« Touadéra qui ? ». Les chancelleries sont tombées des nues lorsque le nom de l’ancien Premier ministre est sorti des urnes, au coude-à-coude avec le principal favori du premier tour de la présidentielle centrafricaine.
Mathématicien taciturne et dernier Premier ministre de François Bozizé (2008-2013), Faustin Archange Touadéra a créé la surprise le 30 décembre dernier, en se plaçant parmi les deux candidats en tête. Avec 19,05% des voix, le candidat Touadéra qui a fait une campagne discrète talonne Anicet Georges Dologuélé qui, lui, a confirmé son statut de favori en obtenant 23,74% des suffrages exprimés. Le duo arrive loin devant les poids lourds tels que Désiré Kolingba, Martin Ziguélé ou Jean-Serge Bokassa qui misaient sur leur visibilité politique et leurs batteries de communicants pour figurer parmi les deux premiers.
« Comment Touadéra peut-il arriver en tête alors qu’il n’a quasiment pas battu campagne, que ce soit à Bangui ou en province », s’étonnaient les candidats malheureux au lendemain de la publication des résultats. L’homme aurait fait si peu campagne qu’il a même eu le temps d’aller enseigner à l’université de Bangui où il est professeur de mathématiques depuis les années 1980. Alors, d’où vient sa popularité ? Selon Roland Marchal, spécialiste de l’Afrique centrale, « Touadéra est très apprécié des fonctionnaires centrafricains, car c’est sous sa primature que leurs salaires ont été bancarisés assurant qu’ils soient payés régulièrement. Il reste comme celui qui a payé les fonctionnaires ».
La reconnaissance éternelle des 26 000 fonctionnaires que compte la Centrafrique, doublée du soutien massif enregistré dans certaines provinces occidentales, fait de ce politicien discret un sérieux outsider au second tour. Celui-ci devrait se dérouler le 14 février, sauf nouveau report. La question est désormais sur toutes les lèvres : lequel des deux rivaux réussira à emporter la conviction des Centrafricains ? « D’autant que ceux-ci se sont révélés des électeurs sophistiqués, mus moins par la campagne des communicants des poids lourds que par la personnalité et le background des candidats, explique Thierry Vircoulon, un ancien de l’International Crisis Group, dont il a supervisé le dernier rapport 2015 sur la crise en Centrafriqu e. Les Centrafricains votent en leur âme et conscience. »
« Enorme avantage »
Déchirée par des violences intercommunautaires, la Centrafrique traverse une crise sans précédent depuis le renversement en mars 2013 de son dernier président François Bozizé par la rébellion Seleka, qui a depuis abandonné le pouvoir. Le pays a sombré dans le chaos, ponctué par des tueries de masse. Le processus électoral lancé sous l’égide d’un gouvernement de transition est vécu par la population comme leur dernière chance. Chrétiens, musulmans ou animistes, tous savent que l’enjeu est la survie même de la Centrafrique comme nation. Ils veulent donc tous faire le bon choix et élire un président capable de ramener la paix. « Qu’on n’entende plus les armes», disent-ils.
Chacun à sa façon, les deux adversaires du second tour de la présidentielle veulent répondre à ces attentes de sécurité et réconciliation de leurs compatriotes. Malgré les différences de moyens qui les séparent, « Anicet Georges Dologuélé et Faustin Archange Touadéra ont beaucoup de choses en commun, déclare Roland Marchal. Ils ont été tous les deux Premier ministre, le premier celui du président Ange-Félix Patassé et le second celui de François Bozize. Ils ont aussi cet énorme avantage de ne pas avoir été entachés par les tueries et les violences qui ont ensanglanté la Centrafrique depuis 2013. Enfin, ils se partagent la sympathie du Kwa na Kwa (KNK), parti proche de l’ancien président François Bozizé, vivant aujourd’hui en exil en Ouganda, mais qui a gardé sa mainmise sur l’appareil politique à Bangui. Un soutien qui n’est pas allé de soi pour tout le monde. »
En effet, l’annonce du soutien apporté par le KNK de Bozizé à Dologuélé a été un tournant dans la campagne électorale du premier tour. Exclu de la présidentielle en raison des sanctions internationales et d’un mandat d’arrêt émis à son encontre par les autorités de transition, l’ex-président centrafricain Bozizé a boosté la campagne de Dologuélé en appelant ses partisans à voter pour ce dernier. Dologuélé faisait déjà la course en tête, mais souffrait de l’absence d’une assise nationale, comme ce que pouvait lui proposer le KNK, solidement implanté dans toutes les préfectures de province et dans la capitale. L’alliance tombait à pic.
Paradoxalement, cet accord a peut-être aussi sauvé la candidature de Faustin Archange Touadéra qui a réalisé de très bons scores dans les fiefs de François Bozizé, malgré les directives de son parti. « Comme on pouvait s’y attendre, explique Thierry Vircoulon,l’alliance Bozize–Dologuélé a fait grincer des dents notamment dans l’électorat traditionnel du KNK, proche des milices chrétiennes. Ils se sont vengés en votant pour Touadéra et risquent de faire de même au second tour. » Récemment, les organes de base du KNK sont allés jusqu’à dénoncer publiquement l’accord électoral signé par leur parti.
Une alliance pragmatique et problématique
Pour électoralement stratégique qu’elle soit, cette alliance entre François Bozizé dont
se réclament certaines milices anti-balaka, et Anicet Georges Dologuélé qui, lui, se présente comme « un homme au-dessus des clivages », est problématique, car elle jette un doute sur la sincérité du souci de rassemblement de ce dernier. Pourtant, sur ce terrain, l’ancien Premier ministre a fait un parcours quasiment sans faute.
