Deux heures seulement après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu entre le Liban et Israël, mercredi 27 novembre à l’aube, un vaste mouvement de retour des déplacés chiites dans leurs villes et villages du sud du Liban, de la plaine de la Békaa et de la banlieue sud de Beyrouth, a été entamé.
Cette grande marche du retour a rapidement pris l’allure d’un triomphe pour le Hezbollah, avec des dizaines de milliers de personnes faisant le V de la victoire et brandissant des drapeaux jaunes du parti chiite et des portraits de son chef historique Hassan Nasrallah, tué par Israël le 27 septembre. « Malgré les pertes, les destructions, les larmes et le sang, nous avons gagné car nous retournons sur nos terres que l’ennemi n’est pas parvenu à occuper », lance Abou Hassan, un quinquagénaire de la cité antique de Tyr, qui rentre chez lui après deux mois d’exode.
Comme au lendemain de la guerre de 2006, le Hezbollah a voulu transformer le retour en illustration de sa « victoire » dans cette nouvelle guerre.
Israël est conscient de l’impact symbolique de ces images relayées par les médias et des conséquences psychologiques que ces scènes de liesse peuvent avoir dans le pays, où les habitants du nord n’ont pas encore été autorisés à rentrer chez eux. Pour empêcher le Hezbollah d’exploiter l’événement du retour, l’armée israélienne a interdit aux habitants d’une dizaine de localités de sud Liban de retourner chez eux avant d’y être autorisés.
Jeudi matin, des chars israéliens ont tiré des obus vers des groupes de personnes qui tentaient de revenir dans leurs maisons dans les villages frontaliers de Kfarchouba et de Kfar Kila. La veille, un photographe de l’Associated Press et un reporter de l’agence russe Sputnik ont été blessés par des tirs israéliens dans la bourgade stratégique de Khyam, qui surplombe le Doigt de la Galilée.
Le Hezbollah et ses alliés revendiquent la victoire, ses adversaires libanais parlent d’une défaite cuisante. Dans son discours, mardi soir, annonçant l’acceptation du cessez-le-feu par Israël, Benyamin Netanyahu aussi revendiquait la victoire : « Nous avons ramené le Hezbollah une dizaine d’années en arrière. Il y a trois mois, tout cela aurait semblé relever de la science-fiction. Mais nous l’avons fait. Le Hezbollah n'est plus le même ».
« La victoire ne se mesure pas au nombre de martyrs et à l’ampleur des destructions. Stalingrad a été rasée et Londres détruit pendant la Seconde Guerre mondiale. Plus de 20 millions de Soviétiques sont morts. Et pourtant, la Russie et l’Angleterre ont gagné la guerre. L’issue d’un conflit se mesure aux objectifs initiaux de la guerre », affirme Ahmad Noureddine, professeur d’histoire dans une école publique du sud du Liban.
« Après l’assassinat de Hassan Nasrallah et d’autres hauts commandants, Benyamin Netanyahu a déclaré qu’il souhaitait remodeler le Moyen-Orient, explique Elias Farhat, général à la retraite de l’armée libanaise. Lors d’une tournée à la frontière avec le Liban, il a dit : "Avec ou sans accord, la clé du retour de nos habitants au nord est d’éloigner le Hezbollah au-delà du fleuve Litani et de l’empêcher de se réarmer". Or, Israël n’a réalisé aucun de ces objectifs ».
L’ancien officier, qui a dirigé pendant des années le département de l’Orientation (Média) de l’armée libanaise, reconnaît cependant qu’ « Israël a infligé de sévères pertes au Hezbollah en assassinant son secrétaire général, plusieurs hauts commandants et en détruisant une partie de ses infrastructures au sud Liban, dans la Bekaa et dans la banlieue sud de Beyrouth ». « Il ne semble pas, toutefois, que ses dépôts d’armes et de munitions aient été sérieusement endommagés, car le parti a continué à tirer des centaines de roquettes tous les jours sur Israël. Le Hezbollah n’a pas gagné cette guerre, mais il ne l’a pas perdu non plus », soutient Elias Farhat.
