Le 28 juillet dernier, Doudou Ndiaye Coumba Rose a soufflé ses 85 bougies. Une série de festivités est organisée pour célébrer cet anniversaire. Malgré le poids de l’âge, le tambour-major garde pourtant encore l’énergie et le talent qui ont rythmé sa si longue et dense carrière. Il l’a démontré, samedi dernier, à la résidence de l’Ambassadeur du Japon au Sénégal.
Il est des hommes qui, par leur génie et la maîtrise de leur art, émergent du lot des communs des mortels. Il s’agit de ces hommes qui sont toujours cités en premier quand on évoque un métier. Tellement ils s’y sont distingués et en ont écrit l’une des plus belles sinon la plus belle page de l’histoire. Mozart dans la musique classique, Picasso dans la peinture, Pelé au football et… Doudou Ndiaye Rose dans la percussion.
Dans l’imaginaire collectif sénégalais, ce tambour-major reste le grand batteur à l’énergie débordante sur scène et surtout ce mixeur de sons et de rythmes dont la conjugaison offre des symphonies qui font chavirer le cœur et attendrissent l’ouïe. La belle orchestration avec les majorettes, vous connaissez ? C’est lui, Doudou Ndiaye Rose.
L’inoubliable parade sur la plus belle avenue du monde
Son art l’a mis sur les chemins du monde. Son odyssée rythmique l’a mené partout. En Asie, en Amérique, en Europe, aux Caraïbes, l’écho de ses coups de baguette résonnent encore. Là où il passe, l’homme est reconnu et célébré. Petit par la taille, grand par le rythme, Doudou Ndiaye Rose porte fièrement son tam-tam. Son passeport à la résonnance internationale.
Les éloges sont dans les mots de Raphaël Ndiaye, directeur général de la Fondation Léopold Sédar Senghor : « Doudou Ndiaye Rose est arrivé à révolutionner la relation au tam-tam en créant des polyrythmies d’une très grande variété avec une mise en scène où tout l’homme, à travers une gestuelle qui se déploie dans l’espace et de façon inattendue pour des téléspectateurs, arrive à subjuguer son auditoire ».
Et que dire de ce témoignage de Rémy Sagna, directeur de Cabinet du ministre de la Culture et de la Communication : « Doudou Ndiaye Rose a poussé les limites des percussions sénégalaises pour en décliner des variantes qui vont du « saouraba » mandingue à « l’assico », en passant par le « gorom », le « mbabas » ou le « khiin ».
Sonorités bien de chez nous mais que son génie a permis de placer dans toutes les musiques du monde ». C’est ce grand sens de la créativité artistique qui a valu au tambour-major des collaborations avec des monuments de la musique mondiale comme Dizzy Gillepsie, Miles Davis ou les Rolling Stone. Chapeau !
Parmi les nombreux hauts faits artistiques de Doudou Ndiaye Coumba Rose, s’il y a un qui restera longtemps gravé dans du marbre, c’est bien sa prestation lors de la célébration du bicentenaire de la Révolution en 1989. Perché sur un char qui remonte l’avenue des Champs Elysées, le tambour-major interprète l’hymne national français, La Marseillaise, au tam-tam avec le défunt Julien Jouga.
Ce jour-là, rappelle l’historienne Penda Mbow, « tout le monde a éprouvé un énorme plaisir et de la fierté d’avoir un homme de la dimension de Doudou Ndiaye Rose représenter le Sénégal ». L’octogénaire admet que cet épisode est l’un des moments les plus forts de sa carrière lui qui, pendant trente ans, a été citoyen français.
« Représenter le continent africain à ces festivités et jouer devant de nombreux chefs d’Etat du monde, c’est un sentiment bien particulier et ineffable. Ce fut un grand honneur », confie-t-il quand on l’a abordé dans les coulisses du spectacle qu’il a donné, en compagnie du groupe «Degg Daaj» de l’américain Nathan Fuhr, le samedi 26 juillet dernier, dans les jardins de la résidence de l’Ambassadeur du Japon au Sénégal. Cet évènement lui a été dédié en hommage par Son Excellence Takashi Kitahara.
Lors de ce spectacle devant un parterre de personnalités, Doudou Ndiaye Rose a montré, une fois de plus, qu’il n’avait rien perdu de son énergie et de son talent. L’assistance est restée tout ébaubie devant la performance ce bout d’homme, crâne rasée, un peu voûté mais qui, à 85 ans, continue de défier les lois de la physique par l’énergie qu’il dégage encore sur scène.
Les mêmes gestes, les mêmes pas endiablés, les mêmes mimiques depuis 40 ans. C’est un trait de bénédiction inné, un talent naturel pour ce griot qui a vu le jour en 1930.
Célébré à l’international, ignoré dans son pays
Pour le directeur de l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan), Hamady Bocoum, « Doudou Ndiaye Rose, c’est toute la culture sénégalaise des indépendances à aujourd’hui ». De ce point de vue, il est, selon lui, « un témoignage exceptionnel, un exemple à suivre dans le cadre de la promotion de nos valeurs culturelles les plus profondes ».
