La loi 97-17 du 1er décembre 1997 portant Code du travail dispose en son article L 42 qu’«aucun travailleur ne peut conclure avec la même entreprise plus de deux Contrats à durée déterminée, ni renouveler plus d’une fois un Contrat à durée déterminée. La continuation des services en dehors des cas prévus à l’alinéa précédent constitue de plein droit l’exécution d’un Contrat de travail à durée indéterminée». C’est ce qu’on appelle en droit du travail la conversion par majoration. C’est-à-dire un contrat qui était au début précaire devient stable. L’objectif visé est la protection des travailleurs en ce sens que les employeurs sont toujours tentés d’abuser de ces Contrats à durée déterminée. Les exemples foisonnent au Sénégal.
L’orientation économique et politique du Sénégal fait du Contrat à durée indéterminée le contrat de droit commun et les autres contrats les exceptions. L’Etat du Sénégal entend à travers une réforme du Code du travail faire de cette exception la règle. Ainsi, il s’inscrit résolument vers la légalisation de l’abus avec comme conséquence une précarisation de l’emploi. C’est un recul et c’est irresponsable de la part d’un Etat qui a du mal à donner de l’emploi à ses milliers de jeunes diplômés et qualifiés.
L’intérêt des salariés sacrifié devant celui de l’entreprise juste pour une bonne place dans le Doing business de la Banque mondiale.
L’Etat du Sénégal a entrepris depuis un certain temps une amélioration de son environnement des affaires pour attirer les investissements. Cette éventuelle réforme du Code du travail entre dans ce cadre. Il faut tout de suite dire que ce n’est pas un motif légitime pour cette réforme pour principalement deux raisons :
Nous ne devons pas remettre en cause des droits acquis et des fondamentaux, juste pour plaire aux institutions internationales. Que fait-on de nos objectifs de développement, de notre volonté à apaiser les tensions sociales. Qu’on ne nous dise pas que les investissements vont apporter le développement, des études sérieuses ont montré que le développement n’est pas lié aux investissements directs étrangers.
Une main d’œuvre qualifiée, pas chère et pas «encombrante» ou «gênante» ainsi qu’une flexibilité dans les règles du droit du travail pourraient attirer les investissements, mais il faut encore beaucoup d’autres choses ; par exemple une justice efficace avec des procédures respectant les délais raisonnables, un arbitrage commercial qui fonctionne correctement, des procédures administratives rapides, un gouvernement stable, une fourniture énergétique respectable, une bonne gestion des ordures, des pistes de production fonctionnelles. La liste est longue.
C’est donc dire que l’argument selon lequel, cette exigence pourrait empêcher aux investisseurs de venir est faux. Si, maintenant, c’est juste pour figurer en bonne place dans le classement Doing business de la Banque mondiale, voilà un manque de respect immense pour les Sénégalais.
L’Etat du Sénégal a fourni des efforts importants pour inciter les entreprises à s’installer avec notamment l’abaissement de l’Impôt sur les sociétés. Cela n’a pas eu d’impact important sur les travailleurs. Alors pourquoi veut-on leur offrir davantage tout en sachant que les travailleurs n’en bénéficieront point. Pour illustrer cela, il faut interroger la nouvelle pratique des entreprises qui consiste à contractualiser avec des sociétés écran (les sociétés d’intérim et de placement). En effet, au Sénégal, ces sociétés écran qui foisonnent et fonctionnent dans une immense illégalité contribuent, pour la plupart, et à précariser d’avantage l’emploi, font des retenues illégales et des contrats secrets avec les entreprises en totale ignorance du travailleur. Ainsi, elles bouchent les perspectives de carrière de beaucoup de jeunes diplômés obligés d’accepter des contrats bidons et des conditions de travail indécentes. Une autre illustration est le nombre de travailleurs journaliers que l’on note dans le milieu de l’emploi au Sénégal. Certaines entreprises refusant de recruter abusent avec les travailleurs journaliers. On retrouve dans certaines entreprises des travailleurs journaliers depuis 10 ou 15 ans, sans que l’Etat ne sévisse. Nous passons sur les heures supplémentaires et les contrats de stage qui durent 2, 4, 5 …ans.
Le salarié sénégalais se trouve ainsi obligé de voir ses droits violés tous les jours sans broncher parce que voulant s’agripper à un emploi que 10 ou 20 personnes sont prêts à accepter avec moins d’avantages. On se retrouve donc dans le système de «l’employeur seul juge», alors bonjour les abus.
Pourtant, le droit du travail est un droit protecteur. Il protège le travailleur en tant que partie faible dans le contrat le liant avec l’employeur. Comme le disait Lacordaire, «entre le fort et le faible, la volonté opprime et la loi libère».
Hélas, le comportement de l’Etat du Sénégal prend le contre-pied de ce principe. On pourrait plutôt évoquer cette pensée de Jean Emmanuel Ray : «Le gendarme, autrefois protecteur du faible, assure désormais la circulation» (Jean Emmanuel Ray, Les nouveaux enjeux du droit, le droit du travail in le droit dans la société, Cahier français n° 288. 1998). Et en l’espèce, le gendarme assure mal la circulation puisque qu’il ne s’occupe que d’un seul sens de celle ci.
Et pourtant, la stabilité et l’épanouissement du salarié n’assurent-ils pas la bonne marche de l’entreprise ? L’intérêt du salarié et celui de l’entreprise sont fondamentalement liés «puisque les salariés ont particulièrement intérêt à ce que l’entreprise ne disparaisse pas» (Roch D. Gnahoui, Intérêt de l’entreprise et droit des salariés, Rsda, Janvier – Juin 2003).
Mais depuis la réforme de 1997, on sent une volonté de l’Etat à désarmer les travailleurs. Dans le préambule, de la loi 97-17, le législateur veut concilier deux objectifs à savoir l’épanouissement de l’entreprise et la protection du travailleur, mais sa démarche laisse entrevoir qu’il se penche du côté du premier objectif. Cette volonté de concilier ces deux objectifs relève, comme l’a souligné le professeur Gnahoui «plus d’une incantation que du réalisme» parce que souligne-t-il, «le renforcement de la protection de l’entreprise passe inévitablement par un recul de la protection des salariés», (Roch D. Gnahoui, Intérêt de l’entreprise et droit des salariés, Rsda, Janvier – Juin 2003). La Constitution de janvier 2001 s’inscrit dans cette logique, parce que tout en élevant le droit de grève comme un principe constitutionnel, elle lui trouve une limite en déclarant que ce droit ne doit pas mettre en péril l’intérêt de l’entreprise.
Ce projet de réforme, s’il aboutit, risque d’être la réforme de trop.
Le combat doit être celui de tous les patriotes. Les partis politiques et la société civile ne doivent pas laisser seuls les syndicats mener ce combat. Les parents d’élèves doivent aussi se prononcer parce que la réforme vise leurs enfants, futurs demandeurs d’emploi.
Dans ce Sénégal de 2010, trouver un emploi décent est un super luxe.
L’objectif de la plupart des entreprises est de gagner plus et de dépenser moins. Et pourtant il faut le reconnaître, l’Etat du Sénégal a fait beaucoup d’efforts pour baisser l’Impôt sur le revenu afin de permettre aux entreprises de souffler. Mais cela a-t-il impacter sur les travailleurs ? Dans ce contexte, la législation du travail doit prendre partie pour l’employé afin qu’on évite de tomber dans les travers d’un système où l’employeur est le seul juge.
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