L’expert estime que le Hezbollah « parviendra assez rapidement à restaurer ses capacités militaires et à surmonter les dommages qu’il a subis ». « Les opérations au sol et les tirs de roquettes et de drones se sont poursuivis d’une manière coordonnée, ce qui signifie que la chaîne de commandement et de contrôle est opérationnelle », ajoute-t-il.
« Le Hezbollah est fini »
Les détracteurs du parti chiite ont un avis différent. « Le Hezbollah est fini, du moins en tant que structure militaire », martèle Charles Jabbour, responsable média du parti chrétien des Forces libanaises (FL).
Mario Malkoun, partisan des FL, affirme dans un long post publié sur le réseau X que l’accord de cessez-le-feu est fondé sur la résolution 1701 des Nations unie qui « exige l’application de toutes les décisions internationales, y compris celles appelant au désarmement de tous les groupes armés au Liban ». Le militant fait allusion à la résolution 1559 de l’ONU, adoptée en 2004, qui exige le désarmement « de toutes les milices au Liban ».
L’accord en 13 points qui a mis fin à la guerre ne mentionne pas explicitement le désarmement du Hezbollah, mais il stipule que « toutes les installations non autorisées liées à la production d’armes et de matériel connexe seront démantelées ». Il ajoute, plus loin, que « toutes les infrastructures et positions militaires non conformes à ces engagements seront démantelées, et toutes les armes non autorisées seront confisquées ».
Le Hezbollah ne se considère pas comme une « milice » et estime que son action de résistance contre Israël est couverte par la Constitution, par l’accord de Taëf, qui a mis fin à la guerre civile, et par les déclarations ministérielles de tous les gouvernements depuis 1990.
Cependant, les détracteurs du parti comptent s’engouffrer par la brèche, appelant au démantèlement des infrastructures militaires et à la confiscation des armes pour imposer des concessions au Hezbollah dans les dossiers de politiques internes. Ils pensent que maintenant qu’il est affaibli et occupé à panser ses plaies et celles de sa base populaire, le Hezbollah va retirer son soutien à la candidature de son allié maronite l’ancien ministre et député Sleiman Frangié, ce qui leur permettra d’élire une personnalité plus proche de leurs thèses.
« Le Hezbollah demeurera un acteur clé sur le plan interne libanais et toutes les tentatives de le marginaliser politiquement échoueront, assure cependant Abdel Halim Fadlallah, directeur du Centre consultatif de recherche et de documentation, relevant du parti chiite. Benyamin Netanyahu a clairement exprimé ses buts en affirmant à ses alliés occidentaux que cette guerre sera un prélude à des changements politiques fondamentaux au Liban. Cet objectif a échoué et le Hezbollah était et restera le plus grand parti du Liban au niveau de la représentativité populaire, comme l’ont montré les dernières élections législatives », dit-il.
Le défi de la reconstruction
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Si le Hezbollah parvient à surmonter tous les écueils politiques qui se profilent à l’horizon, il restera confronté à un défi de taille, celui de la reconstruction de ses fiefs populaires largement détruits. Des premières estimations partielles avancent le chiffre de 5 milliards de dollars nécessaires pour la reconstruction.
« Le gros des efforts sera concentré dans la période post-guerre à la réparation des dégâts matériels et la reconstruction des régions détruites dans tout le Liban, notamment les fiefs du Hezbollah qui ont été sciemment ciblées pour creuser un fossé entre la base populaire et la résistance et entre cette base et le reste des Libanais », assure Abdel Halim Fadlallah.
Elias Farhat s’interroge toutefois sur les capacités du Hezbollah à assurer les moyens financiers nécessaires, surtout avec « un État impuissant et l’absence de grands donateurs et bailleurs de fonds ».
Même si Israël n’est pas parvenu à briser le parti chiite d’une manière irrémédiable, il est clair qu’il sera confronté dans la période post-guerre à d’innombrables défis, qui seront peut-être aussi durs et difficiles que la confrontation militaire avec l’État hébreu… sinon plus.