Quant à Penda Mbow, elle pense tout simplement que Doudou est parmi ce qu’on a de meilleur sur le plan culturel au Sénégal. Pour avoir donné au tam-tam ses lettres de noblesse, pour avoir représenté le Sénégal partout, pour tout cela, l’historienne et actuelle représentante du chef de l’Etat à l’Oif, exhorte les autorités à lui rendre un grand hommage.
Si l’Etat sénégalais tarde à le faire, des chancelleries étrangères, elles, n’ont pas tardé. Outre le Japon, les Etats-Unis, à travers son ambassade au Sénégal, organisent une série de festivités à l’honneur de Doudou Ndiaye Rose. Même s’il se dit très fier de cette marque de reconnaissance pour l’ensemble de son œuvre, le vieil homme garde quand même une petite amertume car estimant que c’est son pays qui devait être le premier à lui organiser un tel hommage.
Et Doudou Ndiaye Rose de rappeler les relations particulières qu’il entretien avec le pays du Soleil Levant où il s’est rendu 16 fois et où vivent sept de ses petits-enfants métis japonais. Cela montre bien que Doudou Ndiaye est un citoyen du monde, lui qui a déjà reçu plusieurs insignes honorifiques à l’étranger.
Ainsi, le Japon lui a remis plusieurs médailles, la France l’a fait Chevalier des Arts et des Lettres, de même que le Sénégal, il est citoyen d’honneur de Bordeaux, de Lille, de Nancy. Enfin, l’Unesco l’a fait trésor humain vivant.
Formation de plombier, carrière de percussionniste
Issu d’une famille de griots, on peut penser que Doudou Ndiaye a naturellement et facilement suivi les pas de ses ancêtres. Que non, il a dû faire face à l’opposition de son père qui entrevoyait pour son enfant une carrière dans l’administration. Ce qui suppose des études plus ou moins poussées.
« Mon père m’interdisait de jouer aux percussions. Il voulait que je fasse des études. Ce que j’ai fait jusqu’à l’obtention de mon Certificat d’études primaires ».
Il s’est ainsi soumis à la volonté de son pater bien que la passion des percussions le brûlait. Après son Cep en 1944, il est orienté à l’école professionnelle Pinet Laprade, non loin du port de Dakar, devenue aujourd’hui Ecole Aladji Falla Paye.
Quatre ans plus tard, il en sort avec un diplôme de plombier en poche. « J’ai fait ce métier pendant 40 ans et c’est ce qui m’a amené à Douala, au Cameroun. Je suis revenu à Dakar quand l’immeuble Maginot devait être construit », précise-t-il.
Sa rencontre avec le grand percussionniste de l’époque Mada Seck fait basculer son destin. Ce dernier l’avait repéré lors d’une répétition pour le fanal où le jeune Doudou avait l’habitude de se rendre après le travail. « Je jouais un peu avec les percussions avant l’arrivée des batteurs. Conquis par mes performances, Mada Seck a décidé de me prendre dans son équipe », raconte-t-il.
Cette fois-ci, Doudou Ndiaye Rose fait fi de l’interdit de son père et fonce sur le chemin de son destin. Très vite, l’élève Doudou dépasse le maître Mada. Son style si particulier commence à se forger. Sa carrière s’annonce tout en rose, comme le nom de sa maman qu’il a emprunté alors qu’il était encore élève afin de se faire distinguer des nombreux Mamadou Ndiaye qui peuplaient sa classe.
Mais c’est quand il a intégré l’Ecole nationale des Arts au début des années 1960 comme professeur de rythme que Doudou Ndiaye Rose a pris une nouvelle dimension. Il en a profité pour apprendre le solfège. Selon lui, c’est ce petit plus qui fait sa différence avec les autres batteurs de tam-tam, surtout les plus jeunes.
« La jeune génération joue très bien le tam-tam, mais j’ai l’avantage de maîtriser les cinq clés du solfège. Si bien qu’aujourd’hui il n’y aucun orchestre que je ne puisse accompagner sur scène », dit-il. Il invite les jeunes percussionnistes à faire des efforts pour maîtriser le langage du tam-tam car derrière chaque rythme, il doit y avoir un message.
« Il ne s’agit pas de faire du tintamarre et d’essayer de gagner de l’argent. La percussion, c’est tout un art avec des règles. Chaque rythme a une signification bien définie », dit-il avec une once de regret. Doudou Ndiaye Rose dit s’évertuer à transmettre ses vertus à ses enfants avec qui il a de grandes complicités, comme en témoigne leurs prestations communes sur scène.
« Je sais que je ne suis pas éternel, alors qu’il est temps je partage avec mon expérience et mes connaissances », ajoute-t-il. Doudou Ndiaye Rose n’est pas éternel, mais son œuvre va certainement lui survivre.
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