère de l’Intérieur (Ousmane Ngom à l’époque), nous n’avons jamais pu encaisser ni dans le budget national, ni dans les lois de finances rectificatives, le restant de la somme. Le dossier a fini par atterrir à l’Inspection générale d’Etat. Le cabinet Camara qui a été commis a pu constater aussi tout ce qui a été réalisé par l’entreprise. Nous espérons rentrer dans nos fonds avec la loi de finances rectificative 2009“, déclare-t-il.

Et alors que la Banque islamique du Sénégal (Bis) qui avait préfinancé les travaux a demandé, au bout de plus de deux ans à Cde qui n’avait rien perçu de l’Etat, de rembourser, explique Fourzoli Souheil, « Cde a ainsi fini par supporter tous les frais financiers qui se sont greffés aux crédits que la banque avait mis en place. »

Hôpital Dalal Diam : marché en petites taxes


Faisant toujours le compte des créances de Cde, Fourzoli Souheil fait état du stade Amadou Barry de Guédiawaye qui est le troisième projet exécuté par l’entreprise, à partir de 2006. “Là également, Cde a travaillé pendant un an, pour terminer les travaux en 2008, malgré les arrêts de travaux parce qu’ils (Etat et ses démembrements) n’avaient pas d’argent pour nous payer. Finalement nous traînons depuis 2008, une créance de 400 million de F Cfa sur lequel, nous venons d’encaisser 200 millions. Nous espérons encaisser le reste avant la fin de l’année“, souligne Fourzoli Souheil. Autre scénario pour ce qui est de l’Hôpital Dalal Diam. Pour son exécution, ce marché avait été présenté, à la direction de Cde hors taxe, hors douane. C’est bien après le démarrage des travaux que le ministre des Finances a exigé de le passer en toutes taxes, selon Fourzoli Souheil. Cde a ainsi perdu huit mois à attendre que l’avenant soit soumis à la Direction centrale des marchés publics (Dcmp). Depuis la semaine dernière, confie le directeur général adjoint de Cde, “le projet d’avenant est à la Dcmp pour approbation. Le Cde n’attend plus que cette approbation pour terminer cet hôpital de 300 lits“ qui, indique-t-il, est une “urgence et une priorité pour la banlieue“. Présentement le marché est arrêté jusqu’à ce que l’Etat le passe à Cde, en petites taxes, c’est-à-dire le droit de douane et la Tva. Pour les hôpitaux de Fatick et de Ziguinchor, Cde vient de démarrer les travaux avec une avance de 1 milliard de F Cfa. Le consortium se trouve confronté aux mêmes problèmes. “Nous avons introduit une demande d’avance, mais, il n’y a pas de crédits pour le moment. On nous fait signer des marchés mais les crédits ne suivent pas“, précise, Fourzoli Souheil. Le Dg adjoint chargé des finances et de l’administration de Cde, explique : “nous pouvons nous faire financer par les banques, mais il y a une limite, un plafond au-delà duquel, en fonction de chaque marché, nous ne pouvons plus demander à la banque. Il faut impérativement que l’argent rentre pour qu’elle accepte de prêter à nouveau“.

Maison de la presse, travaux suspendus faute d’argent

Les travaux de la « Maison de la presse » piétine et pour cause : il n’y a pas d’argent ! Là également, explique le responsable de Cde, « nous avions bien démarré. La banque (Bsic) nous avait autorisé 500 millions de F Cfa de crédits. Nous avons travaillé pour 900 millions et encaissé 380 millions fin juillet. Mais ça n’a pas suffi à rembourser l’intégralité“. Fourzoli Souheil dit avoir la promesse dans la prochaine semaine. Seulement, le risque demeure et selon lui, “Dès que l’Etat soldera notre compte, nous allons reprendre les travaux. Et nous allons travailler jusqu’à hauteur de 600 à 700 millions FCfa, puisque la banque nous prête 500 millions. Quand nous allons travailler jusqu’à hauteur de 600 millions et qu’on ne nous paie pas, nous allons à nouveau arrêter les travaux“, indique Fourzoli Souheil. A moins d’emprunter d’autres voies, renchérit Moctar Diaw. Par exemple, en utilisant les crédits destinés à d’autres chantiers. C’est ce qu’on appelle vulgairement en wolof “soul bouki, soully bouki“.

