Comme beaucoup d’Africains, je considère la stabilité du Sénégal et son modèle démocratique comme un bien commun africain, qu’il convient de préserver et de promouvoir. C’est donc avec anxiété et espoir que j’ai suivi les évènements qui se sont déroulés dans ce pays avant le scrutin du dimanche 24 mars 2024. À l’issue de ce scrutin, qui a été précédé par des semaines de tension politique marquées par des manifestations de rue et autres incidents de violence, le candidat Bassirou Diomaye Faye, fraîchement sorti de prison à la faveur de l’amnistie décidée par le président Macky Sall, est sorti vainqueur.
Avec ses compagnons, ils viennent ainsi d’obtenir, par des moyens démocratiques et pacifiques, le soutien populaire pour réaliser le programme de « rupture » qu’ils ont annoncé. Encore une fois, le Sénégal a su se tirer d’une situation pré-électorale tendue et a donné l’exemple d’un pays profondément attaché à ses acquis démocratiques et à la résolution pacifique des différends.
Cette fois, la crise est née de la signature par le président Macky Sall du décret n°2024-106, portant abrogation du décret n°2023-2283, convoquant le corps électoral pour l’élection présidentielle du 25 février 2024. L’approbation de ce texte par l’Assemblée nationale a déclenché une vague de protestations à travers le pays. L’intervention très opportune du Conseil constitutionnel, qui a annulé ce décret de la discorde, a finalement désamorcé la crise et remis le processus électoral en ordre de marche vers l’élection présidentielle, dont le premier tour a été fixé au 24 mars 2024. La paix civile n’a ainsi pas été perturbée et le Sénégal s’est conformé, une fois de plus, à son image de marque sur le continent.
Rappelons-le, Macky Sall lui-même, est arrivé au pouvoir en 2012 après un processus électoral « chahuté » à la suite de la décision du Président Wade de solliciter un nouveau mandat, considéré par l’opposition comme un troisième mandat -et donc un mandat de trop-, en se prévalant du rétablissement du quinquennat en 2007. Cette candidature a suscité une forte contestation et la mobilisation de l’opposition.
Certains partenaires internationaux du Sénégal, y compris les Nation unies, ont manifesté leur inquiétude sur les risques que cette candidature controversée faisaient peser sur la stabilité du pays. Dans un contexte de tension malheureusement marquée par des incidents ayant entraîné mort d’hommes et de blessés, le candidat Macky Sall a pris la décision audacieuse de suspendre sa participation aux protestations et d’affronter le Président Wade dans les urnes.
Au terme de son deuxième mandat, il y a eu beaucoup de spéculations sur les intentions du Président Macky Sall de solliciter un autre mandat en se basant, comme le président Wade en 2012, sur la modification de la Constitution, survenue en 2016. Ce n’est que le lundi 3 juillet 2023 que le président Macky Sall a déclaré qu’il ne se représenterait pas aux élections présidentielles de 2024, mettant fin à un suspense de plusieurs mois.
Ainsi, malgré des processus électoraux chahutés, la démocratie sénégalaise retombe toujours sur ses pieds. Je disais à mes amis sénégalais qu’il fallait ménager leurs institutions et plaisantais en avançant qu’ « à force de secouer le cocotier, on risquait de l’arracher ». Toutefois, malgré leur faiblesse et les incidents qui ont émaillé la vie démocratique du Sénégal, les institutions accompagnant les processus électoraux, notamment le Conseil constitutionnel, jouent généralement leurs rôles, et l’état de droit se renforce progressivement. L’armée professionnelle reste dans ses prérogatives constitutionnelles faisant ainsi du Sénégal un des rares pays africains à avoir été épargné par le phénomène des coups d’État.
Mais, plus que sur toute autre institution, le modèle démocratique sénégalais repose sur la capacité de la société politique et civile à instaurer le dialogue, avec le rôle reconnu des autorités religieuses et personnalités indépendantes et respectées. En somme, ce modèle est guidé par la sagesse qui existe au sein de chacune de nos sociétés africaines, et dans laquelle les leaders politiques doivent puiser.
J’ai eu le bonheur de vivre à Dakar durant 6 ans et demi, lorsque je servais en qualité de représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest de 2008 à 2014. J’ai pu observer de plus près la société sénégalaise et le fonctionnement des institutions du pays et surtout bénéficier de la légendaire Teranga sénégalaise. Je souhaite donc bon vent au Sénégal dans ses efforts d’approfondissement et de consolidation de ses acquis démocratiques et de sa stabilité, ainsi qu’aux nouvelles autorités qui émergeront dans la foulée des résultats du scrutin de 24 mars.
