Dans différentes régions du pays, des jeunes filles, considérées comme mineures vis-à-vis de la loi, sont condamnées à affronter toutes les responsabilités du mariage. Les chiffres recueillis par le ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière dans le cadre de la MICS4, enquête par grappes à indicateurs multiples réalisée par le ministère avec l’appui financier et technique de l’Unicef et une contribution financière du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) pour recueillir des informations actualisées sur la situation des enfants et des femmes et ceux du Centre d’information et de documentation sur les droits de l’enfant et de la femme (Ciddef) confirment cette donne. D’après cette MICS4, l’unique étude sur les «mariages précoces», dont les résultats ont été dévoilés en 2015, 3,1% des femmes âgées de 15 à 19 ans étaient déjà mariées, soit 47 000 femmes, dont 1500 avant l’âge de 15 ans. Ces femmes mariées de moins de 19 ans sont, pour la plupart, issues du milieu rural, peu aisées et résidant à l’ouest ou au sud du pays. Près de 5% d’entre elles habitent au Nord-Ouest algérien, 4,4% dans les Hauts-Plateaux ouest et 4,1% au Sud. De son côté, le Ciddef n’a pas caché son inquiétude quant à ces pratiques qui menacent l’avenir moral et physique de toutes ces petites filles.
Lors d’une journée d’étude, organisée dernièrement par ce centre, sa présidente maître Nadia Aït Zai a annoncé la préparation d’un plaidoyer pour abolir un article dans le code pénal autorisant les juges à donner des dérogations de mariage de mineures, notamment enlevées et/ou violées. S’appuyant sur des données collectées aux services de l’état civil, elle certifie l’existence de ce type de mariage même dans la capitale. A titre d’exemple, la commune de Baba Hassen a inscrit 12 autorisations de juge en 2012, 5 en 2013, 3 en 2014, 4 en 2015 et 5 début 2016.
Un tabou brisé «Le fait d’en parler et d’en faire une cause pour une majorité des pays, notamment africains, est un grand pas vers la protection de ces jeunes filles qu’on prend pour épouse avant même qu’elles soient capables d’en assumer les responsabilités, déclare Fatima-Zohra Sebaa, présidente du Conseil national famille-femme et rapporteur spécial auprès de l’Union africaine sur le mariage des enfants.
L’Algérie enregistre certes des taux nettement plus faibles par rapport à celui de ses voisins d’Afrique du Nord, tels que le Maroc et l’Egypte, qui enregistrent un taux de mariage des mineures s’élevant à 16% et 17%, et encore plus de celui des pays de l’Afrique centrale et subsaharienne, où les taux vont au-delà des 70%. Mais cela ne veut pas dire que le phénomène n’existe pas ou qu’il ne soit pas alarmant.» Pour cette psychologue, la loi algérienne n’est pas différente de celle des pays voisins. Elle revient sur l’article 7 du code de la famille qui valide la capacité du mariage à l’âge de 19 ans pour l’homme et la femme mais ouvre une grande porte au juge qui peut, selon son appréciation, accorder une dispense d’âge pour une raison d’intérêt ou dans un cas de nécessité, lorsque l’aptitude au mariage des deux parties est établie.
Il accorde aussi au conjoint mineur la capacité de poursuivre en justice quant aux droits et obligations résultant du contrat du mariage. «Même si le plus connu dans notre société est l’obtention de cette dérogation de mariage en cas de mineure enceinte, cette porte laissée ouverte par le législateur peut éventuellement faire place à des abus, ajoute-t-elle. Il serait intéressant d’avoir les chiffres relatifs à ces autorisations de mariage relevés auprès des institutions de la justice. Les chiffres de la MICS4 restent peu fiables étant donné qu’ils ne concernent qu’un échantillon de foyers et datent de 2012-2013. L’obtention des chiffres de la justice nous aiderait à mieux mesurer l’ampleur, ou le contraire, de ce phénomène en Algérie.» Pour Mme Sebaa, il suffit, dans certains cas, qu’un père ait des problèmes avec sa fille, de fugues ou de frivolité à titre d’exemple, pour qu’il décide de la marier et aille voir un juge des mineurs. L’obtention de l’approbation de ce dernier est assez facile, si ce père use d’arguments conservateurs.
Amender les textes de loi
Que ce soit pour le Ciddef ou pour la présidente du Conseil national famille-femme, la révision de cet article est une obligation, voire une urgence. «Le législateur n’a pas précisé l’âge en dessous duquel un mariage de mineure n’est pas approuvé. Ce qui laisse entendre qu’une petite fille de 12 ou 13 ans peut très bien être mariée, si le juge en décide ainsi, explique Mme Sebaa. Certains pays africains l’ont bien défini et le fixe à l’âge de 16 ans. Cela veut dire qu’une petite fille de 15 ans ne peut en aucun cas être prise pour épouse. Il n’y a que le législateur tchadien qui a eu le courage de fermer toutes les portes au mariage des mineurs en le fixant à l’âge de 18 ans et n’a toléré aucune exception.
Le législateur doit combler ce vide juridique non seulement par la définition de l’âge minimum de la tolérance d’un mariage pour une mineure mais aussi les conditions qui autorisent ce type d’union.» Pour cette militante des droits des femmes et des enfants, il est impossible de parler de mariage de mineure sans aborder le sujet des mariages forcés. Une petite fille de moins de 14 ans jusqu’à 17 ans et même au-delà de cet âge ne peut manifester son refus du mariage devant l’officier de l’état civil ou le juge, dans certains cas, alors qu’elle est entourée des membres de sa famille et de son futur époux.
Même dans le cas contraire, le consentement de cette petite fille est loin d’être raisonné étant donné qu’elle n’est pas assez mûre pour prendre une telle décision décisive. «En collaboration avec le Ciddef, nous sommes en train d’étudier la possibilité de faire accompagner le juge des mineurs par un psychologue ou une assistante sociale afin de pouvoir reconnaître réellement le degré de consentement de ses filles, parce que ce sont elles qu’on force le plus.
L’Algérie a déjà d’énormes atouts en place qui l’ont aidée à avoir le taux le plus faible en Afrique en matière de mariage des mineurs, essentiellement la gratuité de la scolarisation. Aujourd’hui, elle doit impérativement doubler ses efforts et combler les vides juridiques pour arriver à un taux de 0% de mariage des mineurs et mettre le holà à toutes sortes d’abus», abonde notre interlocutrice qui ne cache pas son inquiétude quant au boom probable que pourrait avoir ce phénomène, si les courants «conservateurs» prendraient les rênes du pays. Même si certains pensent que le taux de 2% est insignifiant et demeure infime pour qualifier le mariage précoce de phénomène, savoir que 47 000 filles ont été mariées avant 19 ans donne tout de même des frissons. Cette crainte s’accentue avec la prise en considération que ces jeunes filles, désormais responsables de la gestion d’un foyer, sont directement orientées vers la grossesse et l’éducation d’enfants de la même génération qu’elles.
Source: Afrique femme
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