Cette grande marche du retour a rapidement pris l’allure d’un triomphe pour le Hezbollah, avec des dizaines de milliers de personnes faisant le V de la victoire et brandissant des drapeaux jaunes du parti chiite et des portraits de son chef historique Hassan Nasrallah, tué par Israël le 27 septembre. « Malgré les pertes, les destructions, les larmes et le sang, nous avons gagné car nous retournons sur nos terres que l’ennemi n’est pas parvenu à occuper », lance Abou Hassan, un quinquagénaire de la cité antique de Tyr, qui rentre chez lui après deux mois d’exode.
Comme au lendemain de la guerre de 2006, le Hezbollah a voulu transformer le retour en illustration de sa « victoire » dans cette nouvelle guerre.
Israël est conscient de l’impact symbolique de ces images relayées par les médias et des conséquences psychologiques que ces scènes de liesse peuvent avoir dans le pays, où les habitants du nord n’ont pas encore été autorisés à rentrer chez eux. Pour empêcher le Hezbollah d’exploiter l’événement du retour, l’armée israélienne a interdit aux habitants d’une dizaine de localités de sud Liban de retourner chez eux avant d’y être autorisés.
Jeudi matin, des chars israéliens ont tiré des obus vers des groupes de personnes qui tentaient de revenir dans leurs maisons dans les villages frontaliers de Kfarchouba et de Kfar Kila. La veille, un photographe de l’Associated Press et un reporter de l’agence russe Sputnik ont été blessés par des tirs israéliens dans la bourgade stratégique de Khyam, qui surplombe le Doigt de la Galilée.
Le Hezbollah et ses alliés revendiquent la victoire, ses adversaires libanais parlent d’une défaite cuisante. Dans son discours, mardi soir, annonçant l’acceptation du cessez-le-feu par Israël, Benyamin Netanyahu aussi revendiquait la victoire : « Nous avons ramené le Hezbollah une dizaine d’années en arrière. Il y a trois mois, tout cela aurait semblé relever de la science-fiction. Mais nous l’avons fait. Le Hezbollah n'est plus le même ».
« La victoire ne se mesure pas au nombre de martyrs et à l’ampleur des destructions. Stalingrad a été rasée et Londres détruit pendant la Seconde Guerre mondiale. Plus de 20 millions de Soviétiques sont morts. Et pourtant, la Russie et l’Angleterre ont gagné la guerre. L’issue d’un conflit se mesure aux objectifs initiaux de la guerre », affirme Ahmad Noureddine, professeur d’histoire dans une école publique du sud du Liban.
« Après l’assassinat de Hassan Nasrallah et d’autres hauts commandants, Benyamin Netanyahu a déclaré qu’il souhaitait remodeler le Moyen-Orient, explique Elias Farhat, général à la retraite de l’armée libanaise. Lors d’une tournée à la frontière avec le Liban, il a dit : "Avec ou sans accord, la clé du retour de nos habitants au nord est d’éloigner le Hezbollah au-delà du fleuve Litani et de l’empêcher de se réarmer". Or, Israël n’a réalisé aucun de ces objectifs ».
L’ancien officier, qui a dirigé pendant des années le département de l’Orientation (Média) de l’armée libanaise, reconnaît cependant qu’ « Israël a infligé de sévères pertes au Hezbollah en assassinant son secrétaire général, plusieurs hauts commandants et en détruisant une partie de ses infrastructures au sud Liban, dans la Bekaa et dans la banlieue sud de Beyrouth ». « Il ne semble pas, toutefois, que ses dépôts d’armes et de munitions aient été sérieusement endommagés, car le parti a continué à tirer des centaines de roquettes tous les jours sur Israël. Le Hezbollah n’a pas gagné cette guerre, mais il ne l’a pas perdu non plus », soutient Elias Farhat.