L’Union pour le Renouveau centrafricain (Urca), le parti que Dologuélé a créé en 2013 pour porter sa candidature, est une des rares formations politiques centrafricaines où hommes et femmes se retrouvent indépendamment de leurs appartenances ethniques et confessionnelles. Appelant inlassablement à la réconciliation des Centrafricains, le candidat a mouillé sa chemise pendant la campagne. Comme d’ailleurs la plupart des candidats à la présidentielle, il s’est rendu dans les quartiers tenus par les anti-balaka comme dans les quartiers musulmans, brandissant sa devise favorite « l’unité c’est maintenant ! ».
Au PK5 - l’enclave musulmane de Bangui où s’entassent les musulmans déplacés de la capitale depuis le début des violences intercommunautaires -, l’ancien Premier ministre a déclaré que jeune, il venait régulièrement « danser, voir des films et jouer aux cartes » au PK5, qui était un quartier de commerce, de jeux et de plaisirs. Et si les musulmans du PK5 voulaient bien lui « gratter le dos », le candidat leur a promis de restituer le dynamisme d’antan de leur cité.
Né en 1958, Anicet Georges Dologuélé est économiste de formation et a servi à la Banque des Etats de l’Afrique centrale (BEAC), à Yaoundé au Cameroun. C’est en sa qualité de technocrate qu’il a rejoint en 1997 le gouvernement de son pays. Il a occupé d’abord le poste de ministre des Finances et du Budget, avant d’être nommé, deux ans plus tard, chef de gouvernement par le président Ange-Félix Patassé. L’homme aime rappeler qu’à « 58 ans, il n’a jamais tenu une arme » et qu’au cours des vingt dernières années, « la seule période où il n’y a pas eu de crise militaro-politique dans le pays, c’est quand j’étais Premier ministre ».
En effet, les Centrafricains associent le passage à la primature de Dologuélé (1999-2001) à une période d’accalmie, même si sa gestion ultralibérale de l’économie avait fini par déboucher sur des protestations de masse dénonçant les conséquences sociales de sa stratégie de dérégulation économique. On lui reprochera également d’avoir privilégié le remboursement des arriérés des Institutions de Bretton Woods plutôt que de payer les fonctionnaires. Des accusations que l’intéressé rejette en bloc, tout comme le sobriquet de « Monsieur 10% » hérité d’accusations de détournement d’argent qui lui collent encore à la peau.
Toujours est-il qu'après sa démission en 2001 sous la pression de la rue, Dologuélé part en exil à Brazzaville où il préside de 2001 à 2010 aux destinées de la Banque de développement des Etats de l’Afrique centrale (BDEAC), avant de créer son propre cabinet de consulting Afripartners International Consulting, basé à Paris. Il se trouve dans la capitale française lorsque la crise éclate à Bangui en 2013 suite au cinquième coup d’Etat que connaît la Centrafrique depuis l’indépendance. C’est le moment que l’ancien Premier ministre choisit pour annoncer sa volonté de briguer la magistrature suprême à la fin de la transition. Si sa décision est mue par le sentiment que son pays a touché le fond, elle est motivée par la volonté de moderniser la vie politique centrafricaine. « Je suis convaincu, a-t-il déclaré dans les pages de Jeune Afrique, que l’on peut faire de la politique avec efficacité, mais sans brutalité ».
Flair politique
Une conviction que l’adversaire de Dologuélé, Faustin Archange Touadéra a aussi fait sienne et cela depuis belle lurette, comme en témoigne, sa gestion discrète des affaires de l’Etat entre 2008 et 2013, lorsque celui-ci a été Premier ministre, sous la présidence de François Bozizé. Issu de la société civile et sans engagement social particulier, l’homme avait alors fait preuve d’un savoir-faire certain en conduisant avec succès des négociations qui avaient, dès la fin 2008, débouché sur des accords de paix importants avec les rébellions.
Né à Bangui en 1957 et originaire d’une famille modeste, Touadéra a fait l’essentiel de
sa carrière professionnelle au sein de l’enseignement supérieur, au terme de longues études scientifiques à Yaoundé et à Lille. Professeur de mathématiques pures, il a longtemps enseigné à l'école normale supérieure (ENS) de Bangui, avant de devenir recteur de l'université de la capitale en 2005. C’est à l’université que les émissaires de Bozizé étaient allés le chercher en 2008 pour l’installer à la primature. Réputé bosseur, le mathématicien s’est révélé aussi un fin tacticien politique en se faisant élire en 2011 député de Damara, à 75 km au nord de Bangui, sous les couleurs du parti de son mentor, le parti Travailliste KNK. Mais c'est en candidat indépendant qu'il s'est présenté au scrutin présidentiel en août 2015. Faute de moyens, il a fait une campagne discrète.
C’est sans doute à son flair politique que Faustin Touadéra doit sa percée au premier tour de la présidentielle de décembre dernier. Qui plus est, l'homme a également réussi à rallier autour de sa candidature 22 des 30 candidats malheureux du premier tour, dont l’ancien Premier ministre Martin Ziguélé, un des poids lourds de la vie politique centrafricaine. Ces ralliements massifs en faveur de la candidature de Touadéra, qui a longtemps souffert de son absence de visibilité et de moyens par rapport à son rival, sont peut-être en train de changer la donne de la présidentielle centrafricaine.
Source: Rfi.fr
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