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GUESTEDITORIAL : même pouvoir d’interprétation ?

Par Me Moustapha Mamba GUIRASSY, Ministre de la Communication et des télécommunications, Porte-parole du gouvernement, Maire de Kédougou



GUESTEDITORIAL : même pouvoir d’interprétation ?
PROFESSEURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL ET JUGES CONSTITUTIONNELS même pouvoir d'interprétation?

Il n’y a jamais eu de controverse plus stérile que celle touchant la question de savoir si la candidature du président Wade est recevable ou non ! Le juge constitutionnel, seul habilité à trancher la question, le fera de toute évidence en temps opportun. Si besoin en est.
L’obligation de pédagogie étant un impératif catégorique auquel nous sommes astreints, la répétition de cette évidence s’impose.

« Testis unus, testis nullus », disaient les Anciens. Ils soulignaient ainsi que le témoignage d’un seul est nul et de nul effet. Les témoignages personnels, délivrés tour à tour, n’y changent rien, du seul fait de leur multiplication. En effet, les diverses interprétations, dont la presse a récemment fait écho, sont concoctées par des professeurs de droit constitutionnel dans le secret de la seule appréciation personnelle de chaque auteur. Dès lors, l’abondance de cette littérature ne suffit pas à emporter la preuve de sa pertinence. L’empilement de leurs prises de positions aboutit à ce qui n’est, en réalité, qu’un simple château de cartes.

On reconnaît qu’un certain degré de créativité est inhérent à toute interprétation. Dès lors, plutôt que de se demander si le pouvoir d’interprétation existe, il convient de centrer notre article sur la question de la légitimité de ce pouvoir. Sous ce rapport, si certains constitutionalistes, pour éviter le règne du gouvernement des juges, vont jusqu’à qualifier le pouvoir d’interprétation du juge constitutionnel comme une atteinte à l’Etat de droit et à la séparation des pouvoirs, que dire alors de la légitimité des interprétations faites par des professeurs de droit constitutionnel, qui tentent désespérément, par le truchement de la presse, de se donner les pouvoirs d’un juge constitutionnel ? Autrement dit, de chercher à conditionner étroitement le pouvoir que nous reconnaissons à la loi ?

« Ceux qui savent faire une chose la font, les autres l’enseignent », dit un adage, qu’il faudrait prendre garde à ne pas écarter comme une boutade, dans le cas qui nous occupe. Personne ne siège comme magistrat dans une cour ou dans un tribunal, au motif exclusif qu’il enseigne le droit. Tant il est vrai que la parole est libre et que la plume est serve. Seuls les praticiens du droit, c’est-à-dire les juges, ont le lourd sacerdoce d’interpréter la loi et de dire le droit.

De fait et de droit, les paroles de professeurs de droit constitutionnel sont des points de vue, qui restent des denrées périssables, même lorsqu’ils prennent la peine de les fixer à l’encre des journaux, à l’heure d’Internet. Les présages et conjectures de certains constitutionnalistes universitaires ne prévaudront jamais, pour autant, sur la plume des juges du Conseil constitutionnel. Les Sages du Conseil constitutionnel prennent leurs décisions dans la gravité d’une délibération collégiale en huis clos. De ce fait, les avis qu’ils émettent ont vocation à être inscrits dans le marbre éternel de la justice et de la jurisprudence.

Si la « main tremblante » doit s’imposer au juge constitutionnel doté du pouvoir d’invalider, sans appel, l’œuvre des représentants du peuple, que dire a fortiori du professeur de droit constitutionnel, qui n’a aucun pouvoir légitime de dire le droit lorsqu’il s’agit des questions d’interprétation constitutionnelle ? Enseigner et dire le droit sont deux activités bien différentes. L’impartialité, qui consiste en l’absence de parti pris[], est une qualité nécessaire, en ce qui concerne le juge constitutionnel, censé dire le droit, alors qu’elle ne l’est pas lorsqu’il s’agit d’enseigner.