L’expert estime que le Hezbollah « parviendra assez rapidement à restaurer ses capacités militaires et à surmonter les dommages qu’il a subis ». « Les opérations au sol et les tirs de roquettes et de drones se sont poursuivis d’une manière coordonnée, ce qui signifie que la chaîne de commandement et de contrôle est opérationnelle », ajoute-t-il.
« Le Hezbollah est fini »
Les détracteurs du parti chiite ont un avis différent. « Le Hezbollah est fini, du moins en tant que structure militaire », martèle Charles Jabbour, responsable média du parti chrétien des Forces libanaises (FL).
Mario Malkoun, partisan des FL, affirme dans un long post publié sur le réseau X que l’accord de cessez-le-feu est fondé sur la résolution 1701 des Nations unie qui « exige l’application de toutes les décisions internationales, y compris celles appelant au désarmement de tous les groupes armés au Liban ». Le militant fait allusion à la résolution 1559 de l’ONU, adoptée en 2004, qui exige le désarmement « de toutes les milices au Liban ».
L’accord en 13 points qui a mis fin à la guerre ne mentionne pas explicitement le désarmement du Hezbollah, mais il stipule que « toutes les installations non autorisées liées à la production d’armes et de matériel connexe seront démantelées ». Il ajoute, plus loin, que « toutes les infrastructures et positions militaires non conformes à ces engagements seront démantelées, et toutes les armes non autorisées seront confisquées ».
Le Hezbollah ne se considère pas comme une « milice » et estime que son action de résistance contre Israël est couverte par la Constitution, par l’accord de Taëf, qui a mis fin à la guerre civile, et par les déclarations ministérielles de tous les gouvernements depuis 1990.
Cependant, les détracteurs du parti comptent s’engouffrer par la brèche, appelant au démantèlement des infrastructures militaires et à la confiscation des armes pour imposer des concessions au Hezbollah dans les dossiers de politiques internes. Ils pensent que maintenant qu’il est affaibli et occupé à panser ses plaies et celles de sa base populaire, le Hezbollah va retirer son soutien à la candidature de son allié maronite l’ancien ministre et député Sleiman Frangié, ce qui leur permettra d’élire une personnalité plus proche de leurs thèses.
« Le Hezbollah demeurera un acteur clé sur le plan interne libanais et toutes les tentatives de le marginaliser politiquement échoueront, assure cependant Abdel Halim Fadlallah, directeur du Centre consultatif de recherche et de documentation, relevant du parti chiite. Benyamin Netanyahu a clairement exprimé ses buts en affirmant à ses alliés occidentaux que cette guerre sera un prélude à des changements politiques fondamentaux au Liban. Cet objectif a échoué et le Hezbollah était et restera le plus grand parti du Liban au niveau de la représentativité populaire, comme l’ont montré les dernières élections législatives », dit-il.
Le défi de la reconstruction
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Si le Hezbollah parvient à surmonter tous les écueils politiques qui se profilent à l’horizon, il restera confronté à un défi de taille, celui de la reconstruction de ses fiefs populaires largement détruits. Des premières estimations partielles avancent le chiffre de 5 milliards de dollars nécessaires pour la reconstruction.
« Le gros des efforts sera concentré dans la période post-guerre à la réparation des dégâts matériels et la reconstruction des régions détruites dans tout le Liban, notamment les fiefs du Hezbollah qui ont été sciemment ciblées pour creuser un fossé entre la base populaire et la résistance et entre cette base et le reste des Libanais », assure Abdel Halim Fadlallah.
Elias Farhat s’interroge toutefois sur les capacités du Hezbollah à assurer les moyens financiers nécessaires, surtout avec « un État impuissant et l’absence de grands donateurs et bailleurs de fonds ».
Même si Israël n’est pas parvenu à briser le parti chiite d’une manière irrémédiable, il est clair qu’il sera confronté dans la période post-guerre à d’innombrables défis, qui seront peut-être aussi durs et difficiles que la confrontation militaire avec l’État hébreu… sinon plus.
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