Je souhaite enfin que l’expérience sénégalaise de transmission pacifique du pouvoir soit méditée au niveau de l’Union africaine et de la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Je me rappelle en effet qu’au début des années 1990, nous avions, par prudence et par souci de favoriser une évolution progressive des choses, abordé la question de la démocratie à l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) par l’angle des élections qui était alors acceptable aux États membres. Cette approche s’est rapidement étendue à la question des changements anticonstitutionnels de gouvernement.
Depuis, notre organisation continentale et les organisations régionales ont fait beaucoup de progrès dans le domaine de l’observation des élections. Les États membres ont également connu des avancées dans l’organisation des élections. Mais l’UA et les organisations régionales semblent en être restées là alors qu’elles devaient étendre leur agenda démocratique à d’autres domaines de gouvernance tels que le soutien aux Commissions électorales indépendantes, aux Cours et Conseils constitutionnels, et à toutes les institutions impliquées dans les processus démocratiques y compris le pouvoir judiciaire et les médias.
La démocratie ne se limite pas, en effet, à la tenue d’élections mais aussi et surtout à la création d’un environnement démocratique propice à l’organisation libre et transparente des scrutins. Concernant la question des changements anticonstitutionnels de gouvernement, je considère personnellement qu’après un démarrage en force, les efforts se sont vite essoufflés comme l’ont prouvé les derniers événements qu’a connu notre continent.
La crédibilité des institutions africaines semble avoir été affectée par un certain nombre de facteurs endogènes, y compris le manque de constance dans le traitement des différents changements anticonstitutionnels de gouvernement qui ont eu lieu récemment sur le continent.
Mais des facteurs endogènes tels que les interférences extérieures sont venues compliquer le travail de l’Union africaine et des autres organisations régionales. Le temps de la réflexion est, à mon avis, venu pour faire le point sur notre architecture de paix, de sécurité et de gouvernance.
Adoptée dans les années 2000, cette architecture n’a certainement pas été mise en œuvre pleinement. 25 ans après sa mise en place, elle doit être revue à la lumière des évolutions politiques et sociales, et adaptée aux capacités réelles du continent et à ses nouvelles aspirations dans un contexte mondial turbulent et changeant.
Saïd Djinnit, ancien Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest.
Avec ses compagnons, ils viennent ainsi d’obtenir, par des moyens démocratiques et pacifiques, le soutien populaire pour réaliser le programme de « rupture » qu’ils ont annoncé. Encore une fois, le Sénégal a su se tirer d’une situation pré-électorale tendue et a donné l’exemple d’un pays profondément attaché à ses acquis démocratiques et à la résolution pacifique des différends.
Cette fois, la crise est née de la signature par le président Macky Sall du décret n°2024-106, portant abrogation du décret n°2023-2283, convoquant le corps électoral pour l’élection présidentielle du 25 février 2024. L’approbation de ce texte par l’Assemblée nationale a déclenché une vague de protestations à travers le pays. L’intervention très opportune du Conseil constitutionnel, qui a annulé ce décret de la discorde, a finalement désamorcé la crise et remis le processus électoral en ordre de marche vers l’élection présidentielle, dont le premier tour a été fixé au 24 mars 2024. La paix civile n’a ainsi pas été perturbée et le Sénégal s’est conformé, une fois de plus, à son image de marque sur le continent.
Rappelons-le, Macky Sall lui-même, est arrivé au pouvoir en 2012 après un processus électoral « chahuté » à la suite de la décision du Président Wade de solliciter un nouveau mandat, considéré par l’opposition comme un troisième mandat -et donc un mandat de trop-, en se prévalant du rétablissement du quinquennat en 2007. Cette candidature a suscité une forte contestation et la mobilisation de l’opposition.
Certains partenaires internationaux du Sénégal, y compris les Nation unies, ont manifesté leur inquiétude sur les risques que cette candidature controversée faisaient peser sur la stabilité du pays. Dans un contexte de tension malheureusement marquée par des incidents ayant entraîné mort d’hommes et de blessés, le candidat Macky Sall a pris la décision audacieuse de suspendre sa participation aux protestations et d’affronter le Président Wade dans les urnes.