« Une Constitution, c’est un esprit, des institutions, une pratique »

De Gaulle

Les juges constitutionnels ont pu, un jour, être des étudiants en droit. Pour autant, lorsqu’il s’est agi d’intégrer la magistrature, qui les a menés un jour au Conseil constitutionnel, la condition sine qua non et leur vocation de disciples ont été de dépasser leur maîtres d’alors. C’est-à-dire, leurs anciens professeurs de droit constitutionnel, en première année d’université.

Je suis d’accord, pour dire que les débats suscités par ces experts de l’enseignement du droit ont pour vocation de rendre plus lisible, plus prévisible, plus conforme à la recherche de la sécurité juridique, plus légitime en somme, notre mode d’intervention,
En un mot : ils sont un garde-fou contre un constructivisme arbitraire. Une protection contre le soupçon perpétuel qui pèse dans tous nos pays sur l’action des conseils et cours constitutionnels : le gouvernement des juges.

Je suis d’accord, aussi, pour dire que ce jeu-débat d’interprétation constitue en soi des instruments complémentaires, pour encadrer notre propre capacité à créer de nouvelles normes constitutionnelles, à partir des normes existantes. Mais de grâce ! Lorsqu’ils se prononcent sur la Constitution, que les voix ou l’oralité écrite de ceux qui ne sont pas porteurs de ce pouvoir d’interprétation, conféré par notre charte fondamentale, s’entourent du principe de précaution qu’est le doute cartésien. Ils en sont des profanes, car ils en restent à la porte. Ils ne seront jamais dans le secret des délibérations des Sages du Conseil constitutionnel, dont la loi a voulu qu’ils soient en nombre requis et en quorum suffisant, avant de statuer sur des questions d’importance. Etant une chose suffisamment sérieuse, la production des normes, censées régir les relations sociales, devrait être le fruit d’une longue méditation. Et l’interprétation de la production, confiée à des juges désignés à cet effet.

C’est ainsi donc que le Conseil constitutionnel fait une grande autorité sur l’ensemble de nos institutions. Elle y fait seule autorité.

Ses décisions s’imposent. Elles doivent s’imposer erga omnes, à l’égard de tous, aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. Elles sont insusceptibles de recours. « L’autorité absolue de la chose jugée » implique que le Conseil ne puisse statuer deux fois sur un même texte, ni que les pouvoirs publics et les autorités administratives et juridictionnelles puissent contredire les décisions.

Si nous respectons nos institutions, la seule interprétation légitime, puisque autorisée, est celle faite par un organe juridictionnel. Le pouvoir d’interprétation du juge constitutionnel fait qu’il est créateur de norme, l’interprétation étant alors synonyme de création. Pour Mauro Capelliti, « interpréter veut dire en vérité pénétrer les pensées, les inspirations, le langage d’autres personnes en vue de les comprendre et - pour le juge comme pour l’exécutant d’une œuvre musicale - les reproduire, en « faire application », « les exécuter dans un contexte nouveau et différent de temps et de lieu ». Les mots ont une signification susceptible de changer et de poser des questions qui doivent être résolues par l’interprète. Mais seulement par l’interprète autorisé, pour éviter l’anarchie ou le chaos.
Pourquoi le professeur Serigne Diop, ou encore le président du Conseil lui-même, sont-ils silencieux ? Sans parler des autres membres du Conseil constitutionnel. Leur silence assourdissant est-il à mettre à l’actif d’une ignorance bavarde ? Témoignerait-il tout simplement de leur incapacité à lire et à dire correctement le droit ? Que nenni, assurément.