Avec amertume, Moctar Diaw écarte ce procédé qui est de nature à désorganiser complètement le fonctionnement de la société au plan financier. Et si “nous n’avons pas de chance, nous courons le risque d’aller directement vers une cessation de paiement. C’est très dangereux. Ça peut mettre une entreprise carrément à la rue“, souligne Moctar Diaw, qui ajoute qu’un “Etat qui a des règles de fonctionnement doit avoir conscience qu’une entreprise est une entité qui a aussi ses règles de fonctionnement. C’est ainsi que nous pouvons travailler ensemble. Si nous n’avons plus la possibilité de compter sur l’Etat par rapport à un certain nombre d’engagements qu’il prend avec nous, ce n’est plus la peine“. Pour rappel, le coût global de la Maison de la presse est estimé à 5 milliards de F Cfa. Les crédits étaient répartis comme suit : Deux milliards pour l’année et trois milliards et demi pour l’année 2010.

“L’Anoci nous doit 650 millions “

L’Agence nationale pour l’organisation de la conférence islamique (Anoci) également doit à Cde 650 millions FCfa. Du moins selon les responsables du Cde. Il se trouve que le bureau d’études (Setico/Taep) refusait de signer le décompte. Moctar Diaw explique : “Le bureau d’études qui tarde à être payé a alors décidé de ne pas viser notre décompte tant qu’il n’est pas rentré dans ses fonds. » Pourtant, poursuit M. Diaw, « ce marché s’est fait sur financement de fonds koweitien. Autrement dit, l’argent est disponible. Il suffit juste d’appeler au niveau du décaissement. Mais nous avons été pratiquement pris en otage pendant un an par ce bureau d’études qui a refusé de signer notre décompte tant que lui-même n’a pas reçu ce que l’Anoci lui devait“. “C’est la situation la plus aberrante que nous n’avons jamais vécu“, regrette Fourzoli Souheil.. Quid des frais financiers que Cde a payés pendant un an ? “Nous sommes en droit de les réclamer à l’Anoci, mais bon…“, répond Fourzoli Souheil.

La liste des chantiers est loin d’être exhaustive parce qu’il y a aussi des routes que Cde construit en Casamance avec l’Aatr, la Banque mondiale. Là également, les sommes sont importantes parce que confie, Fourzoli Souheil, “on nous doit 400 millions FCfa d’arriérés même si, précise-t-il, c’est un chantier que nous arrivons à faire tourner, parce que son financement c’est 70 % Bad et 30 % Etat du Sénégal. Nous y arrivons en rotation avec les crédits de la banque“.

La problématique de la Tva

Travaillant avec l’Etat qui est son principal client (Cde fait 85% de son chiffre d’affaires avec l’Etat), le Consortium souffre aussi de la Taxe sur la valeur ajoutée (Tva). Sur tous les projets avec l’Etat, Cde ne recevrait que des attestations de précompte de Tva. Pourtant la caisse de la Tva est alimentée. Si elle ne l’est pas, toutes les sommes se cumulent.

« Le ministère des Finances, via la Direction de la dette et des investissements, souligne Fourzoli Souheil, est normalement chargé de nous remettre les attestations de précompte, pour chaque décompte que nous facturons à l’Etat. Malheureusement, cela traîne souvent pendant un voire deux ans avant que nous puissions avoir notre attestation“. Et d’ajouter, “les sommes cumulées de cette Tva dépassent 3 milliards de FCfa. Ce qui nous met dans une position très fragile du point de vue de la trésorerie“.

Le fonctionnement de Cde étant essentiellement basé sur les crédits, si demain, les banques décident d’arrêter de lui en accorder, le consortium risque de fermer boutique et d’envoyer 3000 employés au chômage.

De même, en attendant de voir le sort qui sera réservé à ses membres concernés, le Snbtp continue d’évaluer les conséquences qu’engendre cette situation délétère. Selon M. Badji, « il y a des entreprises qui étaient obligées de diminuer leur personnel parce qu’il y a arrêt de travail. Ces entreprises n’arrivent plus à honorer leurs obligations sociales envers leurs employés et financières envers les banques ». A cela, le Secrétaire Permanent du Snbtp ajoute la pression fiscale et une asphyxie financière que subissent ces mêmes entreprises.

Il n’empêche, « si cette situation perdure, il faut s’attendre à des licenciements imminents », prévient M. Badji. Selon lui, « le paradoxe est flagrant quand l’État dit qu’il considère le secteur privé comme le moteur de croissance alors qu’il laisse les entreprises traverser des difficultés pareilles, surtout les Pme ». Aussi, c’est avec désolation que M. Badji constate les dégâts « pour un secteur jadis moteur de la croissance au Sénégal ». Oscar Badji de rappeler néanmoins que « Lors des négociations tripartites, le secteur privé avait posé comme conditionnalité le règlement de la dette avant de parvenir à la généralisation de la hausse des salaires. On espère que l’État respectera ses engagements ».

Bacary Dabo et A. Thiam (Sud)

Jeudi 29 Octobre 2009 - 07:55


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