Au terme de son deuxième mandat, il y a eu beaucoup de spéculations sur les intentions du Président Macky Sall de solliciter un autre mandat en se basant, comme le président Wade en 2012, sur la modification de la Constitution, survenue en 2016. Ce n’est que le lundi 3 juillet 2023 que le président Macky Sall a déclaré qu’il ne se représenterait pas aux élections présidentielles de 2024, mettant fin à un suspense de plusieurs mois.
Ainsi, malgré des processus électoraux chahutés, la démocratie sénégalaise retombe toujours sur ses pieds. Je disais à mes amis sénégalais qu’il fallait ménager leurs institutions et plaisantais en avançant qu’ « à force de secouer le cocotier, on risquait de l’arracher ». Toutefois, malgré leur faiblesse et les incidents qui ont émaillé la vie démocratique du Sénégal, les institutions accompagnant les processus électoraux, notamment le Conseil constitutionnel, jouent généralement leurs rôles, et l’état de droit se renforce progressivement. L’armée professionnelle reste dans ses prérogatives constitutionnelles faisant ainsi du Sénégal un des rares pays africains à avoir été épargné par le phénomène des coups d’État.
Mais, plus que sur toute autre institution, le modèle démocratique sénégalais repose sur la capacité de la société politique et civile à instaurer le dialogue, avec le rôle reconnu des autorités religieuses et personnalités indépendantes et respectées. En somme, ce modèle est guidé par la sagesse qui existe au sein de chacune de nos sociétés africaines, et dans laquelle les leaders politiques doivent puiser.
J’ai eu le bonheur de vivre à Dakar durant 6 ans et demi, lorsque je servais en qualité de représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest de 2008 à 2014. J’ai pu observer de plus près la société sénégalaise et le fonctionnement des institutions du pays et surtout bénéficier de la légendaire Teranga sénégalaise. Je souhaite donc bon vent au Sénégal dans ses efforts d’approfondissement et de consolidation de ses acquis démocratiques et de sa stabilité, ainsi qu’aux nouvelles autorités qui émergeront dans la foulée des résultats du scrutin de 24 mars.
Je souhaite enfin que l’expérience sénégalaise de transmission pacifique du pouvoir soit méditée au niveau de l’Union africaine et de la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Je me rappelle en effet qu’au début des années 1990, nous avions, par prudence et par souci de favoriser une évolution progressive des choses, abordé la question de la démocratie à l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) par l’angle des élections qui était alors acceptable aux États membres. Cette approche s’est rapidement étendue à la question des changements anticonstitutionnels de gouvernement.
Depuis, notre organisation continentale et les organisations régionales ont fait beaucoup de progrès dans le domaine de l’observation des élections. Les États membres ont également connu des avancées dans l’organisation des élections. Mais l’UA et les organisations régionales semblent en être restées là alors qu’elles devaient étendre leur agenda démocratique à d’autres domaines de gouvernance tels que le soutien aux Commissions électorales indépendantes, aux Cours et Conseils constitutionnels, et à toutes les institutions impliquées dans les processus démocratiques y compris le pouvoir judiciaire et les médias.
La démocratie ne se limite pas, en effet, à la tenue d’élections mais aussi et surtout à la création d’un environnement démocratique propice à l’organisation libre et transparente des scrutins. Concernant la question des changements anticonstitutionnels de gouvernement, je considère personnellement qu’après un démarrage en force, les efforts se sont vite essoufflés comme l’ont prouvé les derniers événements qu’a connu notre continent.
La crédibilité des institutions africaines semble avoir été affectée par un certain nombre de facteurs endogènes, y compris le manque de constance dans le traitement des différents changements anticonstitutionnels de gouvernement qui ont eu lieu récemment sur le continent.
Mais des facteurs endogènes tels que les interférences extérieures sont venues compliquer le travail de l’Union africaine et des autres organisations régionales. Le temps de la réflexion est, à mon avis, venu pour faire le point sur notre architecture de paix, de sécurité et de gouvernance.
Adoptée dans les années 2000, cette architecture n’a certainement pas été mise en œuvre pleinement. 25 ans après sa mise en place, elle doit être revue à la lumière des évolutions politiques et sociales, et adaptée aux capacités réelles du continent et à ses nouvelles aspirations dans un contexte mondial turbulent et changeant.
Saïd Djinnit, ancien Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest.
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