Le professeur Serigne Diop et le magistrat Cheikh Tidiane Diakhaté ont bien fini de faire leurs preuves. A ces grands serviteurs du droit, le principe d’immanence de la justice recommande de se conformer au précepte qui veut que « la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres ». Ils s’y conforment.
C’est là une élégance de professionnels du droit. Ils sont avertis du temps, de l’espace, du fond et de la forme qu’il sied de conférer au pouvoir d’interprétation. Il est regrettable que cette stature ne soit pas celle de certains professeurs de droit constitutionnel qui, eux, se sont fait un devoir de s’exonérer de toute réserve.
« L’auteur de la Constitution est le ‘‘pouvoir constituant’’ : c’est le pouvoir souverain, autrement dit, dans une démocratie, le peuple qui l’a approuvée par référendum ».
Tous et chacun ont la liberté de spéculer. Celle-ci a cependant une lisière, où elle s’arrête : leur limite est là où commence la liberté du Conseil constitutionnel, qui seul a le droit d’interpréter. En la matière, son apanage est d’avoir le droit exclusif de dire le droit.
Dans un monde de compétition et en des temps de rivalité, toute occasion est bonne lorsqu’elle permet de gagner en notoriété, que l’on peut monnayer contre des postes de responsabilités dans un système politique ou pour accroître son cercle d’influence. Ainsi, en fonction de l’orientation que les politiques et la presse ont fini de donner à l’actualité, certaines catégories socioprofessionnelles définissent le « produit de traite » en vogue, dont ils font un marchepied. Le fait de le tolérer n’est pas celui de l’accepter. Nous ne l’acceptons pas !

Nous voilà désormais rendus à l’inconcevable : certains veulent faire de la Constitution, elle-même, le produit de traite qui servira à l’assouvissement de leurs prétentions politiques ou de leurs ambitions sociales !

L’important leur est de participer. L’enjeu leur est de paraître savant. L’assurance est qu’ils ne reculent pas devant l’inflation verbale. D’emblée, il leur faut tout interpréter. Leur seul préalable est de se lier et de lier leurs propos à la mouvance générale, afin de poser en « intellectuels libres ».
Le pouvoir d’interprétation, qu’ils savent pourtant être une prérogative du seul juge constitutionnel, se confond maintenant au pouvoir que la presse ou un parti leur confère, en un quart d’heure médiatique de la course aux raccourcis. Dans cette confusion, ils donnent aussi un pouvoir d’interprétation au président de la République, en voulant faire de lui l’exégète de la Constitution, suite à des propos qu’il aurait tenus en 2007 et induisant l’irrecevabilité de sa propre candidature. En 2007, ce sont sans doute déjà les mêmes qui s’arrogeaient le droit de ne pas reconnaître le statut de chef de l’Etat au président Wade, après la publication, par le Conseil constitutionnel, des résultats le proclamant vainqueur de la présidentielle de 2007.

La technique d’interprétation dite classique, qui consistait à rechercher la valeur normative que les auteurs de la Constitution ont entendu attacher à un énoncé constitutionnel, est aujourd’hui complètement dépassée. On sait, en effet, que beaucoup de spécialistes du droit constitutionnel sont très réservés sur le recours à l’intention des auteurs de la norme constitutionnelle comme technique d’interprétation. Ils ont de bonnes raisons à cela : le texte constitutionnel, dès qu’il est ratifié par référendum, échappe à ses auteurs et ne saurait plus être décrypté à l’aune des travaux préparatoires. La norme constitutionnelle doit vivre et être constamment actualisée.
Cette vision de la norme constitutionnelle comme une norme vivante, fait que la législation devrait être toujours plus protectrice du pouvoir d’interprétation. Chaque avancée législative étant, en quelque sorte, constitutionnalisée, la sauvegarde de ce droit deviendrait une exigence constitutionnelle toujours plus prégnante et plus précise.

Sous ce rapport, il serait regrettable de continuer à feindre d’oublier que le pouvoir d’interprétation est, également, une prérogative constitutionnelle qui est à sauvegarder. D’abord, en le contenant dans les bornes qui ont été prévues à cet effet par la Constitution. Ensuite, en évitant d’en laisser le libre exercice à des personnes non habilitées. Enfin, en refusant que le combat des idées puisse être assimilé à un débat prétendument juridique.

Le débat juridique est le seul apanage des cours et tribunaux. Il doit le rester.

Soleil

Mercredi 1 Septembre 2010 - 14:26


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